Dès le lendemain de l’investiture, la question que se sont posés tous les observateurs est de savoir si le nouveau Président sera autonome dans l’exercice de ses fonctions. Question d’autant plus pertinente que durant la campagne électorale, le Président sortant lui a imposé ce qu’on appelle en jargon footballistique «un marquage à la culote».
Non seulement il lui a «imposé» ses hommes dans le dispositif de campagne, mais en plus, il le suivait comme son ombre un peu partout lors de ses déplacements. Il n’en fallait pas plus pour que certains y voient une manière pour Aziz de pouvoir téléguider les décisions à venir de son «ami».
Mais c’était sans compter avec la personnalité de Ghazouani que l’Hebdomadaire «Jeune Afrique» compare à un joueur d’Echecs.
Les interrogations sont légitimes dans la mesure où celui qui fut Chef d’Etat Major des Armées durant plusieurs années, puis ministre de la Défense de la Mauritanie est un compagnon de longue date du président sortant Mohamed Ould Abdel Aziz. Âgé de 62 ans, Mohamed Ould Ghazouani a participé à deux coups d’Etat, en 2005 et 2008, aux côtés du président sortant. Au regard de ces étroites relations, il est clair que le nouveau Président ne pourra pas s’affranchir rapidement et définitivement de son mentor. Seulement, une fois confronté aux réalités du terrain, Mohamed Ould Ghazouani sera contraint par les circonstances à vouloir changer de stratégie.
Changement d’Hommes d’abord
De fait, il a commencé à imprimer ses marques dès la nomination du nouveau Premier Ministre. En effet, si Ismaïl Ould Bedde Ould Cheikh Sidiya, a été ministre de l’habitat d’Aziz en 2009 puis brièvement ministre de l’emploi en 2014, il n’avait plus aucune fonction dans l’appareil d’Etat depuis quatre ans. Sidiya travaillait alors comme consultant à l’étranger, notamment à Djibouti. Aziz ne l’appréciait guère et se serait même opposé à ce qu’il joue un rôle de premier plan lors de la campagne de Ghazouani. Autre personnalité qui n’est pas en odeur de sainteté avec le camp Aziz : le nouveau directeur de cabinet, Mohamed Ahmed Ould Mohamed El Amine.
Ce dernier a été ministre de l’intérieur lors de la transition menée entre 2005 et 2007 par Ely Ould Mohamed Vall, le cousin d’Aziz, devenu son ennemi juré. El Amine a toujours été tenu à l’écart de Nouakchott par Aziz : ambassadeur à Ankara puis à Bamako. Son père est un proche du père de Ghazouani, chef religieux éminemment respecté en Mauritanie. Quant au nouveau ministre de la défense et ex-chef des forces conjointes du G5 Sahel, Hanena Ould Sidi, il a le défaut, pour le clan Aziz, d’être longtemps resté proche de l’ex-président Ely Ould Mohamed Vall, qui l’avait notamment nommé en 2005 patron de la Direction générale de la sécurité extérieure et de la documentation (DGSED).
Quant au ministre de la santé, Mohamed Nedhirou Ould Hamed, il est le neveu de l’ancien Président Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, déposé en 2008 par le coup d’Etat militaire d’Aziz, alors que ce dernier était encore son chef d’état-major particulier. Le docteur Hamed a vu sa carrière largement stagner sous Aziz.
Par ailleurs, l’entrée au gouvernement de six ministres haratines, souligne la volonté de rassemblement du nouveau chef de l’Etat qui pratique une sorte de discrimination positive en faveur de couches sociales délaissées.
Cette volonté de faire monter des proches et d’écarter une partie des membres du noyau dur soutenant Aziz – notamment des caciques de son parti, l’Union pour la république (UPR) – peut servir l’objectif de montrer à la population mauritanienne que Ghazouani n’est pas prisonnier des réseaux de son prédécesseur. Ghazouani a tout de même choisi de conserver certains familiers d’Aziz dans son premier gouvernement. C’est le cas par exemple du ministre du pétrole, des mines et de l’énergie, Mohamed Ould Abdel Vetah. Ce dernier était l’ami d’un des fils d’Aziz, décédé en 2015 lors d’un accident de la route. Vetah est aussi un intime d’Aziz depuis bien longtemps, avant même qu’il ne devienne président.
