Passions d’un engagement (37) : La question qui fâche (1) [Par Cheddad]

La formation politique du MND avantage les étudiants mauritaniens
L’année scolaire 1982, après mon succès au Baccalauréat, à Jleyfti, je me suis inscrit en première année de la faculté des sciences juridiques et économiques, section économie. La même année, j’ai participé en mai à l’examen d’entrée à la faculté de lettres à Dakar. Il s’agissait d’un examen réservé aux personnes ayant dépassé l’âge scolaire requis pour un enseignement régulier. Plusieurs de mes anciens amis du MND sont passés avec grand succès par là. Parmi eux, Mohamed Elhassène Ould Lebatt et Mohamed Ould Maouloud, mes anciens collègues du bureau exécutif de la direction scolaire du « CPASS». A mon tour, et comme eux, j’ai réussi avec brio (major) l’épreuve. Je me suis trouvé devant un choix difficile: m’inscrire à Dakar ou à Jleyfti à Nouakchott.  Pour mon ami Mohamed Ould Maouloud, je n’avais pas droit à l’hésitation. Il usa de tous les moyens pour m’amener à m’inscrire à Dakar. Je ne me souviens nullement de son argumentaire contre l’inscription à Jleifti. Très probablement, son éducation exemplaire a dû jouer.Mohamed, en effet, tel que je l’avais connu, s’interdisait systématiquement, et il le réussissait sans faute, de porter le moindre jugement négatif sur les autres ou leurs éventuelles malveillantes intentions. Ce fut déjà trop tard pour moi. Après que je me fus engouffré dans la gueule du loup, avant de disparaître dans son inconfortable et bedonné gros ventre, les bons et insistants conseils de Mohamed envahirent ma petite cervelle.

L’inconvénient inattendu de Jleyvti
Pourtant j’avais vite oublié la raison derrière mon option pour l’examen de Dakar. L’année précédente, 1979 -1980, j’ai raté une première tentative à l’examen du baccalauréat. J’ai buté contre une forme d’obstacle local que je ne m’expliquais pas. Je n’arrivais pas à comprendre pourquoi, moi, l’ancien bon élève de la première école au programme intégralement colonial, je rate un examen que réussissent des élèves de la sixième génération après la réforme de 1973 !
Et pourtant, dans la même année, à une semaine de la session de juin, j’avais réussi brillamment à l’écrit l’examen d’entrée à l’ENA de Jleyfti, option cycle long. L’oral fut conditionné par le succès au bac. Succès qui malheureusement n’avait pas été au rendez-vous. A l’université de Jleyfti, je n’épargnerai aucun moyen pour réussir dans ma section d’économie. Comme au BEPC en 1971, j’ai constitué un groupe d’étude et de révision. J’ai même laissé tomber ma liaison à l’enseignement fondamental, perdant ainsi ma fiche budgétaire. Moralement, je n’avais pas voulu m’accrocher à un emploi que je n’exerçais plus effectivement. Tout le temps fut consacré à l’étude.

Des bouleversements littéraires
Pendant ma nouvelle scolarité, dans les années terminales, à l’université, je découvre de nouveaux noms, de nouveaux héros, de nouvelles références, de nouveaux idéaux, de nouvelles ambitions. Le monde de révolutionnaires et de héros de libération sera remplacé par de nouveaux symboles. En littérature par exemple, il fallait
désormais composer avec Baudelaire plus que notre Victor Hugo assez présent durant notre scolarité primaire. Pourtant, pour nous autres petits mauritaniens, bambins maures notamment, on voyait en Victor Hugo l’image d’un vieux marabout du désert gavé de culture arabo-islamique.
L’image de Victor Hugo
En poésie et en prose, Victor Hugo ne faisait qu’user d’images et de métaphores qui se confondaient, aussi bien dans leur expression que dans leur procession, avec des clichés pareils du milieu nomade mauritanien. Il rappelle, dans bien des aspects, de grands poètes populaires du milieu maure comme Ould Adouba du Tagant quand celui-ci pleurait des souvenirs passés de son espace vital comme le souvenir du chant de son « Coujil (hibou) dans l’oued tout proche ou Ould Ahmed Youra du Trarza quand celui-ci promenait son imagination à travers les cordons dunaires de son Iguidi chéri, en projetant après son regard dans la direction du sud, en chevauchant à travers les forêts verdoyantes, traversées par les zigzags du marigot de Tenyidir, avant de se jeter dans le fleuve Sénégal .

Le souvenir de Beylil
« Wechhalet leghnem oubeylil oullaghou ouchhalet Battah ! »: Il s’agit d’un autre poète qui était secoué par le souvenir d’un moment typiquement nomade: il s’enquiert des nouvelles du troupeau de moutons et de leurs petits, ainsi que leur jeune berger du nom de Beylil, sans oublier pour autant les nouvelles du petit chien portant le nom de Battah.
Tout ce tableau, dans l’imaginaire du poète, couvrait généralement la nostalgie d’une bien-aimée à laquelle il vouait tout son amour. Son éducation morale l’empêchait de l’exprimer ouvertement.
(À suivre)

Le 5 Novembre 2024 
Par Ahmed Salem Ould El Mokhtar (Cheddad)
Source : Le Calame