Réforme du CMSN
En juin 1979, l’aile pro-algérienne prend le pouvoir à son tour et décrète dès 1980, une reforme qui divise les deux communautés, l’apartheid éducatif, par l’institution de deux enseignements parallèles, l’un uniquement en arabe au profit des maures et l’autre dit bilingue essentiellement en français au profit des négro-mauritaniens avec une promesse, qui ne sera jamais tenue, pour ces derniers, de généraliser l’enseignement de leurs langues et d’assurer leur utilisation dans la vie publique.
Le toucouleur, le soninké et le wolof sont déclarés langues officielles d’enseignement et de travail au même titre que l’arabe pour amuser la galerie. Les négro-mauritaniens seront obligés de prendre l’arabe comme 2ème langue, considérée comme langue unitaire pour tous les mauritaniens, les maures peuvent choisir l’une des trois langues négro-mauritaniennes comme 2ème langue. Le français est déclaré langue étrangère privilégiée.
Un institut de langues nationales avait été crée, il a pour mission « d’organiser, de coordonner et de promouvoir l’ensemble des recherches appliquées dans le domaine de toutes les langues nationales. Dans ce cadre, il est chargé, dans une première phase, de préparer l’introduction dans l’enseignement des langues PULAAR, SONINKÉ et WOLOF, d’assurer la formation du personnel et l’élaboration du matériel pédagogique, d’étudier les incidences pratiques et financières de cette introduction et les problèmes posés par l’utilisation de ces langues dans les différentes fonctions linguistiques (langues de l’enseignement, langues de l’information et des moyens de communication, langues de l’économie et du travail, etc.) ».
Cet institut, dirigé par des cadres motivés et compétents, avait entamé son travail en mars 1980, en créant des terminologies pédagogiques et en formant quelques dizaines de maîtres pour les classes expérimentales. Une mission d’experts de l’Unesco, qui avait visité ces classes pendant l’année scolaire 1983-1984, avait jugé leur expérience originale et encourageante. Cependant, le changement du 12-12-1984, va tout mettre en veilleuse et reconduire la réforme de 1973, avant de fermer provisoirement l’Institut.
En 1999, la cinquième réforme met en place une filière unique avec l’arabe et le français devenu «langue d’ouverture» pour l’enseignement des disciplines scientifiques, renforce les langues étrangères avec l’anglais dès la première année du cycle secondaire. Elle crée aussi un département pour la promotion des langues nationales poular, soninké et wolof, à l’université de Nouakchott. Le français devient «langue d’enseignement», toutes les matières scientifiques seront enseignées en français au secondaire.
Cette réforme, plus réaliste, sera vite contestée aussi bien par les partisans de l’arabisation à outrance qui y voient un retour en force de la francisation du système éducatif national, que par l’élite négro-mauritanienne qui considère cette réforme comme la consolidation de l’oppression culturelle. L’Institut des langues nationales sera remplacé par un département chargé des langues nationales et de la linguistique directement rattaché à la faculté des Sciences humaines. Les langues nationales furent reléguées au statut de «langues de laboratoire».
Avec cette réforme, toujours en vigueur aujourd’hui, les maures sont rentrés dans leur propre piège qu’ils avaient tendu à leurs frères négro-mauritaniens, il y a 50 ans. Aujourd’hui les diplômés maures arabophones pour ne pas dire hassanophones à cause de leurs niveaux qui laissent à désirer, sont très nombreux mais ils ne peuvent accéder à la fonction publique sans un niveau minimum en français, ni réussir les diplômes nationaux sans obtenir la moyenne dans des épreuves en français, une langue qui ne leur avait jamais été enseignée. Ceci confirme l’adage arabe qui dit : « Celui qui tend un piège à son frère tombera dedans ».
Il apparaît clairement que ceux qui avaient préconisé au père de la Nation, l’arabisation à outrance, source de tous ces maux, n’avaient pas agi par nationalisme mais plutôt par égoïsme voire par racisme. C’est ainsi que notre système éducatif a été improvisé et conçu au rythme des pouvoirs militaires – un pas en avant, deux pas en arrière- au profit d’une communauté et au détriment d’une autre, sans tenir compte de notre différence, au lieu d’être le fruit d’un consensus national puisqu’il est le fondement principal de notre unité nationale.
Au bout du compte les hassanophones victimes des réformes improvisées de notre enseignement, ont envahi la fonction publique, et plus particulièrement les deux piliers fondamentaux de l’Etat que sont l’administration territoriale et la justice qui sont malades de leur incompétence, au détriment des autres. Ils constituent aussi la maladie qui gangrène nos systèmes éducatifs, sociaux, économiques et de santé publique.
Toutes ces reformes improvisées et bâclées de notre enseignement ont montré leurs limites, et le résultat du baccalauréat de cette année scolaire 2015-2016 dont la précédente avait été déclarée pourtant par le gouvernement comme année de l’enseignement, pour se moquer du peuple, démontre à lui seul l’échec de toutes ces réformes élaborées depuis un demi-siècle. .
