Publié le 12 juin, le document final des travaux de la Commission des libertés individuelles et de l’égalité (Colibe) met en conformité le corpus juridique tunisien avec les principes d’égalité et de liberté inscrits dans la Constitution et les conventions internationales signées par la Tunisie. Un travail de fond conduit depuis août 2017 par des juristes à l’initiative du président de la République, Béji Caïd Essebsi. Un document majeur
La mise en perspective des lois actuellement en vigueur avec les principes de la loi fondamentale met en exergue les textes obsolètes, notamment ceux hérités de la période coloniale qui distinguent les musulmans des non-musulmans en matière de droits.
La présentation du rapport assorti cet état des lieux à des suggestions d’abrogations, d’amendements et de nouveaux textes de loi avec différentes options.
Il reviendra à la présidence de la République de soumettre les propositions à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) pour adoption. Cela ne se fera pas sans débats. Le rapport de la Colibe est un document majeur, le plus progressiste produit par la Tunisie après le Code du statut personnel (CSP) de 1957 qui octroie de larges droits aux Tunisiennes. Il n’en est pas moins respectueux de toutes les sensibilités et à même de réunir les plus larges suffrages.
Un contenu réformateur
Pas de démocratie sans prise en compte des droits humains, tel est le principe qui sous-tend l’esprit du rapport. Dans un contexte social conservateur, le projet de la Colibe fait tomber les tabous en puisant également dans les références religieuses et en rendant compatibles les réformes recommandées avec une lecture éclairée du Coran.
Abolition de la peine de mort, pénalisation des incitations au suicide, décriminalisation de l’homosexualité, non-interférence de la protection du sacré et de la religion dominante quant au respect de la liberté de conscience, de culte et des minorités, interdiction du prosélytisme, abrogation du crime de blasphème, redéfinition de l’ordre public et moral, droit de disposer de son corps.
Des dispositions qui mettent l’humain et ses droits au cœur du processus social alors que, jusqu’à présent, la communauté prenait le pas sur l’individu. Du jamais vu dans la sphère arabo-musulmane, qui privilégie l’Oumma.
Les droits des femmes et les fondements de la famille
Très attendu sur la question de la succession, qu’il aborde en proposant des options quant aux legs entre ascendants et descendants au premier degré, le rapport positionne la femme comme citoyenne à part entière. À ce titre, l’homme n’est plus l’unique chef de famille, les enfants peuvent porter le nom des deux parents et être Tunisiens par la mère, le père ou la mère peuvent avoir la tutelle et la garde des enfants.
L’institution du mariage est également revue avec l’annulation de la dot, tandis que la pension alimentaire ne sera servie à la femme que si elle manque de ressources financières.
Un choc civilisationnel
Audacieuses, les suggestions de la Colibe vont alimenter un débat public et provoquer la levée de boucliers des fondamentalistes, notamment sur la peine de mort et l’égalité dans l’héritage, mais elles donnent tout leur sens aux revendications de liberté et d’égalité de la révolution.
Le rapport illustre et met en pratique également l’article 2 de la Constitution qui proclame la Tunisie comme État civil, fondé par conséquent sur des valeurs d’égalité, détachées du religieux.
Au-delà des réactions immédiates, l’esprit de ce texte contribuera à apaiser une société prise en porte-à-faux entre les principes religieux et un désir de liberté, de cohérence et de bien-être. « Ce pays est étonnant, il peut aller très mal et tout à coup surprendre parce qu’il peut produire de novateur.
Ce rapport est un acte de civilisation, une révolution », affirme émue Monia Ben Jemia, ancienne présidente de l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD).
Par Frida Dahmani – à Tunis