Le 30/09/2019 – Elyezid YEZID
A l’issue du conseil des ministres du 19 septembre 2019, les professionnels du droit ont été surpris par l’annonce d’un projet de loi portant modification de l’article 116 bis du code de commerce.
Pour rappel, il convient de noter que cet article 116 bis fait partie d’un ensemble de modifications législatives introduites par la réforme du code de commerce en 2015 pour moderniser les règles juridiques relatives au commerce et mettre notre législation au diapason des standards internationaux.
L’article 116 bis prévoit à cet égard le recours obligatoire à un avocat pour la rédaction des contrats relatifs au fonds de commerce, ainsi que tous les actes dont l’authentification par voie de notaire est exigée par la loi.
Les justifications de l’article 116 bis
Quand on examine l’environnement des affaires, on remarque aisément que la rédaction obligatoire de certains actes par l’avocat est rendue nécessaire aujourd’hui par le développement de l’activité économique.
En effet, pour que l’économie puisse évoluer sainement, il faut au moins deux conditions :
1- Que les agents économiques connaissent parfaitement leurs droits et leurs obligations pour pouvoir s’engager en conséquence ;
2- Que les engagements, une fois contractés, soient stables et connaissent une exécution normale et un dénouement serein dans la durée.
A défaut de connaissance du contenu des engagements et de leur stabilité, l’économie est livrée à l’incertitude et aux aléas et elle est mise en péril.
Aucun agent économique n’est autorisé à dire : « je ne savais pas… ». De même que l’Etat, qui est le garant de l’équilibre social, ne devrait pas être en position de laisser les transactions économiques en dehors de la sphère du droit.
D’ailleurs, la connaissance du droit est érigée en principe constitutionnel par la constitution mauritanienne qui dispose dans son article 17 que : « Nul n’est censé ignorer la loi ».
D’où justement l’intervention nécessaire du conseil de l’avocat, à partir d’un certain niveau d’importance des engagements, à la fois pour protéger les parties, pour garantir la stabilité des transactions et pour éviter à l’économie nationale les dérives qui découleraient de la non-exécution des contrats.
C’est ce qui explique que parmi les innovations importantes introduites en 2015 au niveau du code de commerce figurait la nécessité de faire rédiger par un avocat les contrats relatifs au fonds de commerce ainsi que tous les actes dont l’authentification par voie de notaire est obligatoire.
La réforme opérée par l’article 116 bis répondait à plusieurs soucis :
– Garantir l’assistance et le conseil juridique nécessaires aux parties
– Assurer la sécurité juridique des transactions qui sont la base de l’activité économique
– Anticiper au niveau des contrats les sources potentielles de litiges et leur trouver des solutions permettant de sauvegarder l’accord et de ne pas recourir aux tribunaux.
Cette réforme introduite en 2015 ne vient pas du hasard. Il a été remarqué, en effet, qu’une pratique assez suivie en Mauritanie consiste à s’adresser directement au notaire pour des opérations juridiques d’ampleur, comme la constitution de sociétés (rédaction de statuts) ou pour certaines opérations complexes (en matière immobilière ou de relation avec l’étranger etc.).
Or, le notaire, qui est certes un juriste, n’est pas préparé à ce type de prestations. Le plus souvent, il met à la disposition des parties des actes pré-rédigés non adaptés aux situations particulières.
En effet, le constat qui avait été fait était que les notaires avaient des modèles de contrats et d’actes standards (statuts de sociétés, contrat de bail et de vente d’immeubles etc.) qu’ils faisaient signer aux parties sans analyser les données particulières de l’opération juridique envisagée et sans l’assistance et le conseil juridique nécessaires, ce qui occasionne, on s’en doute bien, des conflits au niveau de l’exécution et une insécurité juridique certaine.
De la sorte, le notaire offre à son client « une facilité » juridique, mais pas un conseil avisé qui va protéger l’opération.
Au niveau légal, cette offre de service est strictement interdite par la loi de 1997 portant statut des notaires, dont l’article premier limite leur mission à la « réception » des actes auxquels les parties veulent conférer un caractère authentique, et dont l’article 6 déclare incompatible l’exercice de toute autre fonction publique ou privée, ce qui interdit naturellement aux notaires d’exercer la mission de conseil juridique légalement dévolue aux avocats.
