A maintes reprises, Mohamed Ould Abdel Aziz a répété cette phrase qui en dit long sur ses intentions : « nous ne laisserons pas le pouvoir entre des mains qui ne sont pas sûres ». Entendez : « si je dois quitter la présidence, il faut bien que mon successeur soit un homme du sérail ». Quelqu’un qui ait partagé avec lui tout ce qu’il a fait de mal plus que de bien à ce pays.
Dans cette perspective, le président Aziz a déjà entamé la mise en place du Système qui lui permettrait de partir en toute tranquillité. Ou de rester aux commandes. Après avoir supprimé le sénat, en 2017, il a assuré la mainmise de l’Union pour la République (UPR), le parti au pouvoir, sur l’Assemblée nationale.
La centaine de députés issus de la formation présidentielle peut compter, le moment voulu, sur la trentaine d’autres élus de cette majorité diffuse qui obéit aveuglement aux « directives » du Chef.
En témoignent l’élection comme président de l’Assemblée du député de Zouerate, Cheikh Ould Baya, colonel à la retraite et ami personnel du président Aziz, ayant obtenu 118 voix contre 27 au candidat présenté par les islamistes de Tawassoul et soutenu par les autres formations du Forum national pour la démocratie et l’unité (Fndu).
Mais la grande surprise est venue de l’élection de Boidiel Ould Houmeid au poste de premier vice-président de l’Assemblée. Cet ancien ministre des finances de Taya, à la tête du parti «Al wiam» qu’il range lui-même dans ce qu’il appelle « l’opposition responsable » a rejoint la majorité présidentielle le jour où il devait sceller ce pacte d’alliance avec l’UPR ! L’oubli du parti au pouvoir de tous ses élus et ceux de ses alliés de la majorité pour porter Boidiel à ce poste de choix a fait du bruit au sein d’une majorité à laquelle le président Aziz applique la méthode LIFO (last in, first out), ou dernier venu, premier servi.
Ce choix controversé fait pourtant partie de la stratégie mise en branle pour que la majorité actuelle, renforcée par l’arrivée de « l’opposition modérée » (APP, Al wiam, ADN) remporte la présidentielle en 2019.
La maîtrise de l’Assemblée nationale fait partie, apparemment, de l’échafaudage qui permettrait à Aziz, devenu « ancien président » à continuer à s’impliquer dans les affaires courantes. Avec le contrôle du parti au pouvoir et le choix d’un dauphin dont le profil se dessine déjà sous les traits du général Ghazouani, actuel chef d’état-major général des armées, une sorte de triumvirat serait le « modèle » mauritanien au montage « poutinien » de 2008.
Ce que l’actuel homme fort du Kremlin a élaboré a fait école chez son ami Erdogan et pourrait bien servir les desseins d’Aziz : la Constitution lui interdisant de concourir pour un troisième mandat consécutif, Poutine soutient en 2008 la candidature de Dmitri Medvedev à la présidence.
Une fois élu, ce dernier le nomme président du gouvernement. Dans la foulée, Vladimir Poutine prend la direction du parti Russie unie et restaure la toute puissance d’une URSS disparue suite à la chute du Mur de Berlin, en 1989.
Le syndrome de 2005
Mais Aziz n’est pas Poutine et la Mauritanie n’est pas la Russie. D’aucuns craignent que cette stratégie ne tourne au scénario auquel on assiste actuellement en Angola. Le 24 septembre 2018, Jose Filomeno dos Santos, fils de l’ancien président, a été placé en détention provisoire dans le cadre d’une affaire de détournement de fonds de 500 millions de dollars US.
Ayant quitté le pouvoir, après 38 ans de règne (1979-2017), Dos Santos a levé le dernier rempart de sa « protection » en cédant, le 8 septembre dernier, la présidence du Mouvement populaire de libération de l’Angola (MPLA), le parti au pouvoir, à João Lourenço, président de la République.
En Mauritanie, les « fidélités » sont au pouvoir, pas aux hommes. Le président Aziz l’a parfaitement compris, quand il a décidé de battre campagne pour l’UPR, et maintenir, à son plus haut niveau, une mobilisation qui a permis au parti au pouvoir de remporter les élections municipales, législatives et régionales du 1er et 15 septembre 2018.
Le défi maintenant est de maintenir le cap, jusqu’à l’élection, en 2019, d’un « président qui rassure ». Un successeur qui ne risque pas de lui rejouer le coup de Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi, en refusant son autorité de « bienfaiteur » (faiseur de président) ou, pire, en lui demandant de rendre compte d’une décennie de gestion sans partage du pouvoir.
Par Mohamed Sneïba Comité Editorial – Casablanca
Source : Afrimag (Maroc)