Le capitaine Ely Ould Krombelé, un observateur omniprésent de la scène politique, sociale et militaire de la Mauritanie au cours des dix dernières années, livre dans l’entretien suivant, sa lecture globale de la période post Aziz et sa vision avant-gardiste de l’ère Ghazwani.
Ely parle et décrypte les relations Ghazouani-Aziz, le dialogue engagé par le président Ghazwani avec l’opposition radicale et son interaction par rapport aux opposants exilés de l’ex régime, de l’avenir de la Grande muette et du prolongement de l’âge de retraite des officiers et soldats de l’armée…
Question : Les mauritaniens, hommes politiques, intellectuels, fonctionnaires et agents de l’Etat ainsi que les journalistes se perdent en conjectures dans le décryptage des relations Ghazouani-Aziz. Quel est votre avis sur les liens entre ses ex compagnons d’arme et de pouvoir ?
Ely Ould Krombelé: Ceux qui veulent jouer à l’opiniâtreté des « chevaliers de la Table Ronde » en allant constamment à la charge et en tentant sans relâche de provoquer un quiproquo entre Mohamed Ould Ghazwani et son ami Mohamed Ould Abdel Aziz se trompent de cibles. Ils trouveront sans doute le mythique Graal et le boiront en guise de trophée (qui sait ?) sans cependant arriver à semer un désaccord entre ces deux officiers. Sans vouloir verser dans la mantique, il existe cependant de multiples raisons empiriques, des preuves matérielles qui attestent de la solidité des liens entre Aziz et Ghazwani, et dont voici quelques unes :
1 – Aziz et Ghazwani ne se cachent rien, ils se disent tout avec une rare sincérité.
2 – Autant l’un est fougueux, l’autre est serein et c’est Ghazwani qui doit faire le plus grand effort à amadouer son frère d’arme, son chef hiérarchique.
3 – Aziz est un homme bien, fidèle en amitié, mais au caractère trempé comme peut-être vous et moi, un « défaut » que l’on trouve sur tous les continents. Probablement dans le for intérieur de Aziz, le pouvoir régalien est indissociable de la rente, contrairement au général Charles de Gaulle, le summum légitime au niveau mondial, si vous admettez, de l’autorité de fait et de droit, qui disait dans ses mémoires : « le pouvoir c’est de l’impuissance »!!!
Et quant à Ghazwani, cet être doué d’une bonne dose de frugalité, de bon sens et connaissant le pourtour et les contours de son ami Aziz,il saura gérer la situation comme depuis toujours.
D’ailleurs il n’y a aucun alibi sur quoi entretenir une émulation encore moins aiguiser la convoitise entre les deux chefs d’Etat. Si le litige devrait venir de l’exercice du pouvoir, pourquoi Aziz n’a-t-il pas choisi un dauphin, qu’il pourrait tenter ensuite d’évincer, dès lors que la nostalgie se serait pointée? Mais encore comment? Voyons, n’oublions pas que Aziz avait la latitude de manœuvrer dès 2014, au début de son second mandat, en dialoguant avec le diable pour arriver à ses fins.
Sachant que le diable mauritanien est le plus facile à corrompre, et surtout à rouler dans la farine …Pourquoi avoir choisi son alter ego s’il pensait revenir? Encore une fois: pourquoi, quand, et comment?
Aziz est un officier fier et altier; en cédant le pouvoir c’est pour de bon, il ne reviendra plus sur ses pas, le cas de force majeure n’étant pas à l’ordre du jour. Donc s’attendre à un clash c’est mal connaître les deux hommes, car tout est calé, synchronisé comme le lancement d’un missile balistique.
Nos chevaliers de l’époque Arthurienne se trompent encore une fois sur toute la ligne. En attendant godot….ils devront plutôt laisser Ghazwani s’atteler à sa tâche présidentielle, gérer un héritage difficile, au moment où les mauritaniens aspirent à de réelles performances économiques et sociales.
4 – Les deux hommes se connaissent, se respectent avec une confiance réciproque qui transcende les péroraisons malveillantes de l’opinion. Par exemple tout individu qui venait de dire du mauvais à Aziz sur Ghazwani, Aziz le transmet à son ami et vice versa.
