Une réforme qui n’est pas censée changer quoi que ce soit à la valeur de la monnaie. Nouvelles pièces, nouveaux billets, mais aussi nouveaux formulaires et nouveaux bulletins de salaires: au 1er janvier 2018, la Mauritanie mettra en place sa réforme monétaire, dont la mesure phare est un changement de base de 10 à 1.
En clair, il s’agit de réévaluer l’ouguiya en remplaçant respectivement les billets de 500, 1000 et 2000 ouguiyas en billets de 50, 100 et 200 ouguiyas, sans que cela n’affecte leur valeur. Les deux monnaies cohabiteront jusqu’au 30 juin 2018, et l’échange de l’ancienne monnaie restera possible auprès de la Banque centrale jusqu’au 31 décembre 2018.
Les autorités promettent également que tous les prix seront affichés jusqu’au 31 décembre 2020 dans l’ancienne ouguiya comme dans la nouvelle, pour permettre aux consommateurs de s’y retrouver.
Une réforme annoncée moins de cinq semaines avant sa mise en œuvre
La mesure avait été annoncée par le président Mohamed Ould Abdelaziz à Kaédi, le 28 novembre, à l’occasion du 57e anniversaire de l’Indépendance. Le chef de l’État avait alors promis « un nouvel ensemble de billets de banque et de pièces de monnaie plus sûrs contre la contrefaçon ».
Il avait également assuré que la réévaluation permettrait à l’ouguiya « de reprendre sa place dans les transactions financières, de protéger le pouvoir d’achat du citoyen et de réduire la quantité de la monnaie en circulation » dans le pays.
À partir du 1er janvier, les Mauritaniens pourront donc se rendre aux guichets des banques pour échanger leurs anciennes ouguiyas contre des nouveaux billets en polymère fabriqués par Canadian Bank Note Company et de nouvelles pièces de monnaie battues par La Monnaie de Paris.
Des modèles « d’une espérance de vie plus longue » que celle des anciens, selon les explications de Mohamed Ould Kembou, le ministre délégué chargé du budget auprès du ministre de l’Économie et des Finances, à l’Agence mauritanienne d’information.
Bancarisation et baisse des coûts
L’un des objectifs de la réforme est en effet de réduire le coût d’entretien de la monnaie, alors que les Mauritaniens paient essentiellement en liquide, ce qui use vite des billets de mauvaise qualité.
Si la Banque centrale chiffre à 1,5 milliard d’ouguiyas (3,5 millions d’euros) le coût du remplacement annuel des billets usagés, elle peut espérer réduire fortement ses dépenses de gestion en réduisant le nombre des nouveaux billets et des nouvelles pièces à 5, au lieu de 6, et en faisant fabriquer les billets en polymère très résistant.
Mais la mesure vise aussi à faire de la finance numérique « une priorité nationale », selon les mots du président dans son discours à Kaédi. Cela suppose une hausse du taux de bancarisation, aujourd’hui très faible (environ 18 %).
Les Mauritaniens souhaitant échanger plus de 500 000 ouguiyas sont ainsi contraints par le gouvernement d’ouvrir un compte bancaire, rendant ainsi plus difficiles les transactions « au noir ».
Pas de changement de valeur… mais une possible hausse des prix !
Cette réforme n’est pas sans risques. L’opposition radicale, qui y voit une preuve supplémentaire de la mégalomanie du chef de l’État, après la modification adoptée en août par référendum du drapeau et de l’hymne national, l’a déjà condamnée.
Déjà une hausse de l’ordre de 50 % du prix du riz, de 10 % pour le ciment
Mais il se peut aussi qu’en voyant leur feuille de salaire ou leur épargne amputées d’un zéro – car l’administration passera à la nouvelle monnaie dès le 1er janvier –, les Mauritaniens aient l’impression que leur pouvoir d’achat ou leur richesse diminuent, malgré les explications techniques leur assurant le contraire. Grogne politique assurée !
D’autre part, faute de contrôles, les commerçants seront tentés de profiter d’un effet d’aubaine à l’approche du changement, favorisant ainsi une accélération de l’inflation.
Le 25 décembre, à quelques jours de la mise en circulation de la nouvelle ouguiya, RFI se faisait déjà l’écho d’une flambée des prix, évoquant une hausse de l’ordre de 50 % du prix du riz, de 10 % pour le ciment, tandis que le poids de la miche de pain (vendue à un prix fixe) a été divisé par deux.
Pourtant, dès lors que le gouvernement n’augmente pas la masse monétaire en circulation, comme l’affirment les autorités mauritaniennes, le changement de monnaie ne doit pas provoquer de hausse des prix.v Une décision souveraine
La transformation monétaire fait partie de la panoplie des politiques économiques, notamment en cas de forte inflation. Le général De Gaulle avait ainsi divisé le franc par 100, en 1960, tandis que le gouvernement polonais avait divisé le zloty par 10 000, en 1995.
Au cours d’une conférence de presse, qui s’est tenue le 5 décembre à Nouakchott et qui a été relayée par l’Agence mauritanienne d’information, le gouverneur de la Banque centrale de Mauritanie, Abdel Aziz Ould Dahi, avait tenu à préciser la nature « souveraine » de la réforme monétaire, excluant toute « pression de la Banque mondiale ou d’aucune autre institution », et évoquant une étude menée durant quatre ans par les autorités mauritaniennes. Il a toutefois précisé que la mesure était accompagnée par le Fonds monétaire international (FMI).
La Banque africaine de développement a elle aussi prêté son concours à la réforme.
Par Alain Faujas et Nelly Fualdes
Source : Jeune Afrique