Cette année au baccalauréat il y a eu 88% d’échecs et seulement 12% de réussite dont 9% parmi les candidats issus des écoles privées et seulement 3% parmi ceux issus des écoles publiques. Soient 9% des enfants des riches et 3% des enfants des pauvres. Bravo pour le général de bataillon président des pauvres. Président de la pauvreté, de l’ignorance et de l’injustice.
Une langue unitaire
L’année passée, j’avais rencontré un ami d’enfance originaire de Chinguitty, au cours d’une conversation, il m’avait dit que sa fille, jeune collégienne était devenue l’intime amie d’une adorable petite négro-mauritanienne de la vallée qui faisait la même classe qu’elle, et qu’elles étaient devenues inséparables. Je lui avais demandé aussitôt : « Elles communiquent dans quelle langue ? » Il m’avait répondu : « Elles communiquent en turc ». – Comment en turc ? Il m’avait répondu : « Elles sont au collège turc de Nouakchott, où la langue turque est obligatoire, ma fille est arabophone, sa copine est francophone, elles partagent le turc ».
J’ai eu honte pour mon pays, j’ai eu honte pour son élite, j’ai eu honte pour mon peuple, et pour tous ses gouvernements, j’ai eu honte, j’ai eu honte. Depuis plusieurs siècles, nos communautés cohabitent pacifiquement sur le même territoire, unies par l’histoire, par la géographie et surtout par la même religion. Depuis plus d’un demi-siècle, nous avions décidé de bâtir ensemble une République Islamique, et depuis lors on se regarde en chiens de faïence.
Il m’arrive souvent, en réunion avec des amis officiers ou cadres civils devant la télévision, pendant les très rares fois qu’on voit un journal télévisé en langues nationales négro-mauritaniennes, de leur demander dans quelle langue parle le journaliste. Leur réponse presque unanime est toujours : « On ne sait pas faire la différence entre ces langues».
Les maures, responsables dans l’administration et dans les forces armées, qui parlent ces langues cultivent des complexes incompréhensibles et évitent toujours de les parler publiquement devant leur communauté. L’exemple du général de bataillon et de son cousin président du CMJD est assez éloquent. Ces deux ambitieux officiers qui parlent couramment la langue wolof, mieux que le Hassania, puisqu’ils ont grandi au Sénégal, n’ont jamais fait entendre publiquement, en Mauritanie, un petit nangadef ou un petit diaradieuf.
Pourtant s’ils avaient prononcé leur discours en wolof pendant leurs visites officielles à Rosso, fief de cette composante où tous les habitants comprennent cette langue, cela aurait fait un très grand plaisir aux rossossois et à tous les mauritaniens, et aurait incontestablement suscité un élan de promotion de cette langue et rehaussé leur côte. Car une langue nationale de plus constitue une très grande richesse.
Après quelques réflexions, je me suis demandé pourquoi ne pas adopter la langue turque. Dans la mesure où les turcs sont des musulmans comme nous, ils sont les derniers empereurs du dernier empire musulman, l’empire ottoman qui a duré de 1299 à 1923, le dernier Etat islamique qui avait sous sa souveraineté tous les Etats musulmans de l’Asie mineure, des Balkans, du Moyen Orient et de l’Afrique du Nord.
Le grand peuple turc avait joué un très grand rôle dans l’émancipation de l’Islam, et vient de donner il y a quelques semaines une très grande leçon de démocratie aux peuples du tiers monde, en refusant le retour du pouvoir usurpateur et destructeur des militaires et en débarrassant la grande armée turque de ce fléau qui ternissait son image de marque et anesthésiait son peuple.
Aussi la langue turque est-elle inoffensive pour nos communautés, elle ne porte pas en elle des appréhensions négatives. Les uns ne peuvent pas la considérer comme une langue des colons mécréants, qui veulent nous dominer culturellement. Les autres ne peuvent pas non plus la refuser puisqu’elle ne constitue pas la langue des racistes et esclavagistes qui veulent au nom de la religion l’utiliser pour les opprimer culturellement.
Si cette langue turque peut nous permettre de construire des amitiés comme ces deux collégiennes qui sont devenues inséparables, si elle va nous permettre de nous parler, de nous faire confiance, de nous respecter mutuellement, de nous aimer et de pouvoir reconstruire ensemble une patrie fondée sur les valeurs que nous partageons ; une vraie patrie qui respecte notre différence qui est notre richesse, une vraie patrie qui respecte l’égalité citoyenne et la justice ; pourquoi alors ne l’adoptions-nous pas comme langue unitaire ?
