C’est « une situation paradoxale », admet la haute représentante européenne Federica Mogherini : « Les efforts de l’Union européenne (UE) et des Etats membres en faveur des pays du G5 Sahel augmentent, mais le niveau de sécurité se détériore. »
« Ce dont nous avons besoin, c’est d’une accélération des procédures, d’une mobilisation internationale concrète, d’une coalition internationale contre la menace terroriste, de plus d’efforts, sinon les nôtres seront réduits à néant », répondait en écho Tiébilé Dramé, ministre des affaires étrangères du Mali.
Les désaccords auraient-ils dominé la réunion que les ministres des affaires étrangères du Mali, du Niger, du Tchad, du Burkina Faso et de la Mauritanie ont tenue, mardi 14 mai, à Bruxelles avec leurs homologues européens ? Non, à en croire les diplomates européens et Mme Mogherini, même si « des messages durs » sont passés. A destination, notamment, des dirigeants maliens pour leur lenteur à mettre en œuvre le plan de paix signé en octobre 2018 entre l’Etat et des groupes armés. Un texte lui-même censé relayer l’accord conclu à Alger en 2015.
Faiblesse des armées régionales
Pour le reste, les deux parties partagent une évidente inquiétude et jugent que c’est bien une course contre la montre qui est engagée pour tenter de sécuriser le Sahel alors que les activités de groupes djihadistes s’y multiplient. Pendant leurs débats et alors qu’ils venaient de respecter une minute de silence en mémoire des deux soldats français tués au Burkina Faso lors de l’opération de sauvetage des otages enlevés au Bénin, les participants apprenaient qu’un groupe armé avait tué quatre catholiques dans le nord du Burkina. C’est la troisième attaque meurtrière contre des lieux de culte et des fidèles dans ce pays en l’espace de quinze jours. Dimanche, un prêtre et cinq fidèles avaient été tués dans une église.
De nombreuses questions subsistent en tout cas à propos du rôle de la Force conjointe du G5, pour laquelle l’UE a fourni une contribution de 147 millions d’euros – qui ne peut couvrir que du matériel non létal. Pour agir dans les zones frontalières, les cinq pays ont mis en place leur propre force de sécurité régionale, soit quelque 5 000 hommes soumis à un commandement centralisé.
Les opérations de la Force conjointe avaient été suspendues après l’attaque de son QG à Sévaré, le 29 juin 2018, et ont repris en janvier. Envisagé en partie par les diplomates français comme une opportunité de mettre « Barkhane » en arrière-plan grâce à une plus grande implication des armées de la région, le G5 Sahel n’est toujours pas pleinement opérationnel, cinq ans après les premières mobilisations. Il le serait « à 80 % », affirme-t-on à Bruxelles.
Les causes principales du retard sont le manque de financement, mais aussi la faiblesse d’un certain nombre d’armées de la région. Le G5 n’est en fait que la somme de celles-ci et, entre les pays, les niveaux sont différents. Les deux maillons faibles à ce jour sont le Burkina Faso et le Mali, l’armée de ce dernier ne s’étant en fait jamais remise de sa débâcle dans le nord du pays en 2012, lorsqu’elle avait été défaite par une coalition d’indépendantistes du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) et de groupes djihadistes. Depuis, elle a regagné des positions, mais est soumise régulièrement à des attaques meurtrières comme à Dioura, le 17 mars, où elle a perdu 26 soldats.
Les forces armées maliennes constituent aussi une part du problème lorsque, dans le centre du pays, elles s’avèrent incapables d’empêcher des tueries communautaires comme à Ogossagou, le 23 mars, et se retrouvent périodiquement accusées d’exactions. Du côté européen, en partenariat avec l’ONU, on insiste d’ailleurs lourdement sur la nécessité, pour les pays de la région, de se conformer aux droits humains et au droit humanitaire international. « C’est important pour rendre confiance à la population », souligne Mme Mogherini. Depuis le début d’année, de nouveaux ministres de la défense et de nouveaux chefs d’état-major ont été nommés, tant au Mali qu’au Burkina Faso.
Poursuivre les efforts
Ce dernier connaît une violente dégradation sécuritaire du fait de la contagion djihadiste venue du Mali. La menace s’est « homogénéisée » au nord puis à l’est du pays mais, de l’avis de plusieurs spécialistes, elle a été favorisée, notamment, par l’abandon du maillage sécuritaire et des compromis, voire des compromissions, qui pouvaient exister sous Blaise Compaoré. Ainsi que par les agissements de l’armée dans la lutte antiterroriste.
« Les malheurs d’un pays comme le Mali proviennent de la Libye, affirme pour sa part le chef de la diplomatie malienne, Tiébilé Dramé. Il faut que l’Europe se coordonne et agisse davantage pour y favoriser la paix et la stabilité. » Didier Reynders, ministre belge des affaires étrangères et de la défense, réplique qu’il appartient aussi aux pays concernés de contrôler leurs frontières et d’arrêter les trafics qui y pullulent. Les Européens appellent également leurs partenaires à désarmer les milices, à réformer les forces de sécurité, à mettre fin à l’impunité, et à redéployer les services publics dans les zones où ils ont disparu.
Pour ce faire, l’Europe, qui aura consacré 8 milliards d’euros à la région pour la période 2014-2020, se dit prête à poursuivre ses efforts, tant financiers que sécuritaires, politiques ou humanitaires. Aujourd’hui, confesse un diplomate bruxellois, « la vraie question est de savoir si notre stratégie de coopération antiterroriste a une chance de réussir ». Dans une relative discrétion, note-t-il, les Etats-Unis s’y emploient, eux, depuis dix-sept ans (avec au départ, l’Initiative Pan-Sahel), mais « ils ont déjà conclu qu’ils avaient échoué, ce qui les inquiète moyennement, car la zone reste périphérique par rapport à leurs intérêts ». Ce n’est, évidemment, pas le cas pour les Européens.
Cyril Bensimon et Jean-Pierre Stroobants (Bruxelles, bureau européen)
Source : Le Monde Afrique (France)