Changement de style ensuite
Plus qu’une volonté de crise ouverte avec les équipes du passé, le choix du nouveau gouvernement procède de la recherche de consensus. Ce qui lui a déjà valu le ralliement de personnalités politiques de l’opposition farouchement opposées, à l’ancien président Mohamed Ould Abdel Aziz. Il s’agit notamment l’ancien premier Ministre Yahya Ould Waghef, président du parti Adil, de maitre Bettah, président de la Convergence démocratique et de Mohamed Mahmoud Lematt, l’ancien numéro 2 du RFD de Ould Daddah.
L’autre changement et de taille cette fois, c’est dans le fonds. Là, le président Ghazouani diverge totalement avec l’ancien président Aziz. Il a choisi le premier conseil des ministres pour recadrer l’action du gouvernement et rappeler à tous les membres que chacun devrait prendre ses responsabilités jouissant entièrement de leurs prérogatives. Le Président Ghazouani a rappelé aux ministres qu’il les tiendrait responsables de la gestion de leurs départements et dans la traduction, dans la réalité, de son programme politique.
Finie donc la concentration des décisions aux mains d’un homme, fut-il le Président de la République. Si ce dernier a les mains plus libres, il n’est cependant pas gâté par les circonstances. Les difficultés économiques dues au pillage du pays ces dernières années se doublent des conséquences des récentes inondations dans plusieurs villes de la vallée du Fleuve.
Signalons enfin les nombreuses rencontres ces dernières semaines avec les ténors de l’opposition dite radicale, comme Ahmed Ould Daddah ou Mohamed Ould Maouloud, avec lesquels Aziz avait rompu tout contact depuis plusieurs années.
Joueur d’échec ou caméléon ?
Ainsi donc, presque imperceptiblement mais avec assurance, le nouveau locataire du palais brun, à Nouakchott, est en train de prendre ses distances avec son «frère», le Président Aziz, qui en a fait son héritier. Il adopte en cela la célèbre stratégie du caméléon popularisée par Amadou Hampaté Bâ. D’abord quand il prend une direction, il ne détourne jamais sa tête. Ce qui signifie qu’il a un objectif précis dans sa vie, et que rien ne le détourne de cet objectif.
Et que fait le caméléon ? Il ne tourne pas la tête, mais c’est son œil qu’il tourne. Le jour où vous verrez un caméléon regarder, vous verrez c’est son œil qu’il tourne. Il regarde en haut, il regarde en bas. Cela veut dire : Il s’informe ! On n’est pas seul, il y a toute l’ambiance autour !
Quand il arrive dans un endroit, le caméléon prend la couleur du lieu. Ce n’est pas de l’hypocrisie ; c’est d’abord la tolérance, et puis le savoir-vivre. Se heurter les uns les autres n’arrange rien. Jamais on n’a rien construit dans la bagarre. La bagarre détruit. Donc, la mutuelle compréhension est un grand devoir. Il faudrait toujours chercher à comprendre notre prochain. Si nous existons, il faut admettre que, lui aussi, existe. Et que fait-il, le caméléon ? Quand il lève le pied, il se balance, pour savoir si les deux pieds déjà posés ne s’enfoncent pas. C’est après seulement qu’il va déposer les deux autres. Il balance encore… il lève… Cela s’appelle : la prudence dans la marche.
Et sa queue est préhensible. Il l’accroche. Il ne se déplace pas comme ça… Il l’accroche, afin que si le devant s’enfonce, il reste suspendu. Cela s’appelle : assurer ses arrières… Ne pas être imprudent !
Et que fait le caméléon quand il voit une proie ? Il ne se précipite pas dessus, mais il envoie sa langue. C’est la langue qui va le chercher. Car ce n’est pas la petitesse de la proie qui dit qu’elle ne peut pas vous faire mourir. Alors, il envoie sa langue. Si sa langue peut lui ramener sa proie, il la ramène, tranquillement ! Sinon, il a toujours la ressource de reprendre sa langue et d’éviter le mal…
Donc, allez doucement dans tout ce que l’on fait ! Si on veut faire une œuvre durable, soyons patients !
Sikhousso
Source : Eveil Hebdo (Mauritanie)