Les Beidanes et les Bambaras
Nous les maures ou beïdanes nous ne sommes pas des arabes. Nous sommes un mélange migratoire constitué de 10 à 15% de tribus Béni Hassan d’origine arabe, de 40 à 45% de tribus Sanhadja d’origine berbère et de 40 à 45% de négro-africains majoritairement d’origine Bambara. L’arabe n’est pas notre langue maternelle, notre langue maternelle est le hassanya qui ne figure pas dans la constitution, et qui n’est enseignée nulle part, elle est donc condamnée à disparaitre, ce qui est fort regrettable.
La langue arabe est une langue universelle que nous apprenons à l’école avec nos frères négro-africains et parfois, ils l’assument mieux que nous. C’est l’Islam qui nous l’avait imposée puisqu’elle est la langue du coran. Une langue fondamentale pour comprendre et mieux s’acquitter de notre devoir religieux. Pour les mêmes raisons, tous les musulmans du monde entier, turcs, perses, chinois, africains, asiatiques, européens ou américains etc. sont obligés, chacun en ce qui le concerne, d’apprendre l’arabe pour des besoins strictement religieux, tout en conservant sa propre identité.
Malheureusement les nationalistes arabo-berbères mauritaniens, porteurs de deux idées contraires à l’Islam, que sont la laïcité et le racisme ont voulu, à travers les régimes militaires usurpateurs, s’approprier la langue arabe par égoïsme, en l’utilisant- au nom de l’Islam- pour écarter et opprimer culturellement la communauté négro-mauritanienne. Leur comportement avait conduit malheureusement, un ou deux cadres parmi les extrémistes négro-mauritaniens à renoncer à la religion musulmane qu’on leur oppose toujours pour justifier l’arabisation à outrance.
Au début des années 80, un mouvement d’émancipation de la communauté berbère avait été signalé dans la région du Trarza, avec en filigrane la reconnaissance de la langue berbère comme langue nationale, avant d’être étouffé dans l’œuf. Certains cadres fondateurs du mouvement Elhor, avaient préconisé en mars 1978, de revendiquer la langue bambara comme langue de la communauté harratine, pour s’éloigner un peu plus de leurs encombrants anciens maîtres. Il n’est pas exclu que les défenseurs de cette thèse soient derrière l’idée de l’érection d’une quatrième communauté nationale négro-mauritanienne, la communauté bambara.
Cette idée, dont mon grand frère, Traoré Ladji pour lequel j’ai beaucoup de respect, semble être l’un des plus grands défenseurs. J’ai visité personnellement tous les départements de la Mauritanie à l’exception de Bir Oumgrein et de Chami, et je n’ai jamais entendu parler de communauté bambara. Dans toute ma scolarité et toute ma carrière je n’ai rencontré que trois personnes qui revendiquent ouvertement leur « bambarité », Keita Boubacar mon professeur d’anglais au collège de Kiffa, le capitaine Mamoye Diarra et Traoré Ladji.
Certes, il existe beaucoup de bambaras complètement intégrés particulièrement dans la communauté soninké du Guidimagha et du Gorgol et des villages frontaliers des régions de l’Assaba et des deux Hodhs. On les retrouve aussi dans les quartiers d’anciens esclaves comme Banbarandougou à Sélibaby, les quartiers liberté de Kiffa, d’Aleg, de Mbout, de Boghé etc.
Cependant on ne peut pas parler de véritable communauté à part entière comme les maures, les peuhls, les soninkés ou les wolofs. Si les bambaras pouvaient constituer une communauté en Mauritanie, les colons français – partisans du concept diviser pour régner- ne les auraient pas oubliés. Le fait d’en revendiquer l’existence aujourd’hui ne fait que compliquer davantage le problème intercommunautaire dans notre pays.
Les FLAM utilisaient la terminologie du pouvoir « Beidane » qui veut dire le pouvoir des maures, au début de leur combat, avant d’adopter plus tard la terminologie du « pouvoir arabo-berbère » jugé tribaliste, raciste et esclavagiste, pour spécifier la responsabilité des maures blancs et exclure volontairement les maures noirs, considérés par certains parmi eux comme des négro-mauritaniens à part entière. Les velléités séparatistes que l’on veut inculquer aux maures noirs pour diviser la communauté beïdane sont contre-productives.
Nous les beïdanes, nous sommes une communauté arabo-afro-berbère indivisible et nous en sommes fiers, nous sommes avec nos compatriotes négro-mauritaniens des frères siamois, unis par le sang pour le meilleur et pour le pire. Nous formons la Mauritanie qui, comme l’a si bien dit mon frère Ba Oumar Moussa, « est un don de l’Islam ». Nous traversons une zone de turbulences depuis l’indépendance, marquée par le racisme, l’esclavage, le servage, l’inégalité et l’arbitraire, notre salut se trouve dans notre réconciliation avec l’Islam.
(A suivre)
Par le colonel (E/R) Oumar Ould Beibacar