Entretien avec…. Suzanne Daveau, l’auteur des premières études géographiques sur la Mauritanie

Suzanne Daveau est une géographe française qui a élaboré les premières études géographiques sur les falaises de l’Adrar, de l’Assaba et du Tagant et a participé à la glorieuse odyssée des fouilles de Tegdaoust.

Les recherches du Dr Francisco Freiré sur la Mauritanie ont attiré  l’attention d’une ancienne de Mauritanie, Suzanne Daveau que nous connaissions surtout par ses articles mémorables sur la géographie du R’Kiz et de l’Afollé parus dans le Tegdaoust I de 1970. C’est grâce aussi à ce même Francisco,  devenu depuis Chef du projet de recherches en anthropologie politique CAPSAHAERA, que nous avons fait la rencontre de cette pionnière de la géographe africaine. Elle nous a aimablement reçu à son domicile de Lisbonne pour nous accorder une entrevue dans laquelle elle a évoqué entre autres sa carrière ainsi que ses rencontres en un moment où les relations entre Mauritaniens et Français étaient apaisées, où les femmes européennes étaient rares et où l’essence se confondait avec la bière.

 

Le Calame : Vous pouvez nous parler de la Mauritanie et de votre carrière dans ce pays?

Suzanne Daveau: Je suis très contente de votre visite car Il y a 50 ans que je n’ai plus de rapports avec la Mauritanie sinon de temps à autre lorsque j’entends quelqu’un en parler. Pendant les nombreuses années, disons les 10 ans que j’ai passées à Dakar, il n’y avait pas encore d’étudiants mauritaniens. J’ai été à Nouakchott et pour la première que je suis venu à Nouakchott, voilà ce qu’était l’assemblée Nationale. Je trouve la photo extraordinaire il y avait une 2CV et une bicyclette, c’est vraiment le commencement, prenez-là. Vous pouvez la prendre mais aussi celles-ci prises d’avion qui montrent ce qu’était le Nouakchott à l’époque

 

Vous étiez donc installée à Dakar ?

Je suis allée la première fois en Afrique en 1956,  j’ai été travaillé au Mali où j’ai fait ma thèse de géomorphologie sur la falaise de Bandiagara. Puis 2 ans après, j’ai soutenu cette thèse sur le Mali et la thèse principale, c’était un problème tout à fait différent sur la frontière franco-suisse dans le Jura: le rôle des frontières. C’était le moment de la création de l’Université de Dakar, j’étais jeune docteur, ils ont été ravis de me nommer. Je me suis trouvé avec Paul Pelessier qui a fait sa thèse sur les  paysans sérères et  Assane Seck, encore assistant, qui préparait sa thèse sur Dakar. 2 ou 3 ans après sont  arrivés les historiens avec Jean Devisse qui ont commencé à faire les  fouilles à Tegdaoust auxquelles j’ai participé.

 

 Ils vous ont invitée à travailler sur l’Afollé ?

Oui. Jai fait l’étude géographique des lieux où ils travaillaient. Ceci est un livre sur l’ensemble de mes articles sur la Mauritanie qui a été republié ici au Portugal lors de la commémoration des 500 ans des découvertes portugaises.  Quand Il y a eu de l’argent pour des livres.

 

 Vous êtes donc partie avec les historiens pour la campagne de Tegdaoust ?

L’équipe de J. Devisse,  j’étais sa collègue à Dakar et on était très amis, on a travaillé ensemble.

 

 Vous avez fait sa connaissance en France ?

Ah non, il est arrivé à Dakar alors que j’y étais depuis  2 ans

 

En 1960 ?

Écoutez, je vous donne aussi ce numéro de la revue  FINISTERRA qui m’a été offert à ma retraite où il y a toutes les dates, donc ce sera mieux que d’essayer de m’en rappeler. Devisse a fait sa thèse sur un archevêque du Moyen âge de Reims mais il a senti l’appel de l’Afrique. A mon avis, il a fait une œuvre extraordinaire : il a en somme démontré qu’on pouvait faire de l’archéologie en Afrique ; c’est le premier à le faire. Il a formé beaucoup de monde. S Robert était son assistant et Denise Robert, qui avait une formation de géographe, était une espèce d’assistante pour nous. La- dessus, J’ai rencontré dans un congrès de géographie à Stockholm un collègue portugais Orlando Ribeiro et 5 ans, après on s’est marié et je suis venue m’installer ici.

