Lettre ouverte aux travailleurs de la raffinerie : Nous avons raté de raffiner le pétrole de Chinguitty et l’on fera de même aujourd’hui pour le gaz d’Ahmeyim !

Mes chers collègues,

J’ai été très heureux de travailler avec chacun d’entre vous et vous souhaite le meilleur pour l’avenir. Comme vous le savez, la Direction Générale de la SOMIR a mis fin à mon contrat suite à l’article que j’avais publié sur la raffinerie. Il faut ici préciser que l’article N°7 de ce contrat stipule que « tout différend que les parties ne pourraient pas régler à l’amiable sera soumis aux juridictions compétentes ».Ce genre de comportement me laisse cependant indifférent. J’ai suffisamment de moyens pour me défendre, si je le juge nécessaire, mais je me sens frustré à cause du sort de nos enfants qui doivent vivre avec ce genre d’injustice pour longtemps encore.

L’institution « Défenseur des droits » comme celle en France n’existe pas chez-nous. Elle a pour rôle de régler les litiges liés au mauvais fonctionnement du service public et de l’administration. Nous sortons d’une décennie difficile et certains de nos responsables mettront du temps pour se mettre au pas. Les pratiques ont été telles que, comme dit le proverbe maure,« ce qui tuait ne fait plus honte ». Même l’ancien président de la République s’était choisi la voie de l’enrichissement frauduleux et le peuple n’avait pas besoin de commission parlementaire ou d’enquête judiciaire pour s’en persuader. Le pays est « trop petit pour cacher ces choses ».

Selon le Rapport 2020des Nations Unies sur le développement économique, les flux financiers illicites transfrontaliers coûtent, aux pays africains, une cinquantaine de milliards de dollars par an, bien plus que l’aide publique au développement que le continent reçoit chaque année. Les flux financiers illicites privent les trésors publics de nos pays des ressources nécessaires au financement des dépenses de développement et freinent leur croissance.

La politique que nous avons vécue durant cette décennie noire nous a conduits à une congestion sociale et ethnique sans précédent. Pourtant, comparativement à l’Indonésie enchevêtrée de 1110 ethnies et 700 langues actives, on se trouve dans une situation idéale. Cette incroyable Nation a fait de sa diversité sa devise nationale « Unité dans la diversité ». Le fait d’être un pays pluriethnique et multilingue n’est certes pas un obstacle en soi mais plutôt une force, si une politique transparente basée sur l’équité et l’égalité des chances est adoptée.

Le chômage bat son plein. La main d’œuvre étrangère inonde le marché local et nous sommes devenus, au cours de ces dernières années, une source d’exportation de devises à l’étranger, par l’intermédiaire du marché de l’emploi et de prestations au détriment de notre pays. La fondation de centres de formations techniques en langues nationales aurait pu permettre aux jeunes de se former rapidement sur les différends métiers (plomberie, électricité, mécanique, soudure métallique, maçonnerie, etc.). Ici, je donne comme exemple le fait d’avoir fait travailler, sur des pipes d’hydrocarbures, des soudeurs sénégalais homologués par SGS qui ne savaient ni lire ni écrire.

 

Indicateurs de pauvreté en hausse

Cette politique aurait pu contribuer à la lutte contre le chômage, la pauvreté, la dépravation et particulièrement la criminalité. Notre pays s’est mal préparé pour la zone de libre-échange continentale africaine que nous avons ratifiée et qui doit démarrer bientôt. Le pouvoir actuel hérite d’un lourd fardeau. Face à l’inadéquation de la pauvreté de la population par rapport à l’abondance de nos ressources extractives et la déconfiture du secteur industriel, le secteur tertiaire de l’économie n’est pas de bonne augure particulièrement pour les PME censées stimuler la croissance et l’emploi.

Elles souffrent déjà, avant l’intégration à ce marché africain, de règles de jeu hypocrites. On exige pour tous les prestataires nationaux des critères sévères, tel que le niveau élevé du chiffre d’affaires, du capital, des expériences similaires… au point où l’on se demande s’il existe réellement, chez nous, une politique nationale de promotion de l’initiative privée. Face à cette situation, ce sont les entreprises étrangères (chinoises, sénégalaises, tunisiennes, etc.) qui répondent au mieux à nos critères de passation de marché et ce sont finalement elles qui gagnent le jackpot. Comme disent les Maures, « au moins, ils n’ont qu’à partager avec nous»…

On nous faisait miroiter, les années passées, des indicateurs de développement économiques élevés, alors qu’en réalité, c’étaient les indicateurs de pauvreté qui étaient en hausse, chaque année, avec une augmentation fulgurante de la dette extérieure. Ces indicateurs s’expriment par le pourcentage de personnes en-deçà du seuil de pauvreté, le pourcentage de chômeurs, l’exclusion d’une partie de la population, le taux d’illettrisme des adultes etc. Pour la raffinerie de Nouadhibou, nous avons vu dans un précédent article (1) comment elle fut stigmatisée à tort par certains de nos responsables. Mais cela n’a pas empêché les autorités de continuer à financer la SOMIR par des centaines de millions d’ouguiyas pour son entretien (de 2002 à 2010) sur le compte du contribuable. Malheureusement, cette maintenance est restée littéralement absente au fil des années.

L’une des réactions salutaires à ma campagne pour la raffinerie était celle du CMJD en 2005 par la nomination d’un ingénieur de pétrole à la tête de la SOMIR. Il a eu juste le temps de réaliser une étude sur la raffinerie par le bureau canadien CIMA-OPTEC avant d’être remplacé. En 2010, ayant vu venir l’option de son abandon total, j’ai adressé une lettre ouverte au président de la République, soulignant que le coût de sa réhabilitation n’était que de trente millions de dollars, selon CIMA-OPTEC. Deux mois plus tard, la décision fatidique de son abandon fût prise avec le désengagement total de l’État envers la maintenance des installations. Cette option ne faisait référence à aucun avis technique.

Après toute cette période d’abandon, l’usine a aujourd’hui besoin d’être mise dans des conditions acceptables en termes de nettoyage, peinture, entretien et sécurité, avant qu’on puisse discuter de son sort. En tout cas, il n’est pas dans l’intérêt de la SOMIR de présenter une usine délabrée, au risque de porter atteinte à son professionnalisme et à sa renommée. La raffinerie dispose d’une unité de traitement de gaz muni de quatre sphères de stockage et d’un port pétrolier. Face à la production de gaz attendue en 2023, devons-nous nous débarrasser de cette unité? Quel gâchis ! L’histoire se répète et se ressemble. Nous avons raté de raffiner le pétrole de Chingitty et aujourd’hui on fera de même pour le gaz d’Ahmeyim ! En d’autres termes, au moment où nous produirons du gaz GPL en offshore, notre pays continuera à importer du butane pour nos foyers.

Mes chers amis, je vous quitte avec l’amertume de n’avoir jamais pu être entendu sur le problème de la raffinerie mais je pense que nous devons tous agir en synergie avec notre département pour lui trouver une issue honorable. Je vous salue.

El Hadj ould Sidi Brahim

Ingénieur d’État en raffinage-pétrochimie

Ancien chef de production avec la société algérienne Naftal

Ancien directeur technique de SOMIR

 

Note 

(1) : Voici  le lien du précédent article sur la raffinerie : http://taqadoum.mr/fr/node/6240