Presque trente ans que la Mauritanie cherche à organiser le passage le témoin de la présidence, par alternance pacifique issue d’élections libres, justes et transparentes. De 1992 à aujourd’hui, cette volonté relève du vœu pieux : tous les scrutins ont été émaillés d’irrégularités qui en ont torpillé le processus.
La présidentielle de 2007 prouva, pourtant et quoiqu’on en dise, que cette alternance pacifique au pouvoir est possible. C’est la seule chance, pour le pays, de se défaire du rouleau compresseur d’un système militaire qui le tient en otage depuis le 10 Juillet 1978, dans une gestion catastrophique dont les conséquences affectent tous les aspects de la vie nationale.
Mais alternance requiert opposition forte et organisée. Une opposition capable de comprendre les jeux et les enjeux du moment et d’accepter, loin de tout calcul et de toute compromission, de dépasser ses incompréhensions et de ranger momentanément au placard ses divergences, parfois d’ailleurs injustifiées, afin de resserrer les rangs autour d’un objectif commun : remettre le pays sur les rails d’un véritable processus démocratique où toutes les institutions républicaines jouent leur rôle, sans interférence ni assujettissement.
Tant que l’opposition n’a pas pris le temps ni le courage d’accorder ses violons, toute alternance au pouvoir est illusoire. Il ne serait donc pas inutile que cette opposition organise des journées de réflexion et d’évaluation de son processus, en tant qu’institution, de 1992 à aujourd’hui. Elle y découvrira, certainement, les vraies raisons de ses interminables déroutes et réfléchira aux stratégies pour éviter les pièges à cons que les systèmes successifs lui ont toujours tendus.
Sans revenir trop en arrière, rappelons-lui les fameux accords de Dakar et leurs conclusions qui n’ont, finalement, servi qu’à légitimer une mascarade d’élection présidentielle dont les résultats étaient connus d’avance.
Qui ne savait pas, en 2009, que les dés étaient déjà pipés ? Que le fameux gouvernement de quinze jours et la démission de Mohamed Ould Abdel Aziz n’étaient que du n’importe quoi ? Que sont devenus après les ministres de la Défense, des Finances et de l’Intérieur de ce gouvernement ? L’opposition ne doit plus accepter de participer, sans garanties, à des élections où les règles démocratiques les plus élémentaires ne sont pas respectées.
Aux dernières législatives, régionales et municipales, l’Etat a mis en branle tous ses moyens : ministres, généraux, hauts fonctionnaires, toutes les administrations ont battu campagne, au vu et au su de tous. Sans surprise, l’opposition n’a obtenu que des résultats… catastrophiques.
Toute justification, a posteriori, de cette déroute est fallacieuse : rien n’obligeait cette opposition à participer à des élections organisées dans des conditions si désastreuses. Rebelote ? A quelques mois de la présidentielle de 2019, l’Etat est déjà en pleine campagne, alors que l’opposition n’a même pas encore décidé son ou ses candidats. Sur le plan purement technique, rien n’a changé.
La même commission électorale nationale « indépendante » se prépare à superviser la consultation. Le fichier électoral n’a pas été changé. L’administration territoriale s’apprête à jouer son rôle traditionnel d’orientation et d’intimidation des populations, surtout dans les réservoirs électoraux éloignés du grand Est. L’armée continue à s’impliquer, directement, en politique.
Ses généraux (chefs d’état-major des armées, DGSN et directeur général des douanes) reçoivent, dans leurs bureaux, les chefs de tribus, les notables, les syndicats de retraités et autres personnalités traditionnellement influentes. Les ministres du gouvernement et ses députés mobilisent les foules.
Ah qu’il est éloquent, le déplacement du ministre de l’Intérieur et de la décentralisation, dans toutes les wilayas du pays, pour vulgariser la candidature d’Ould Ghazwani ! Autant d’indices – pour ne pas dire preuves – qu’aucune loi ne sera observée ni respectée la neutralité de l’Etat.
Dans ces conditions, la participation de l’opposition à l’élection ne serait qu’un autre piège à cons. Va-t-elle encore y tomber ? Histoire de légitimer, pour la énième fois, une parodie de consultation électorale juste prêt-à-porter à la suppléance d’un général par un autre, perpétuant l’emprise du pouvoir militaire encore cinq à dix ans, en attendant de passer la main à un autre général.
Autant laisser le pouvoir dans ses travers, plutôt que de tomber dans ses pièges et se ridiculiser, avec des scores électoraux « faits à la main ». Partis de l’opposition et autres candidats, entrer dans cette mascarade, c’est, à coup sûr, n’avoir ensuite que vos yeux pour pleurer et vos blablas pour dénoncer, inutilement, des faits et gestes dont vous porterez une part de responsabilité.
El Kory Sneiba
Source : Le Calame (Mauritanie)