À 4 000 mètres d’altitude, le Cessna épie le désert grâce à l’œil de lynx électronique installé sous son ventre qu’un lieutenant braque sur le moindre signe suspect au sol. À l’aide d’un écran situé derrière le pilote et d’un joystick, il inspecte un arbre, un véhicule, une tente, dont il distingue, avec son zoom super-puissant, les moindres détails, lesquels sont transmis en temps réel au PC de Nouakchott.
De là, les opérateurs lui demandent de grossir l’image d’un 4×4 à l’arrêt pour vérifier qu’il s’agit d’orpailleurs et non de trafiquants. Négatif. Ses cinq heures d’autonomie donnent au monomoteur la possibilité de poursuivre son balayage systématique des ergs et des regs à la recherche de menaces potentielles.
Pour sécuriser un territoire grand comme une fois et demie la France avec 5 000 km de frontières, l’état-major mauritanien a développé une armée de l’air réduite (700 militaires dont 60 pilotes formés à l’École militaire de l’air d’Atar, puis aux États-Unis et en France) et rustique (transport et reconnaissance : 1 DC-3 et 2 Cessna ; chasse : 5 Tucano et Super Tucano ; 3 hélicoptères, dont 2 armés).
« Chez nous, les F-16 ne sont pas adaptés et ils coûtent très cher, à l’achat comme à l’entretien », explique le général Hanenna Ould Sidi, chef d’état-major adjoint des armées.
Il ne s’agit pas de neutraliser des jihadistes venus d’Algérie ou du Mali. « Ils ne s’y risquent plus depuis dix ans parce que, dans le désert, leurs 4×4 font des cibles très vulnérables », ajoute le général. En revanche, il n’est pas question de laisser s’installer une zone de non-droit dans le nord-est du pays, le Tiris Zemmour, où seulement 200 km de désert mauritanien séparent le Mali de la zone sahraouie.
Les trafiquants tentent de traverser cet espace de sable et de rocailles à 150 km/h à bord de bolides bourrés de drogue, mais se heurtent au dispositif d’appui tactique qui les attend : l’armée les intercepte par air et par terre.
Le 22 septembre dernier, une source malienne informe l’état-major qu’un Toyota avec quatre trafiquants à bord s’apprête à franchir la frontière mauritanienne. « Nous décollons d’Atar avec notre Super Tucano, raconte le commandant Ahmed Taleb, pilote de chasse et directeur de l’École militaire de l’air. Une heure plus tard, nous repérons l’objectif sous un arbre.
Tir de sommation. Nous prévenons la brigade spéciale, déjà en embuscade dans le secteur, que le véhicule fuit. Nous cerclons au-dessus de lui en communiquant en temps réel à la brigade les images et la localisation du 4×4. »
Coordination des forces aériennes et terrestres
La brigade se met en position pour l’intercepter. « L’avion l’a rabattu vers nous, confirme le commandant X, carrure et flegme de baroudeur. Face à nos quatre Toyota, chacun servi par quatre hommes et équipé de deux mitrailleuses, il n’avait aucune chance et ses occupants se sont rendus sans résister. Ils transportaient une tonne et demie de drogue. Nous n’avons pas tiré un seul coup de feu.»
Le 24 janvier, autre scénario. « Nous localisons deux Toyota, reprend le commandant Taleb. Ils cherchent à fuir. Tir de sommation. Les occupants d’un des véhicules l’abandonnent. Le deuxième parvient à s’échapper. Nouveau passage et nouveau tir pour immobiliser le Toyota, car la brigade n’est pas encore à proximité.
Malheureusement, un des passagers du 4×4 est mortellement blessé. Nous avons l’ordre de mitrailler les pneus ou le moteur et de ne pas tuer, mais c’est difficile d’être précis depuis un avion. Ils commencent à comprendre : désormais, quand ils nous voient, ils s’allongent au sol et attendent la brigade pendant que nous tournons au-dessus d’eux. »
Pour le général Mohamed Lehreitani, chef d’état-major de l’armée de l’air, il faut épargner les vies humaines. « J’ai rencontré à la prison de Zouerate certains de ces délinquants, rapporte-t‑il. Ce sont souvent de très jeunes Maliens, Touaregs ou Arabes qui me disent avoir choisi ce trafic pour 50 euros car ils n’ont rien à manger. Ce ne sont pas des criminels. »
La coordination entre les armées est devenue la règle. « Nous avons aussi réalisé un exercice conjoint aviation-marine car les terroristes pourraient être tentés de passer par la mer, souligne le général Ould Sidi. Nous connaissons leurs chefs mais pas leurs troupes, et, dans la zone densément peuplée du fleuve Sénégal, il est difficile de les repérer. »
L’armée mauritanienne semble en tout cas fin prête pour participer à des opérations conjointes avec les autres armées du G5 Sahel voulu par le président Ould Abdelaziz… à condition que leurs riches alliés leur en donnent les moyens. Ses bataillons s’aguerrissent en Centrafrique sous le pavillon de l’ONU et leur zone d’action y est citée en exemple par le commandement des Nations unies.
Une bonne entente règne avec les autres états-majors du G5. L’École interarmes d’Atar accueille des militaires maliens, nigériens, burkinabè et tchadiens. L’École de guerre du G5 ouvrira ses portes à Nouakchott en septembre 2018, avec l’appui d’officiers français qui en formeront les professeurs au démarrage.
Mais la lutte contre le terrorisme implanté dans les pays désertiques sera longue. L’armée mauritanienne connaît bien ces zones, car on y parle la même langue que dans certaines régions du pays.
« Au début, les terroristes n’étaient pas à l’aise parmi la population, analyse le général Ould Sidi. Ils ont creusé des puits pour elle. Ils l’ont soignée, nourrie et protégée. Aujourd’hui, elle est avec eux et cela prendra du temps de l’en détacher. Il faudra une action politique, économique, sociale et religieuse de longue haleine. La guerre n’est pas la solution : elle n’est jamais bonne. »
Discipline et modernité
Étonnant ! L’armée est l’institution la plus moderne de Mauritanie. Dans ce pays où prévalent les querelles de chefs, la coordination entre les trois armes (terre, air, mer) tranche de façon spectaculaire. Alors que ministres et entreprises communiquent le moins possible, l’état-major ouvre ses bases aux journalistes et enseigne à ses officiers le goût de la communication. Des femmes intègrent ses rangs dans la santé, les transmissions et le numérique.
Aucun relâchement n’est visible dans la tenue, l’entretien du matériel ou la discipline. Il ne semble pas y avoir, comme dans la fonction publique, de discrimination entre Maures blancs (Beidanes), descendants d’esclaves (Haratines) et Négro-Mauritaniens. « Aucun officier n’est nommé parce qu’il est beidane, affirme le général Ould Sidi, mais parce qu’il a les compétences nécessaires. La ségrégation nuirait à notre cohésion, et sans cohésion, pas d’armée ! »
Deux facteurs continuent pourtant à favoriser les Beidanes : la pauvreté, qui freine la scolarisation des Noirs, et la défiance de ceux-ci vis‑à-vis d’une armée qui les a réprimés il y a quarante ans. Une exception à la transparence : le commandant X de la brigade d’élite no 0 exige l’anonymat. Ni photo de ses hommes ni plaque minéralogique de son véhicule. Au cas où ils opéreraient, un jour, dans un autre pays du Sahel…
Par Alain Faujas