Le leader de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), célèbre opposant mauritanien, Biram Dah Abeid, est sorti de prison lundi 31 décembre, au terme d’un procès devant un tribunal de Nouakchott pour « menaces » contre un journaliste. Condamné à six mois de prison – dont deux fermes – , Biram Dah Abeid a purgé plus que sa peine : il était en détention depuis le 7 août.
Entre temps, le militant haratine et antiesclavagiste a été élu député lors des législatives de septembre remportées par le pouvoir, sous les couleurs du parti Assawab, avec qui l’aile politique de l’IRA s’est allié.
Ce n’était pas la première fois que l’opposant quinquagénaire, connu pour son franc-parler, si ce n’est son « sang chaud », était placé en détention. En 2012 et en 2014, il avait déjà été arrêté. La seconde fois, dans la foulée des élections présidentielles de 2014, auxquelles il s’était présenté face à l’actuel président Mohamed Ould Abdelaziz, il avait passé dix-huit mois derrière les barreaux.
Jeune Afrique : Quelques jours après votre sortie de prison, quel est votre état d’esprit ?
Biram Dah Abeid : Le même qu’en y entrant, bien que mon optimisme s’accentue. Je crois que nous nous approchons toujours plus de notre but, à savoir débarrasser le pays du système de castes qui y prévaut. Par ailleurs, mes pensées vont à ceux qui continuent de subir la prison, comme le jeune blogueur Cheikh Ould Mohamed Ould Mkheitir.
Un certain nombre de gens ont été étonnés par l’alliance conclue en mai 2018 entre l’IRA et Assawab, parti aux références panarabes et baathistes. Le comprenez-vous ?
Je pense que des preuves ont été apportées par Sawab de sa compatibilité parfaite avec la lutte pour la démocratie et l’état de droit en Mauritanie. Nous avons notamment présenté deux femmes haratines, Adama Sy et Habi Mint Rabah, respectivement veuve d’un militaire assassiné dans les années 1990 et une ancienne esclave, descendante d’esclaves.
De l’autre côté, cette alliance est une preuve que ceux qui dépeignaient l’IRA comme un parti « anti-Maures » ne faisaient là que de la propagande, mensongère qui plus est. Ceux qui ont aujourd’hui intérêt à diaboliser cette alliance entre l’IRA et Sawab sont le plus souvent des affidés du pouvoir, même si je sais que quelques groupes militants négro-mauritaniens l’ont accueilli froidement. Enfin, je rappelle que la première raison de notre quête d’alliés dans le champ partisan vient de l’impossibilité qui nous est faite de nous constituer comme parti.
Vous avez été élu député et allez rejoindre les bancs de l’Assemblée nationale. L’IRA est-elle capable de s’emparer de l’ensemble des questions politiques et économiques nationales, au-delà de la lutte contre l’esclavage et les discriminations envers les Haratines ?
L’IRA n’est plus une petite association. Nous avons de nombreux cadres, y compris arabo-berbères, tous très engagés et pour beaucoup talentueux. Je crois qu’une simple lecture de la plupart de nos communiqués de presse ou déclarations, surtout comparé avec ceux d’autres partis, prouve que nous sommes largement capables de débattre de toutes les questions à l’ordre du jour. Et nous avons une échéance qui sera parfaite pour prouver que nous savons rassembler et tenir un langage qui parle à l’ensemble des Mauritaniens : l’élection présidentielle de 2019.
Vous y présenterez-vous ?
Absolument ! Je pense être un des rares, si ce n’est le seul candidat déclaré. Je serai présent aux élections présidentielles pour faire face au régime. En 2014, quelques semaines après les élections auxquelles je m’étais présenté, j’étais enfermé. En 2018, quelques jours après l’alliance avec Assawab pour participer aux législatives, j’ai été enfermé. Je ne sais pas ce qu’on me réserve cette fois-ci, mais je suis prêt.
En plus du vôtre, deux autres noms d’opposants reviennent souvent en Mauritanie : celui de l’homme d’affaires Mohamed Ould Bouamatou, et celui de l’ancien sénateur Mohamed Ould Ghadda. Entretenez-vous de bonnes relations avec eux ?
Nous connaissons des difficultés communes : eux aussi sont constamment ennuyés par les autorités. Moi, en tant que candidat à l’élection présidentielle, je me dois de connaître et de prendre attache avec les personnes reconnues par des franges du peuple mauritanien comme des opposants crédibles.
C’est le cas de Bouamatou, avec qui je n’ai pour le moment que des contacts distants, mais cordiaux. Quant à Mohamed Ould Ghadda, nous nous voyons souvent, et il était avec moi dès le lendemain de ma libération pour discuter du présent et de l’avenir.
Par Jules Crétois
Source : Jeune Afrique