Réhabilitation des logements des anciens esclaves mauritaniens

Réhabilitation des logements des anciens esclaves mauritaniens

Officiellement, le gouvernement mauritanien essaye par tous les moyens de maîtriser l’esclavage, un phénomène qui a entaché la réputation de ce pays arabo-africain ayant obtenu son indépendance en se libérant de l’occupant français en 1960.

Et bien que plusieurs décennies se soient écoulées depuis l’abolition et la criminalisation de l’esclavage, de nombreuses réminiscences de cette pratique avilissante assombrissent encore le paysage mauritanien. Avec l’affranchissement de plusieurs milliers d’anciens esclaves depuis 1981, plusieurs bidonvilles sont apparus dans les zones rurales.

Il s’agit de quartiers qui leurs sont propres, avec des constructions de fortune faites en étain, qui manquent des commodités les plus élémentaires et qu’on appelle communément « adwaba ».

C’est dans pour améliorer leurs conditions de vie que le gouvernement mauritanien a créé l’Agence nationale pour la lutte contre les séquelles de l’esclavage, pour l’insertion et la lutte contre la pauvreté. Son but est de faire disparaître les réminiscences de l’esclavage en contribuant au développement des agglomérations où vivent les anciens esclaves.

« Les Villages de Bourat » sont la première agglomération construite par le gouvernement mauritanien dans ce cadre-là. Ces habitations sont situées à 60 kilomètres du centre administratif de Male et à 140 kilomètres de la ville d’Aleg, chef-lieu de la province de Brakna.

Discrimination positive

Il y a une dizaine d’années, l’existence même d’établissements de services, tels qu’un hôpital ou une école, représentait un rêve inaccessible pour les habitants. C’est du moins ce que nous a confié Mohamed, un ancien esclave.

Aussi salue-t-il la construction, par l’Etat, d’une école composée de neuf salles de classe dans le nouveau village, ainsi que d’un centre de santé, d’un marché pourvu de deux vastes pavillons et de trois locaux à usage sécuritaire, en plus d’une mosquée pouvant accueillir 2000 fidèles.

Mohamed pense néanmoins que malgré la discrimination positive dont les agglomérations d’adwaba ont bénéficié à Bourat, avec la création des établissements de services à proximité des citoyens, les administrations gouvernementales de tutelle ont failli à beaucoup de leurs engagements. Notamment, la construction des ponts, l’approvisionnement en eau potable, la viabilisation des terrains agricoles et la promotion des jeunes diplômés nés de parents anciennement esclaves.

D’un autre côté, Mohamed ne dissimule pas son indignation de voir la récupération politique de la cause des anciens esclaves par certains chefs de tribus dans la région de Bourat. Aussi revendique-t-il que cette mainmise soit levée et qu’on laisse ces anciens esclaves libres de décider eux-mêmes de leur destin, étant donné, dit-il, que l’ère de la servitude est définitivement révolue.

Récemment, non loin de Bourat, le premier ministre mauritanien Yahiya ouelt Hademine a inauguré deux agglomérations à Amboud et à Monguel, construites pour loger d’anciens esclaves ou « Haratines » comme on les appelle en Mauritanie.

Ces constructions qui seront prêtes dans un délai d’un an donnent de l’espoir à Naji qui y voit une délivrance, notamment après la marginalisation qui a été le lot des adwabas de Monguel pendant de nombreuses décennies.

Naji est un patriarche issu de la communauté des anciens esclaves. Il raconte à Dune Voices la façon dont ils ont été exclus pendant de nombreuses années des projets de l’Etat, ayant toujours été exclusivement représentés par leurs anciens maîtres. Dorénavant il souhaiterait faire en sorte qu’ils ne soient plus représentés que par eux-mêmes, sans tutelle de qui que ce soit.

Selon l’état mauritanien, la réalisation de ces agglomérations s’inscrit dans le cadre d’une stratégie globale visant à grouper les villages afin de pouvoir centraliser et rationaliser les services en réduisant la distance qui les sépare des habitants des campagnes.

L’Agence de lutte contre les séquelles de l’esclavage assure par ailleurs que la construction d’autres logements groupés destinés aux anciens esclaves va bientôt être lancée. En effet, plusieurs missions d’experts ont été envoyées dans les villages et les agglomérations des régions concernées afin de réaliser les études techniques du terrain et d’évaluer les besoins urgents des citoyens devant bénéficier de ce service.

Des interventions insuffisantes

Addou Ouelt Ahmednah, sociologue, considère que les interventions économiques de l’Etat en matière de lutte contre les séquelles de l’esclavage ne sont pas suffisantes. Il met également en garde contre la plaie psychologique profonde qu’a laissé cette pratique chez les victimes qui continuent à souffrir des pressions et des cicatrices laissées par leur ancien état de servitude.

Cela est clairement accentué selon Ouelt Ahmednah par l’attitude de mépris et de dédain exprimée par les autres catégories sociales. En effet, contrairement aux autres communautés de la société mauritanienne, les anciens esclaves ne jouissent d’aucun respect, ni même de la moindre considération, en plus du fait d’être parfois dépouillés de leurs droits légitimes en matière de propriété et d’héritage.

Dans un document que Dune Voices a pu consulter, le parti d’opposition « Tawassol » met en garde contre les conséquences néfastes de l’esclavage sur la société mauritanienne, notamment en ce qui concerne la question de la propriété foncière. En effet, certains villages et certaines tribus refusent parfois de s’associer à d’anciens esclaves dans la propriété de terrains agricoles, quittes à ce qu’ils se privent d’exploiter et de tirer bénéfice de ces terrains.

Ces informations sont confirmées par les rapports de la commission nationale des droits de l’homme qui font état de nombreux cas où d’anciens esclaves s’épuisent pendant plusieurs dizaines d’années à viabiliser et à cultiver des terres fertiles, pour que certains « maîtres » puissants viennent du jour au lendemain les leur reprendre, forts de décisions de justices obtenues grâce à des titres de propriété originels.

Saïed Mohamed Ouelt Khalifa
Source : DuneVoices