J’ai abandonné non sans beaucoup de tristesse l’Afrique.  J’ai essayé de revenir passer l’hiver en Mauritanie. Je suis retournée, il n’y avait pas encore de téléphone portable quand j’arrivais en Mauritanie. Il n’y avait que le télégraphe qui fonctionnait très mal. Je suis restée donc un mois sans avoir des nouvelles de mon mari qui avait une santé très fragile et qui avait des dépressions en se sentant un peu abandonné. Après 2 ans, je n’avais plus le courage de ces longues séparations. Je suis revenue une fois en 1967 à l’occasion de ce congrès de préhistoire.

 

 Comment s’est passée la première campagne ?

Vous savez moi je faisais que les accompagner, les historiens s’occupaient de tout, ils avaient repéré le site, et ont commencé à gratter, à gratter la terre et ils ont vu qu’il y avait sous les ruines qui affleuraient des choses en dessous. Ils embauchaient des étudiants de l’Université de Dakar et des gens sur place. Moi je tournais un peu à côté, j’ai essayé de repérer  le chemin décrit par Al-Bekri. En ces temps, il n’était pas difficile d’avoir des voitures mais le ravitaillement en essence se faisait mal. Un jour avec le land Rover, je suis partie pour faire la découverte justement du Taskas. Je suis allée aussi loin qu’il était raisonnable d’aller pour pouvoir être sûre de rentrer avec la quantité d’essence que j’avais.

 

Quel contact aviez-vous avec les gens ?

C’était l’époque de la décolonisation. Les choses marchaient très facilement. Il y avait la guerre d’Algérie en même temps mais en Mauritanie et en Afrique Noire tout le monde essayait de faire en sorte que les choses se passent gentiment. Tout se passait bien. Je circulais avec la voiture de l’université de Dakar avec les papiers de l’université. Je me présentais aux chefs de poste locaux.  On passait par le bac de Rosso. J’ai été avec les historiens mais aussi avec Charles Toupet qui était à l’IFAN et avec lequel j’ai fait plusieurs sorties mais je faisais aussi des  tournées toute seule. Par exemple, au  poste IFAN à Atar, j’ai fait un gros travail sur l’Adrar. Je logeais au poste IFAN, une maison louée probablement. Durant un mois d’hiver avec un chauffeur africain venu de Dakar, on travaillait dans la région.  Il y avait le responsable de cette maison qui était un métis franco-musulman Mokhtar Ould Bontemps, quelqu’un de très sympathique. Il était le fils d’un militaire français et parlait français. Ah oui c’est comme ça : Son père était  reparti en France peut- être mourir à la guerre 14-18,  ce qui est arrivé à la plupart de ces jeunes militaires. Le chef suivant du poste d’Atar, je ne sais plus son nom, remarque ce petit garçon pas tout à fait comme les autres et  le met à l‘école, quand Monod a voulu créer le poste IFAN d’Atar, il l’a recruté. Je parlais avec lui souvent le soir

 

Qu’est ce qui vous a beaucoup marqué ?

Beaucoup de choses. Quand j’allais en Afrique, c’était juste après la guerre, il y avait très peu de femmes à l’Université  dans l’université,  j’étais la seconde femme à obtenir un doctorat  de Géographie en France. La première étant madame Beaujeu-Garnier qui a été professeur à la Sorbonne et  d’autre part quand on a créé l’université de Dakar, Il y avait le poste de géographie et j‘étais la seule à pouvoir partir. Mes collègues étudiants, les hommes de ma génération étaient plus vieux, leurs études retardées par la guerre  ou par leur séjour dans les prisons d’Allemagne, je suppose qu’ils n’avaient pas besoin de nouvelles aventures. J’étais donc seule à me présenter et mes professeurs ont été très sympathiques, je n’ai pas senti de réactions anti féministes. Mais on m’a tout de suite dit c’est merveilleux,  vous allez enfin pouvoir entrer en contact avec les femmes d’Afrique parce que nous, les hommes, on ne peut pas. Je suis partie avec cette idée mais en fait c’était beaucoup plus difficile, pour moi, les femmes africaines ne parlaient pas français et je ne parlais aucune langue africaine.

Je me rappelle toujours  c’était à Boutilimit ou dans un petit patelin quelconque de la Mauritanie où j’étais installée, je vois débarquer un jour  4 ou 5 belles mauritaniennes vêtues de leurs beaux pans et  accompagnées du jeune instituteur local qui était le seul à parler l’arabe et à parler français. Elles venaient m’interviewer car elles étaient très  étonnées de ce que je faisais là.

