La shariat et le visage vitriolé des femmes iraniennes

 

Depuis le 15 octobre les Iraniennes vivent dans la terreur. Plus de quinze jeunes femmes ont été attaquées à l’acide par des motards en plein centre-ville d’Ispahan alors qu’elles étaient au volant de leur voiture. Ces femmes gravement brulées aux mains et au visage, dont certaines resteront aveugles à jamais, avaient la jeunesse et la beauté pour points communs.

Selon les autorités iraniennes, ces agressions étaient non-organisées, actes d’individus isolés et sans rapport avec la propagande des religieux pour appliquer activement le précepte de la shariat, selon lequel les musulmans doivent se surveiller les uns les autres, « ordonner le bien » et « interdire le mal ». Sans rapport aussi avec la loi qui est en passe d’être votée au Parlement, prévoyant une plus grande marge de manœuvre et une protection juridique pour les organisations et les individus qui sont chargés d’« ordonner le bien » et d’« interdire le mal ». Destinée essentiellement aux femmes « mal-voilées », cette loi stipulera que toute résistance, menace, insulte contre les gens chargés de veiller à la chasteté et de lutter contre la débauche dans la société sera passible d’une condamnation à la prison ferme et à une lourde amende.

Là où les femmes sont systématiquement insultées, méprisées, humiliées et maintenant attaquées à l’acide en plein centre-ville, alors que rien ne protège leurs droits, sont-ce vraiment les agents chargés de veiller à la chasteté de celles-ci qui ont besoin d’être défendus par la loi ?

Depuis l’avènement de la République islamique, les femmes iraniennes sont devenues la cible numéro un du nouveau pouvoir. Le 8 mars 1979, à l’occasion de la journée internationale des femmes, l’ayatollah Khomeyni a décrété l’obligation du port du voile, conformément à la shariat. Une mesure significative dont l’enjeu dépasse largement le mépris et la misogynie ordinaires des ayatollahs pour la population féminine. La cristallisation des contraintes religieuses autour de la femme –port du voile, interdiction d’entrer dans l’espace public ou d’exercer tout une série de métiers, mise à l’écart des femmes qui occupaient des positions clés sous l’ancien régime, … –, s’est inscrite dans le renforcement des principes patriarcaux qui avaient perdu leur automatisme sous la modernisation du régime Pahlavi. Les religieux ont directement plongé le corps féminin dans les rapports de pouvoir, opérant sur lui une prise immédiate : ils l’ont stigmatisé, investi, dressé, supplicié, exigeant de lui des signes d’assujettissement. Le corps voilé des femmes était le premier lieu où la shariat affichait son plein pouvoir, le lieu par excellence de l’affirmation emphatique du pouvoir religieux. Il s’est emparé du corps féminin pour le montrer marqué, vaincu, brisé. Si le musulman doit être et paraître en même temps, la femme musulmane doit être voilée pour afficher sa soumission à Dieu et à ses hommes.

Khomeyni a fait du port du voile un spectacle quotidien qui a mis en scène une politique du pouvoir : il a rendu le corps sensible à tous. Sur le corps des femmes s’exhibe désormais la présence de son nouveau régime. Le corps voilé devient le point de départ de l’exercice du pouvoir par les religieux shi’ites, un pouvoir qui s’exerce d’abord par la femme pour s’étendre à toute la société. Il s’inscrit dans un système de domination où les religieux demandent, décident et font exécuter leur volonté sur les femmes. Si le voile est devenu obligatoire en Iran, c’est qu’il représentait la force religieuse et opérait sa volonté : sur les corps d’abord et sur les esprits ensuite. Nombre de châtiments sont prévus à l’encontre de celles qui osent un tant soit peu enfreindre la loi. Pour les mollahs, la moindre désobéissance est un acte d’hostilité qui mérite d’être puni, quelque soit le moyen.

Dans une société où la vie d’une femme, selon la shariat, vaut la moitié de celle d’un homme, et où le corps féminin est considéré comme l’élément de débauche, l’attaque à l’acide en appelle à une légitimité sous-jacente, établie par l’ordre religieux, par la shariat. Peu importe que ces attaques soient isolées ou organisées, elles font signe vers une mise en cohérence de l’ordre religieux avec ses propres principes.

Mahnaz Shirali

Sociologue