Pour beaucoup d’observateurs, la désignation de ces trois pays africains comme membres du Conseil des droits de l’homme de l’ONU est inacceptable. Explications…
Créé en 2006, le Conseil des droits de l’homme respecte le principe d’une répartition géographique, avec 13 sièges pour l’Afrique, 13 pour l’Asie-Pacifique, 8 pour l’Amérique latine et les Caraïbes, 7 pour l’Europe occidentale et autres et 6 pour l’Europe de l’Est.
Le renouvellement de près d’un tiers du Conseil des droits de l’homme, soit 14 membres sur 47, a provoqué un tollé chez les ONG et bon nombre de pays sud-américains en raison notamment de la désignation du Venezuela.
Succédant à la Commission des droits de l’homme où les représentants des tyrans les plus sanguinaires de la planète n’ont pas arrêté d’infliger d’incroyables discours sur les démocraties, le Conseil peine toujours à s’imposer. Les États incriminés n’arrêtent pas de contester les charges souvent évidentes qui pèsent sur eux à propos de violations des droits humains. Ils trouvent souvent des alliés au sein des États membres de l’ONU pour contrer les graves accusations qui pèsent sur eux.
Cette fois-ci, le Venezuela n’est pas le seul à être montré du doigt. D’autres pays africains dernièrement élus ont aussi fait l’objet de sévères critiques. Ainsi de la Libye, du Soudan et de la Mauritanie. Et cela a été rendu possible par une nouvelle procédure donnant un effet important au vote à la majorité simple et non aux deux tiers.
La Libye des passeurs et le Soudan des mutilations génitales féminines
Avec ses marchés aux esclaves et ses nombreux cas de torture des migrants par des passeurs, la Libye, élue avec 168 voix et déjà suspendue en 2011, est attaquée par les ONG. Elle n’est pas la seule sur le continent qui avait droit à 13 sièges. L’élection du Soudan, 175 voix pour, est aussi contestée. On lui reproche, entre autres raisons, l’excision qui y est très élevée. Le taux des mutilations génitales féminines y atteint en effet 89 %, selon les parlementaires soudanais. Une loi, Saleema, a beau avoir été votée pour préserver la santé des nouveau-nés, la tradition et le mariage précoce des jeunes filles empêchent toujours l’arrêt de cette pratique, sinon une diminution importante. Les campagnes de sensibilisation et les pétitions n’ont guère de résultats dans ce pays ou la pauvreté est endémique.
La Mauritanie décriée par la question de l’esclavage
Pour ce qui est de la Mauritanie, c’est à cause de l’esclavage qui touche encore au minimum entre 1 et 2 % de la population, soit environ 100 000 personnes, selon des ONG, que le pays est mis en accusation depuis son élection au Conseil. Pour Initiative pour la résurgence abolitionniste (IRA), le nombre de personnes toujours soumises à l’esclavage serait de 600 000, soit plus de 20 % de la population. Selon une ancienne rapporteuse spéciale de l’ONU, Gulnara Shahinian, citée par UN Watch, « 500 000 des 3,4 millions d’habitants de la Mauritanie sont asservis ».
Aboli en 1980, devenu une infraction depuis le vote du Parlement en 2007, reconnu dans la Constitution comme un crime contre l’humanité en 2012, l’esclavage n’existe plus officiellement dans le pays. En fait, histoire et mauvaises traditions font perdurer ce phénomène qui s’appuie sur un système de castes. Les Beydanes, Maures blancs arabo-berbères, constituent depuis des lustres la classe dominante par rapport aux Haratines, anciens esclaves appartenant à une caste considérée comme inférieure et constituée d’Afro-Mauritaniens. Ils restent encore beaucoup à l’écart des hauts postes de l’administration.
Les plus vulnérables ont du mal à s’inscrire sur les listes électorales. Ils forment la masse des ouvriers dans la construction, des domestiques en ville et des ouvriers agricoles qui vivent avec leur famille sous le joug des propriétaires terriens.
… mais pays sensible du fait de son rôle dans la lutte antiterroriste
L’élection de la Mauritanie a provoqué l’ire d’UN Watch, basée à Genève, qui accuse ce pays d’être « le dernier bastion de l’esclavagisme ». L’ONG explique que la Mauritanie étant l’un des quatre candidats pour quatre sièges disponibles dans le groupe des pays africains, son élection, par une vaste majorité des 193 membres de l’Assemblée générale des Nations unies, était pratiquement garantie. C’est ce qui s’est passé avec 172 voix pour.
L’Europe et donc la France, qui a pourtant déjà condamné le régime de Caracas, n’avaient pas mis en cause cette élection au lendemain d’un scrutin critiqué sur le fond. Pour rappel, l’élection du Venezuela a été très décriée. Le régime de ce pays avait en effet été placé fin septembre sous enquête par ce même Conseil pour l’assassinat, selon l’ONU, de 18 000 Vénézuéliens depuis 2016. Une élection qui est « une farce qui sape la crédibilité déjà fragile du Conseil », a déclaré dans un communiqué le secrétaire d’État américain Mike Pompeo, dont le pays a quitté cette assemblée en 2018. Pour envisager un retour éventuel, Washington veut au préalable l’exclusion des États membres commettant de graves exactions.
Ainsi, pour l’ambassadrice américaine à l’ONU Kelly Craft, cette élection « prouve que le Conseil des droits de l’homme est un organisme cassé et justifie le retrait des États-Unis ».
Revenons à la Mauritanie. C’est que, dans la lutte contre les groupes terroristes, Nouakchott est un allié. Grâce à l’appui de la coopération militaire française, la Mauritanie a réussi à stopper les djihadistes à ses frontières et le pays n’est plus une base arrière pour attaquer, au Mali voisin, l’armée et les soldats français du dispositif Barkhane.
« Élire la Mauritanie, État esclavagiste, comme juge des droits de l’homme aux Nations unies revient à choisir un pyromane comme chef des pompiers de la ville », a averti Hillel Neuer, directeur exécutif d’UN Watch, qui a mené une forte campagne au moment du vote contesté des nouveaux membres du Conseil censé défendre pour trois ans, à partir du 1er janvier 2020, les droits de l’homme partout où ils sont mis à mal.
Par Patrick Forestier
Source : Le Point Afrique (France)