Birame et moi

Birame et moiComme tout nouakchottois, je rencontre Birame depuis la fin des années 1990 à Nouakchott.

Lors de nombreux séminaires, où il était question d’esclavage ou de ses séquelles, débat stérile visant à vider le concept de sa substance, tout en faisant croire que le fait de parler tout simplement de ce mal est, en soi, un progrès. Bien sûr, le choc était inévitable. Il est vrai que, l’homme ne laisse pas indifférent, ou l’on est pour ou l’on est contre.

J’avoue que, de prime abord, j’étais contre tout en ne comprenant pas les raisons qui poussaient l’auditoire, la société civile, hommes et femmes liges du pouvoir, à diaboliser Birame.

Un jour, nous allâmes ensemble au marché pour procéder au changement de devises, acquises de per diem au terme de six jours de séminaires financés par une agence des Nations Unies. Nous partîmes ensemble au marché de la capitale. Notre discussion se déroula sans anicroche.

Bien sûr, en tant que journaliste de la presse écrite, puis électronique, et enfin, audiovisuelle, j’eus à rencontrer l’homme, à traiter d’informations le concernant. Je me limitais au factuel, à l’évènementiel, à l’analyse suivant les rapports de forces qui, bien souvent, par un prisme déformant, tendent à montrer Birame sous un jour désavantageux, à l’instigation de certains.

Lorsqu’il reçut une haute récompense décernée par le ministère américain des affaires étrangères, je fus éberlué par l’indifférence, si ce n’est la déception, que des mauritaniens ne fussent pas fiers qu’un des leurs se fût distingué sur la scène internationale. Car, il va sans dire que si Birame n’avait pas reçu ce prix-là, ce serait un ressortissant d’un pays étranger.

Au moins, cette raison aurait dû amener les mauritaniens à faire preuve de sentiments positifs par rapport à cela. Au lieu de quoi, une levée de boucliers fusa de milieux, à vrai dire, soit franchement proches du pouvoir, soit se recoupant avec lui sur certains points, d’où une convergence d’intérêts que le régime s’évertue à instrumentaliser contre Birame, mais aussi, de façon extensive, contre les opposants.

Puis, un jour, je le rencontrai par pur hasard. Nous discutâmes de choses et d’autres. Un échange courtois, sans parti pris. Appartenant à la même génération, nous n’eûmes aucun mal à nous comprendre.

En ce qui concerne les sorties musclées de Birame, sa véhémence au sujet des « Bidhanes », de personnalités issues de cette frange – dont, au demeurant, je suis issu, soit dit en passant – je ne comprends pas pourquoi lui opposer un argument alors que les vrais coupables de crimes réels sont présentés sous leur meilleur jour et respectés.

Il convient de nous poser la question : qui est Birame ? Je ne parle pas de son identité civile. Je parle de ce qu’il est. Car Birame est critiqué, toujours critiqué, pour ce qu’il est et non pour ce qu’il fait. Birame est « haratine », descendant d’esclaves.

Cette situation lui vaut d’avoir vu ce que c’est qu’être haratine, ce que c’est qu’être descendant d’esclave, d’avoir entendu les plaintes, pas nécessairement verbales, de cet état de « servage », d’avoir touché à ce mal qui, depuis la nuit des temps, frappe les siens. Birame vocifère, gesticule, insulte au passage, égratigne au besoin, mais pourquoi le fait-il ? C’est pour nous amener à regarder ce que nous refusons de voir, ce que nous évertuons à présenter en des mots « euphémistiques ».

Haratine ou pas, il est forcément esclave. On ne gomme pas l’action néfaste de longs siècles par une loi, en quelques années, en quelques jours. Cela n’est pas décent. Ayons le courage de le reconnaître. Et c’est alors que l’on comprendra Birame. Je vous prie d’essayer. Ne serait-ce qu’une fois et vous comprendriez alors toute l’étendue du pathos que les haratines ressentent et dont Birame est le héraut. Qu’on le veuille ou pas. Mais, cela, c’est une autre histoire.

Par Med Yahya Abdel Wedoud

Source : Alakhbar (Mauritanie)