Résultat: les deux intimes se mettent à se gausser du malfrat. Dans ce cas de figure que peut gagner un rapporteur? Rien..car on ne le dira jamais assez Ghazwani et Aziz sont proches comme les deux mamelles d’une chèvre de… Maradi.
5 – A cet effet il n’y aura pas de »fitna » entre les deux hommes et personne ne pourra la provoquer même leurs épouses respectives. Faut-il le dire le plus souvent que le plus grand ennemi de l’homme politique, semble-t-il c’est d’abord sa famille (épouse, enfants, sœurs, beaux frères et beaux fils etc…).
Enfin, je peux vous énumérer durant toute une journée les raisons pour lesquelles il n’ y aura pas de relations aigries entre les présidents Mohamed Ould Ghazwani et Mohamed Ould Abdel Aziz. Ceux qui sont hantés par le « retour » de Aziz doivent éviter de faire des cauchemars afin de ne pas aller chez le docteur Dia.
Taquiner, effrayer font partie de l’humour noir de l’ancien président au but de déstabiliser ses adversaires politiques. C’est une sorte de dernier baroud qui signifie: « même moi absent de Mauritanie, vous risquez de ne pas dormir en toute tranquillité ».
Question : Aziz a engagé son dialogue politique avec l’opposition centriste, évitant les contrepouvoirs radicaux. Tout le contraire de son successeur qui a reçu hormis les islamistes Daddah, Maouloud, Biram, Boubacar, Brahim Bekaye…
EOK : Justement si Aziz avait la volonté de briguer un 3éme mandat, il allait commencer à dialoguer avec l’opposition radicale, le centre et les autres dès l’entame de son second mandat (2014-2019)..Mais l’attention était ailleurs et l’agenda autre. Il fallait synchroniser son départ avec l’admission à la retraite du général Ghazwani (le dernier trimestre de 2018).
Aziz est un fonceur qui ne se soucie pas tellement des ralliements circonstanciels, pour autant qu’il connait déjà son agenda. Cet exercice délicat qu’est le ralliement sera le rôle du président entrant. Et Ghazwani n’a pas attendu les « 100 jours de Napoléon » pour s’ouvrir à l’opposition. Ce serait une très bonne idée que de vouloir rassembler tous les mauritaniens autour d’un projet.
Question : Que pensez-vous de l’attitude que le nouveau pouvoir prendra par rapport aux opposants exilés de l’ex régime. Y-aura-t-il maintien du mandat d’arrêt international ou non, sachant que les opposants exigent parmi les points posés pour le dialogue, l’entrée de ces opposants ?
EOK : Comme « opposants exilés » vous voulez sans doute parler de Bouamatou et consorts et de Moustapha Chaavi…Ah si je pouvais ne pas répondre à ce genre de question qui « chante plus qu’elle ne parle » selon l’expression du poète quant à la liberté….Il y a une phrase célèbre d’un philosophe antique qui a traversé tous les siècles et qui demeure d’actualité: « la nature a horreur du vide ».
La vraie question-piège à laquelle le « magister » Aristote devrait répondre et qui transcende toute créature en dehors d’Allah le créateur est la suivante: « pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?!!! »..
Pour revenir à votre subtile et immanente question, il faut d’abord dissocier le cas de Bouamatou de celui de Chaavi. Ce Chavi est un homme de réseaux d’influence ami à beaucoup de Chefs d’Etat africains à qui il rend des services.
A-t-il un jour porté atteinte aux intérêts supérieurs de la Mauritanie? Est-il un espion à la solde d’une puissance étrangère? Si oui qu’on nous le prouve et nous saurons à quoi nous en tenir désormais; et nous serons les premiers à le dénoncer. Si Chaavi est juste un opposant qui déteste Aziz, il y a des milliers de Mauritaniens qui n’aiment pas Aziz et qui vivent toujours au pays sans être inquiétés.
Moi j’aime Aziz et pourtant cela ne m’a pas empêché lorsqu’il a rayé mon frère de l’Armée en 2011, de le critiquer de manière acerbe.( chose que j’ai beaucoup regrettée d’ailleurs puisque les deux hommes se sont revus et ont pactisé à mon insu..)