Dans ce registre, il faut se garder de faire la confusion et avoir à l’esprit que les « actes » que les assistants assermentés du notaire rédigent en vertu de l’article 19 de la loi de 1997 portant statut des notaires, ne sont pas des avis juridiques ni des contrats et ne peuvent y être assimilés, mais concernent tout simplement les documents que le notaire est amené à établir du fait de réception des contrats et actes auxquels les parties veulent conférer le caractère authentique.
C’est pour ces raisons que la réforme du code de commerce, parmi de nombreux autres amendements, est venue en 2015 pour corriger cette situation à travers l’article 116 bis.
La résistance des notaires face à la réforme
Il a été remarqué néanmoins une forte résistance des notaires mauritaniens face à l’innovation légale de 2015, et ce dès le départ.
Il convient de rappeler, pour l’histoire, que les consultants chargés de la réforme du code de commerce ont animé les 20 et 21 novembre 2014, sous l’égide du ministère de la Justice qui avait piloté cette réforme, un atelier de validation de l’avant-projet de loi.
Ont participé à cet atelier tous les acteurs de la justice concernés par l’application du code de commerce (magistrats, greffiers, notaires, huissiers, avocats, mais aussi ministère du commerce, chambre de commerce, etc.), la présidence de l’atelier étant assuré par un représentant du ministre de la Justice qui jouait également le rôle de Rapporteur.
Au cours de cet atelier, les représentants des notaires se sont vivement opposés au projet d’article 116 bis en arguant qu’il constituait pour eux une concurrence de la part des avocats. Après un large débat de la question, les arguments avancés par les notaires n’ont pas convaincu les participants à l’atelier et l’atelier de validation, par la voix du rapporteur, a décidé de maintenir l’article 116 bis et de le « valider ».
En vérité, toute discussion sérieuse ne peut qu’aboutir à la validation de cette innovation importante et j’avoue que jusqu’à présent je ne parviens toujours pas à comprendre les réticences des notaires à son endroit.
En effet, cette mesure ne touche en rien, il faut bien le souligner, aux intérêts des notaires, dont le domaine d’intervention défini par la loi est protégé et n’est en aucun cas menacé par cette mesure, ni dans son champs (authentification des actes), et encore moins dans sa rémunération (émoluments).
Au contraire, cette mesure, si elle est bien appliquée, permettrait aux notaires de recevoir pour l’authentification des actes déjà préparés et agréés par les parties, ce qui permet aux notaires, tout en assurant la plénitude de leur fonction (et de leur revenu), de ne pas engager inutilement leur responsabilité.
L’innovation de l’article 116 bis n’introduit aucun amalgame entre la mission de l’avocat, qui consiste dans le conseil juridique et la rédaction des clauses, et celle du notaire qui consiste dans l’authentification des actes.
Malgré cela, le lobby des notaires mauritaniens s’est opposé dès 2015 à l’application effective de cette mesure. Et seul son activisme peut expliquer le projet de loi soumis au conseil des ministres du 19 septembre 2019.
Nous pensons que ce projet de loi constitue un retour un arrière et risquerait de compromettre la sécurité juridique des opérations économiques ainsi que leur transparence, ce qui handicaperait lourdement les efforts entrepris jusqu’à présent pour l’assainissement des transactions financières et économiques dans notre pays.
D’ailleurs, il n’est peut-être pas inutile de rappeler que beaucoup de pays qui nous sont proches par le droit ou la culture, ont rendu obligatoire la rédaction de certains actes par l’avocat, que ces actes soient soumis par la suite à l’authentification ou pas (Tunisie, Maroc, Egypte, etc.)
En France le recours à l’avocat, même s’il n’est pas rendu obligatoire par la loi, est quasi-systématique. L’Acte d’avocat est rentré définitivement dans la pratique juridique et il a fait l’objet, justement, d’une large réglementation par la loi de 2011.
Et que dire du Sénégal voisin, où l’Acte d’avocat est non seulement prévu par les textes, mais encore dont la loi fixe les honoraires dans le détail !
L’Acte d’avocat que les avocats établissent, offre aux professionnels et aux particuliers, dans tous les domaines du droit, une sécurité juridique renforcée.
En effet, en contresignant l’acte qu’il a rédigé, sous la double contrainte qui pèse déontologiquement sur l’avocat de secret professionnel et d’absence de conflit d’intérêt, l’avocat s’engage et atteste que chacune des parties a été pleinement informée de ses effets et de ses conséquences. Il garantit ainsi la sécurité et l’efficacité de la relation contractuelle.
