Marie Jaspard: « On l’a fait avec Ebola, on peut le refaire avec le coronavirus »

Marie Jaspard, l’une des scientifiques qui travaillent depuis plusieurs années en Afrique sur les fièvres hémorragiques Ebola ou Lassa, provoquées par de nouveaux virus.

Un entretien par Nathalie Prevost

Les recherches sur les nouveaux virus type Ebola ou Lassa ont permis de dégager des pistes prometteuses de traitements et de vaccins pour faire face, y compris en Europe, à la pandémie du Coronavirus. Voici le credo presque optimiste du Dr Marie Jaspard, chercheur infectiologue.

Coordinatrice du Pôle maladies émergentes CORAL (une plateforme qui réunit l’ONG ALIMA et l’Inserm), le dr Jaspard conjugue deux expertises : celle de médecin humanitaire et celle de chercheur en infectiologie. Elle a travaillé pour Médecins sans Frontière, la Croix Rouge Française et l’ONG ALIMA en Haïti, au Sud-Soudan, en Guinée et en République Centrafricaine, sur les épidémies en général et, plus particulièrement, le choléra, Ebola, la fièvre de Lassa (une fièvre hémorragique foudroyante) et le VIH-sida.

De la recherche « opérationnelle »

« J’ai une expérience de terrain que j’essaye de coupler avec mes compétences scientifiques pour faire de la recherche-action, qui exige à la fois de la rigueur scientifique et une certaine connaissance des terrains humanitaires », résume-t-elle. Sa recherche à elle, c’est ce qu’on appelle de la « recherche opérationnelle », c’est-à-dire une recherche menée dans un temps rapide, à partir de données récoltées alors que l’épidémie bat son plein.

Ces maladies émergentes ont des points communs: elles sont négligées, difficiles à prendre en charge et il n’existe pas, ou peu, de vaccins.

Les travaux issus de la recherche sur chacune de ces nouvelles maladies négligées sont utiles à toutes les épidémies, le Coronavirus bien sûr mais aussi les épidémies à venir. « Ce qu’on a fait sur Lassa, on l’a refait sur Ebola; on peut le refaire sur le Coronavirus. Financer des acteurs de recherche pour une épidémie de type Lassa permet de former des gens qui seront opérationnels sur d’autres maladies. Ces maladies émergentes ont des points communs : elles sont négligées, difficiles à prendre en charge et il n’existe pas, ou peu, de vaccins.  Par exemple, nous sommes en train d’évaluer un médicament contre la fièvre de Lassa qui pourrait être prometteur pour le Coronavirus. Toutes les études qu’on réalise sur le médicament, la dose adaptée, pourront être disponibles dans gestion d’autres épidémies », explique-t-elle.

La recherche opérationnelle se déroule dans le temps et sur le lieu de l’épidémie, les deux volets de l’intervention médicale – prise en charge des patients et recherche – étant déployés en même temps. « Une épidémie de fièvre de Lassa s’est déclaré en 2017 au Nigeria. Lorsque nous avons été sollicités pour y répondre, nous sommes venus avec des tenues de protection, des médicaments, des générateurs, des extracteurs d’oxygène… bref tout ce qu’il faut pour soigner les malades. Et en parallèle, nous avons monté un projet de recherche clinique pour documenter cette maladie. La réponse humanitaire et la recherche médicale ont été mises en œuvre en même temps. C’est l’idéal. Nous avons profité de données immédiates, collectées avec la rigueur scientifique qui s’impose. Certes, la recherche exige un certain délai pour leur exploitation, mais le processus est tout de même très rapide : en deux ans et demi de travail sur la fièvre de Lassa, nous avons réalisé plusieurs études qui répondent à beaucoup de questions, plus qu’en dix ans auparavant. »

La « virginité » de la maladie

Ces maladies virales ont plusieurs similarités. Leur « virginité » d’abord et l’absence de médicament efficace connu. C’est ainsi que les médicaments déjà évalués contre Ebola, le Favipiravir et le Remdesivir, vont pouvoir être testés sur le Coronavirus. « On va également essayer d’utiliser le vecteur du vaccin mis au point contre le virus Ebola pour un futur vaccin contre Lassa et le Coronavirus », poursuit Marie Jaspard.

Toutes ces nouvelles maladies sont issues du rapprochement entre l’homme et des animaux sauvages. « Le virus Ebola est issu du rapprochement entre l’homme et la chauve-souris, celui de Lassa entre  l’homme et le rat et le Coronavirus entre l’homme et le pangolin. Ces maladies se développent chez l’homme à cause contacts entre les animaux et les hommes », poursuit-elle. Si Lassa est assez peu contagieuse, Ebola, à l’inverse, tue son hôte très rapidement, ce qui limite la contamination. « Un virus ‘efficace’ ne doit pas tuer trop rapidement son hôte pour continuer à se propager. »

Ces sauts d’espèces sont favorisés par l’activité humaine, notamment la déforestation ou certaines pratiques agricoles qui poussent les animaux porteurs des virus à se rapprocher des hommes. « Au Nigeria, comme le rat n’avait plus assez à manger dans la forêt, il s’est rapproché des hommes et leur a transmis la fièvre de Lassa.  C’est pour ça qu’on sait que ces épidémies vont revenir. L’évolution du monde va dans ce sens-là. » Le deuxième facteur de propagation, c’est la globalisation. « Plus on se déplace, plus ces maladies se diffusent. C’est peut-être un vœu pieux, mais si on ne change pas notre manière de fonctionner, on devra faire face à d’autres épidémies. »

L’infectiologue le rappelle, ces dernières années, la République Démocratique du Congo a déjà connu 10 épidémies Ebola. « Si un jour le virus Ebola mute – ce qui est parfaitement possible – une diffusion mondiale, à l’instar du Coronavirus, est tout à fait  envisageable. Tous les virus peuvent muter pour être mieux adaptés et contaminer plus de monde. C’est pour cela qu’on les surveille de près car pour les  éradiquer, nous n’avons que deux solutions : un vaccin très efficace ou une immunité collective de masse. Et dans un contexte de méfiance à l’égard des vaccins, peut-être que la prochaine épidémie… ce sera tout bêtement la rougeole !»

L’Afrique pourra-t-elle échapper à l’épidémie de Coronavirus ? Non, malheureusement, répond Marie Jaspard. « Il y a peu de chances que ça se passe mieux que dans les pays du Nord. Certes, il y a des structures, des gens qui réfléchissent, des conseils donnés par l’Organisation Mondiale de la Santé depuis des années ; les  problèmes sont pris à bras le corps et il n’y a pas de raison que les pays d’Afrique fassent moins bien que nous. Mais les capacités de prise en charge en réanimation restent très faibles et un problème d’accès aux soins se posera immanquablement. »

Des doutes sur le confinement

Quant aux mesures de confinement, elles seront difficiles, voire impossibles, à tenir. « Confiner des gens qui n’ont pas de revenus fixes, ce sera compliqué. Il se posera un problème de survie des individus et on risque de créer des situations explosives. »

Alors que faire ? « Je change d’avis tous les jours sur cette question du confinement », avoue-t-elle. L’essentiel, pour la chercheure, est de tenir le cap d’une recherche de qualité. « Nous sommes dans l’urgence, certes, mais il faut respecter de la rigueur scientifique pour prouver ou pas l’efficacité des choses. » Et lorsque l’épidémie sera derrière nous, il faudra continuer à « financer des projets de recherche pour continuer d’apprendre des expériences des autres maladies émergentes. »

 

Le 13 avril 2020

Entretien par Nathalie Prevost (Mondafrique)

Source: Mondafrique