Quant au cas de Bouamatou cette baliverne relève d’une émulation entre deux titans de cousins, chacun imbu de son impériosité. Qui a tort c’est Bouamatou. Qui n’a pas raison c’est Aziz. Car ce litige digne d’une cour de Byzance pour le citoyen mauritanien lambda, devrait trouver son dénouement dans une sphère tribale, car le linge sale se lave en famille.
Pour revenir à votre question proprement dite, le nouveau pouvoir doit aller sans tarder dans le sens de la détente afin de permettre à tous les mauritaniens de se retrouver autour d’une table pour en finir avec la querelle des « ego ». Sachant que Ghazwani est un homme de paix, je suis sûr qu’il est entrain de chercher les voies idoines qui permettront aux exilés de rentrer au bercail, au nom d’une paix réciproque, durable.
Question : Quel est l’avenir de l’armée sachant que l’artisan de ses performances sans cesse renforcées au cours de la dernière décennie est le Président même de la République ?
EOK : La chose la plus nuisible qui pourrait porter atteinte à la bonne marche de l’institution militaire, c’est l’immobilisme voire la durée de complaisance dans les postes dits « juteux » telle la Dirmat(Direction du Matériel), en prenant juste un exemple parmi d’autres.
Quand un officier fait plus de dix ans à la tête d’une structure, et que son adjoint compétent comme lui, ronge son frein, il y a lieu de penser à la frustration et à l’amertume engendrées durant ces longues années. En tant qu’ancien officier, je me pose en observateur averti mais aussi en lanceur d’alerte, au vu et au su.
La perdition de l’URSS et de sa grande Armée au début des années « 90 » résulte-t-elle de la stagnation à tous les niveaux, pour cause de gérontocratie ayant enfanté de l’immobilisme. L’ordre de la nature est certes constant mais également le propre de l’être pensant c’est le mouvement. La gestion de la routine engendre l’indolence physique et morale surtout chez les officiers quadra et quinquagénaires.
Mes critiques ne s’adressent pas particulièrement au commandement actuel de l’Etat-Major National, dont le chef a un cursus normal et son adjoint, me semble-t-il est sortant de la prestigieuse Ecole Navale de Brest. La chaîne de commandement d’une Armée va du chef suprême des Forces Armées (président de la République) au caporal chef d’équipage ou chef de groupe.
Le président de la République fût longtemps chef d’Etat-Major, le ministre de la défense nationale est un général admis à la 2ème section(cela veut dire un général retraité qu’on peut mobiliser quelques années durant) ; ce duo a le devoir de moderniser davantage l’Armée les jours à venir.
Car une Armée digne de ce nom anticipe les batailles qu’elle pourrait livrer en toute éventualité, sinon elle risque de subir ultérieurement. Vu les compétences de nos officiers supérieurs et officiers-généraux, sortant de toutes les célèbres académies militaires, avec des cursus étendus et variés, l’on ne saurait mettre en doute l’avant-garde, la primauté dont pourrait jouir notre Armée dans la sous-région, à condition de bannir le nombrilisme.
Question : Que pensez-vous du décret approuvé par le Président et relatif au prolongement de l’âge de retraite de 2 et 3 ans respectivement pour les officiers et les soldats de l’institution militaire?
EOK : Je trouve que le président a bien calé son sablier au moment où de valeureux officiers pouvaient être admis à la retraite alors qu’ils sont encore en âge de remplir voire d’auréoler leur riche carrière militaire. Personnellement l’augmentation de la limite d’âge des officiers a été l’objet d’un de mes articles, et je continuerai Inchallah de mon vivant d’attirer l’attention du commandement quel qu’il soit sur tout ce qui pourrait féconder le rayonnement de l’institution militaire, ou mettre en exergue tout ce qui pourrait lui porter préjudice.
Cette augmentation a été appréciée par les soldats, les cadres sous-officiers, corps indispensables de l’Armée. Et si le prolongement de la limite d’âge pouvait également s’étendre à la fonction publique? Tu dois, donc tu peux, disait Emmanuel Kant.
Propos recueillis par Mohamed O Mohamed Lemine
Source : Taqadoum (Mauritanie)