Les attaques jihadistes, concentrées initialement au Mali, se sont étendues vers le Burkina Faso et menacent désormais le Bénin et les autres pays côtiers du golfe de Guinée, jusque-là épargnés. Le temps où le Burkina Faso et le Bénin étaient des îlots de stabilité en Afrique de l’Ouest est révolu.
Le Burkina, où les forces spéciales françaises ont libéré quatre otages vendredi 10 mai, est devenu une plaque tournante des groupes jihadistes où se multiplient les attaques depuis 2015.
Le Bénin, pays côtier où les deux enseignants français avaient été enlevés dans le parc national de la Pendjari le 1er mai, est également devenu vulnérable ces derniers mois face à la stratégie d’expansion des groupes armés. Franceinfo vous explique pourquoi la situation sécuritaire s’est dégradée dans ces pays.
Parce que le Burkina Faso est devenu un carrefour de groupes jihadistes
Le Burkina Faso avait été préservé des attaques jihadistes sous la présidence de Blaise Compaoré, un militaire qui entretenait des rapports troubles avec les groupes terroristes. Mais ce modus vivendi, qui permettait aux jihadistes de trouver refuge au Burkina sans y opérer, a disparu avec la chute de son régime, renversé en 2014 par une insurrection populaire après vingt-sept ans au pouvoir.
« Après son départ et le démantèlement d’une partie de l’armée (…), il y a eu un flottement dans l’appareil sécuritaire burkinabé qui s’est tout de suite fait sentir », explique Alain Antil, directeur du centre Afrique subsaharienne de l’Institut français des relations internationales (Ifri), au micro de RFI.
Par la suite, le régime du président Roch Marc Christian Kaboré, élu en 2015, a échoué à lutter contre l’expansion jihadiste et à renforcer l’armée. Depuis 2015, près de 400 personnes ont été tuées, selon un décompte de l’AFP. « Il y a tellement d’attaques qu’on a du mal à suivre et à les recenser », admet Corinne Dufka, directrice pour l’Afrique de l’Ouest à l’ONG Human Rights Watch, auteure d’un rapport très étoffé sur le pays.
La plupart des attaques ne sont pas revendiquées, mais elles sont attribuées à des groupes jihadistes, dont Ansarul Islam, le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM, lié à Al-Qaïda) et l’Etat islamique au grand Sahara (EIGS). D’abord concentrés dans le nord du Burkina, les attentats ont ensuite visé la capitale et d’autres régions, notamment l’Est.
Parce que la menace terroriste s’est étendue vers les pays côtiers
« Jusqu’à présent, (…) il y avait des groupes jihadistes au Burkina Faso, au Mali et au Niger et, évidemment, Boko Haram au Nigeria », explique à 20 Minutes Pierre Jacquemot, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) et ancien ambassadeur de France. Mais la menace terroriste s’est récemment étendue vers les pays côtiers.
« La menace a changé de forme, elle est devenue beaucoup plus mobile et ce sont maintenant les pays situés au sud du Mali qui sont les cibles », relève le chef de la diplomatie française, Jean-Yves Le Drian.
« Dans toute cette zone (…) sahélo-saharienne, de la Mauritanie au Tchad, la tendance générale des groupes jihadistes, c’est de descendre, même s’ils ne sont pas implantés, vers la zone côtière, où il y a encore énormément de tourisme », explique aussi sur franceinfo Antoine Glaser, journaliste et spécialiste de l’Afrique, coauteur de Nos chers espions en Afrique (Fayard). Les services de renseignement maliens ont ainsi arrêté, début décembre, des jihadistes soupçonnés de préparer des attentats, notamment en Côte d’Ivoire, rapporte L’Opinion.
Mi-mars, l’armée burkinabée a lancé une vaste opération antiterroriste. Les services de renseignement du Burkina Faso, sur la base d’écoutes téléphoniques, ont alors prévenu le Bénin, le Togo et le Ghana que les groupes armés risquaient de chercher à se replier sur leur territoire, rapportait Jeune Afrique. Le Togo a par ailleurs annoncé fin avril le démantèlement de plusieurs groupes terroristes dans le nord de son territoire.
Parce que la lutte militaire contre ces groupes jihadistes s’enlise
La force antijihadiste Barkhane conduite par la France doit donc faire face à une multiplication des fronts. « Depuis l’opération Serval [remplacée par l’opération Barkhane] en 2013, Al-Sahraoui [le leader de l’EIGS] a changé de doctrine en ne menant plus d’actions frontales mais en multipliant les zones d’instabilité confiées à des commandements très décentralisés », précise à L’Opinion Bakary Sambe, directeur du Timbuktu Institute.
Or la force Barkhane compte 4 500 soldats français dans cinq pays du Sahel, couvrant une aire aussi vaste que l’Union européenne. « Tout cela apparaît effectivement très dérisoire par rapport à l’étendue du territoire concerné », souligne au micro de franceinfo Thomas Hofnung, journaliste au média en ligne The Conversation et coauteur de Nos chers espions en Afrique.
Quant au G5 Sahel, qui réunit le Mali, la Mauritanie, le Tchad, le Niger et le Burkina Faso, il dispose bien d’une force militaire conjointe, mais celle-ci est critiquée pour son manque d’efficacité, comme le relève Jeune Afrique. « Sur le plan des opérations militaires, un rude coup a été porté au G5 en juin, quand son quartier général de Sévaré, au Mali, a été attaqué. Depuis, peu d’opérations conjointes ont eu lieu », note Alain Antil, de l’Ifri, dans La Croix (article payant).
Dans ce contexte, même si « Barkhane n’a pas vocation à rester éternellement dans la zone, (…) le maintien des menaces nécessite cette présence », a estimé Jean-Yves Le Drian sur Europe 1.
Parce que les frontières sont poreuses
Le nord des pays côtiers de l’Afrique de l’Ouest, comme le Togo et le Bénin, est devenu vulnérable ces derniers mois face à la stratégie d’expansion et de multiplication des fronts adoptée par les groupes armés. « Ces pays, notamment le Bénin, sont relativement démunis pour assurer la sécurité de l’ensemble de leur territoire, [en particulier] de leurs frontières. Il y a un problème de capacité, d’équipement », explique Pierre Jacquemot à 20 Minutes.
Les parcs frontaliers, notamment, sont des zones très difficiles à contrôler, malgré un renforcement des équipes de surveillance, entraînées militairement. Dans le parc du W, à cheval sur le Bénin, le Niger et le Burkina, « des combattants originaires du Mali auraient mené dès 2014-2015 une reconnaissance » jusqu’au Bénin, selon un rapport publié en mars par l’institut de recherche Thomas More.
« Il vous arrive de rencontrer des gens à pied dans le parc, mais vous ne savez pas où ils vont ni d’où ils viennent », explique à l’AFP Robert Oké, un guide de chasse et de tourisme du parc de la Pendjari, du côté béninois. « Il y a beaucoup de chemins dans le parc où des gens peuvent passer facilement, surtout en cette période de saison sèche », poursuit le guide, qui a passé toute sa carrière dans la Pendjari.
Cette région reculée du Bénin, à plus de 10 heures de route de la capitale économique Cotonou, avait récemment été placée comme zone « formellement déconseillée » par le Quai d’Orsay, « compte tenu de la présence de groupes armés terroristes et du risque d’enlèvement ».
Source : Francetvinfo