C’était aussi vrai en Afrique Noire, quand j’arrivais dans un village, les femmes du village n’avaient jamais vu une européenne. On se demandait si c’était une femme ou un homme bizarre. Dans certains villages, les femmes m’apportaient un fuseau de laine pour savoir si je savais filer, pour être sûres que j’étais une femme. J’étais obligée de leur dire que malheureusement dans mon pays, les femmes ne filaient pas, je ne savais pas filer. Cela les troublait beaucoup.  Pour revenir à ce commando de Mauritanie venu m’interviewer, elles me posaient un tas de questions : «T’es mariée ? Pas mariée ? Pourquoi pas mariée ?» et c’était très difficile de faire passer toutes ces questions par l‘instituteur. Je n‘ai donc jamais réussi à avoir une conversation de femme avec une femme mauritanienne. Avec les hommes, la relation était correcte, pas trop chaude, à cette époque, il n’avait pas de beaucoup de problèmes, tout le monde essayait de faire que les choses se passent bien. On était en période de décolonisation. Les gens locaux savaient très bien qu’ils avaient encore besoin du système administratif français, c’était ça qui fonctionnait.

Alors justement une histoire d’essence. Nous étions partis dans la partie orientale de la Mauritanie et on ne savait pas l’état des réserves d’essence qui étaient disponibles à l’achat en ces zones. Les géologues, devant nous rejoindre, on avait combiné pour leur dire qu’on allait envoyer un télégramme pour déterminer nos besoins éventuels. Je constate avec Toupet qu’il n ya pas d’essence dans ces régions et je m’adresse à l’administration et j’envoie le télégramme « apportez 50 Litres » et le collègue géologue reçoit le télégramme qui disait « apportez 50 bières » il n’a pas bien compris mais sa femme lui dit emporte de la bière et emporte de l’essence aussi. C’est Théodore Monod qui nous  a expliqué ensuite à Dakar- quand on a raconté cette histoire- comme il ya des gens qui buvaient des bières mais qui ne voulaient pas les appeler les bières parce que c’était interdit, ils appelaient ça des litres. Donc quand j’ai donné au monsieur des télégrammes, il a corrigé et au lieu de litres,  il a mis bière. Voilà de petites histoires de Mauritanie

 

Avez-vous eu des contacts avec les nomades de la région de Noudache ?  

Les nomades passaient tout simplement, j’en ai une photo prise lors de l’excursion panafricaine de Préhistoire : des  gens surpris par les personnes et l’autocar.

Lors d’une tournée avec Toupet, on a eu une panne dans l’Assaba, dont on étudiait les escarpements. On a été recueillis par une famille qui campait sur une grande tente, il fallait envoyer à Aioun ou à Tamchektt, je ne sais plus, pour rechercher un mécanicien. Le chef de tente nous dit : je vais envoyer mon esclave et 2 jours après, ce dernier nous ramène le mécanicien qui a remis la voiture en route.

Une fois dans la région  de l’Inchiri, on est surpris par une tempête de sable qui dure 3 jours, j’ai réussi à retourner à Akjoujt,  j’avais une boussole et je savais que la piste était au Sud. Peu avant cette tempête, on rencontre un jeune couple de mauritaniens qui n’avait plus d’eau, ils  venaient chercher de l’eau dans un puits à 20 km  après s’être ravitaillés, ils sont repartis pour le puits, ils avaient un chameau et je me suis toujours demandée ce qu’est devenu ce couple avec leur chameau.

 

Votre travail avec Toupet, c’était à l’Est ?

J’étais avec lui dans l’Assaba et avec Pierre Michel, j’ai étudié le Tagant, ma première étude c’était en Adrar. Avec les dates de mes publications, vous trouverez tout ça

 

 Qui rencontriez-vous à Nouakchott ?

A Nouakchott, je ne faisais que des escales extrêmement courtes. Je campais chez des français qui étaient ou des profs de lycée ou des gens qui travaillaient au consulat de France, on se recevait.

 

Aviez-vous visité l’Adrar durant la guetna ? :

Non, il fallait que les pistes soient ouvertes mais aussi que la période soit froide ; décembre- janvier- mars. D’autre  part,  la France, comme professeur à l’université nous payait en francs CFA durant l’année académique et nous rapatriait durant les mois d’été pour nous payer en francs français et faire des économies.

 

Propos recueillis et transcrits par Elemine ould Mohamed Baba,
Professeur au département d’Histoire- Université de Nouakchott 

Tiré du site www.lecalame.info/