Lever le voile sur certains points…
Je ne saurais achever cette tribune sans discuter certains propos avancés dans un communiqué de la manière la plus officielle par mes amis notaires qui essaient de démontrer que l’article 116 bis du code de commerce est contraire à la loi et qu’il devrait être modifié en conséquence. Mon but n’est pas évidemment d’engager une polémique, surtout face à des notaires qui comptent des juristes de talent et de nombreux amis.
Aussi, mon propos est surtout de rendre les choses à leur contexte réel, pour ce qui concerne les points avancés.
1- Sur l’adverbe « bis » : Dans leur communiqué, les notaires avancent à propos de l’article 116 bis, que le terme « bis » introduirait une suspicion et démontrerait le caractère forcé et artificiel de cet article.
En réalité le terme « bis » est tout à fait normal et neutre pour les raisons suivantes : La réforme du code de commerce de 2015 a introduit de nombreuses innovations afin de moderniser notre dispositif juridique et le rendre plus conforme aux pratiques commerciales universellement consacrées. Elle a ajouté de nouvelles dispositions au code de commerce et en a annulé d’autres.
Mais pour des raisons de commodité, et afin de permettre aux praticiens de conserver la même facilité de lecture et d’exploitation du code, la réforme de 2015 n’a pas changé les numéros des articles du code.
Ainsi, les nouvelles dispositions ajoutées au code ont été insérées dans des articles déjà existant, mais en raison de leur technicité et parfois de leur spécificité, elles ont été numérotées sous les anciens articles avec les mentions « bis », « ter », « quater », etc.
Ce sont des articles nouveaux mais qui ne bouleversent pas l’ancienne numérotation. Dans le même ordre d’idée, les articles qui ont été complètement abrogés ont été maintenus avec leurs numéros, mais avec la mention « Cet article est abrogé ». Il s’agit d’une technique de codification connue et largement utilisée de par le monde et même en Mauritanie.
A cet égard, il me suffit de signaler que la même technique est utilisée en Mauritanie chaque année en matière fiscale pour les modifications et amendements introduits au niveau du code général des impôts.
2- Concernant les courriers que l’APBM aurait adressés à la Banque Centrale, il ne peut en aucun s’agir d’une dénonciation de la règle introduite par l’article 116 bis, ni de son inapplicabilité.
Ces courriers font suite en réalité au refus délibéré et injustifié des notaires d’appliquer cette règle légale, ce qui a entraîné de fait le blocage de tous les actes notariés passés par les banques.
3- Il est avancé, en outre, que cette mesure aurait donné « le droit à l’avocat, aux côtés du notaire, de rédiger les contrats mais sans encourir la même responsabilité civile et pénale ». A ce propos, il convient de signaler d’abord que cette mesure n’a pas donné le droit à l’avocat «aux côtés du notaire … ».
En effet, la rédaction des contrats n’appartient pas à l’avocat ET au notaire. Elle est du ressort exclusif de l’avocat. Le notaire n’est chargé que de l’authentification du contrat. Cela est d’ailleurs très clair et explicite dans la loi 97-019 portant statut des notaires qui dispose expressément que les notaires « reçoivent » les contrats pour leur authentification, ce qui implique évidemment que les contrats aient été déjà rédigés entre les parties.
Il faut noter ensuite que la responsabilité civile et pénale des notaires est différente de celle des avocats, en raison de leurs domaines d’intervention différents. Les notaires donnent le caractère authentique à un document sous seing privé, avec toute la force de solennité et d’opposabilité que cela entraîne.
Ils sont des « officiers publics », aux termes-mêmes de la loi de 1997, nommés par le Ministre de la Justice avec le pouvoir d’authentifier des actes juridiques ou judiciaires. Il est donc normal que la loi leur prévoit une responsabilité distincte de celle des avocats qui n’ont qu’une mission de conseil aux parties.
Que le contrat soit rédigé obligatoirement par un avocat n’en fait pas un acte authentique. Le contrat ne revêt le caractère d’authenticité qu’avec l’intervention du notaire. Il n’y a donc aucune confusion entre les deux missions, ni aucune violation des textes organisant le statut des notaires ou la profession d’avocat.
Enfin, je tiens à préciser que les propos développés ci-dessus n’engagent que leur auteur. Il ne s’agit évidemment pas de la position des avocats en général, ni en particulier d’une position du conseil de l’ordre national des avocats (qui a ses propres voies et moyens d’expression). Je préférerais qu’on y voie plutôt le témoignage d’un praticien du droit ayant accompagné la réforme du code de commerce de 2015 et soucieux de voir les bonnes pratiques juridiques se généraliser dans son pays.
Par El Yezid YEZID Avocat