Qu’à cela ne tienne, l’Assemblée a décidé de mettre sur pied une délégation ad-hoc, avant sa session prévue en juin 2018, qui sera chargée d’une mission d’informations de première main sur l’engagement de la Mauritanie de respecter les principes communs en matière d’état de droit, de droits de l’homme, de libertés fondamentales, entre autres.
La Mauritanie a été mise sur le grill au cours de la dernière session de l’Assemblée parlementaire ACP-UE qui s’est achevée le 20 décembre dernier à Port-au-Prince. Sur les sept (7) résolutions prises au cours de cette rencontre, quatre ont visé la Mauritanie, dont trois demandant sa condamnation eu égard à ses multiples violations des droits de l’homme, de persistance de l’esclavage, de discrimination raciale, de violations des droits politiques, économiques et sociaux des citoyens.
Aux résolutions demandant des sanctions contre la Mauritanie, l’Assemblée parlementaire a tiré une résolution de conciliation visant à s’informer directement sur le terrain, via une délégation ad-hoc, sur la véracité des faits reprochés à l’Etat mauritanien.
Cette délégation qui est attendue à Nouakchott avant juin 2018 devra rencontrer les autorités, les parlementaires, les partis politiques et la société civile.
La Mauritanie invitée à ratifier la Charte africaine de la démocratie
La 1ère proposition de résolution d’urgence de condamnation de la Mauritanie a été déposée par Frank Engel et Bogdan Wenta au nom du groupe PPE. Cette résolution a cité un certain nombre de griefs contre l’Etat mauritanien, dont entre autres, les restrictions aux droits de manifestations et d’association, ainsi que le manque d’espaces d’expression démocratique pour l’opposition et les activistes des droits de l’homme, les poursuites judiciaires à caractère politique, les arrestations arbitraires et les emprisonnements d’opposants, sans compter la persistance de l’esclavage, de la discrimination, mais aussi de la pauvreté et de la famine.
Cette résolution s’est dite aussi préoccupée par les circonstances dans lesquelles a été conduite la récente réforme constitutionnelle et les troubles politiques qui s’en ont suivis et déplore les informations récurrentes faisant état de violations des droits de l’homme subis par les opposants politiques et les différents groupes de militants, y compris les militants engagés dans la lutte contre l’esclavage.
La résolution invite les autorités mauritaniennes à respecter les droits de l’homme, y compris la liberté d’expression, d’association et de réunion. Elle condamne toute discrimination fondée sur la race, l’appartenance ethnique et religieuse.
Elle précise que les Harratines et les Afro-Mauritaniens représentent les deux tiers de la population mauritanienne et qu’ils doivent jouir du respect de leurs droits politiques et sociaux ainsi que de leur dignité.
La résolution exhorte ainsi les autorités à modifier ou abroger toute disposition disciplinaire du corpus législatif, y compris les dispositions discriminatoires du code pénal, du code de l’état-civil et du code de la nationalité.
Elle regrette que les poursuites pour esclavage soient très rares et invite les autorités à mettre fin à toute forme d’esclavage et à promulguer des lois visant à lutter efficacement contre cette pratique.
La résolution invite l’Union Européenne en tant que premier partenaire de la Mauritanie et les pays ACP à continuer de suivre de près la situation en Mauritanie afin que les élections présidentielles prévues en 2019 se passent dans la transparence et l’équité.
Aussi, la proposition invite-t-elle l’état mauritanien à ratifier la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance. Elle rappelle que la Constitution mauritanienne fixe une limite de deux mandats présidentiels ; que les prochaines élections sont prévues en 2019 et que le président Aziz s’est engagé de manière officielle à respecter la Constitution et à ne pas se porter candidat à une réélection pour un troisième mandat.
« Le référendum constitutionnel du 5 août 2017 n’a pas été libre et équitable »
La deuxième proposition de résolution d’urgence condamnant la Mauritanie et déposée par Maria Arena au nom du groupe S&D, se félicite d’emblée de la décision prise par le gouvernement mauritanien d’ériger l’esclavage en infraction pénale, d’établir une juridiction spéciale traitant de l’esclavage et l’annonce de la mise en œuvre en 2014 d’une feuille de route pour éradiquer la pratique.
La résolution déplore cependant la forte prévalence de l’esclavage et la traite des êtres humains en Mauritanie. Elle condamne aussi les mesures répressives contre l’opposition, l’usage de la violence contre les manifestations pacifiques.
Elle estime aussi que le référendum constitutionnel du 5 août 2017 n’a été ni libre ni équitable, comme elle déplore la dissolution du sénat et la soumission du parlement actuel à l’Exécutif, demandant à ce que la séparation des pouvoirs soit effective.
La résolution rappelle aussi au gouvernement qu’il a la responsabilité de veiller à ce que les élections se déroulent en conformité avec les obligations internationales du pays en matière de droits de l’homme.
Cette résolution invite également l’état mauritanien à ratifier la Charte africaine de la démocratie, comme elle exhorte les autorités à instaurer un enseignement scolaire universel pour l’ensemble des Mauritaniens, y compris les esclaves ainsi que leurs enfants et de mettre fin au système d’esclavage fondé sur la caste.
« Les lois sur l’apostasie violent les droits de l’homme »
La troisième résolution de condamnation d’urgence contre la Mauritanie a été déposée par Nicolay Barekov, Anne Gericke et Eleni Theocharous, au nom du groupe ECR. Elle condamne le recours à la torture par les forces de l’ordre, les arrestations arbitraires, la mise au secret de personnes placées en détention provisoire prolongée, la dureté et la dangerosité des conditions carcérales dans des établissements surpeuplés, etc.
Cette résolution invite les autorités à libérer le Sénateur Ould Ghadde, à veiller à réagir aux manifestations dans le respect des obligations qui lui incombent au regard du droit international en matière de droits de l’homme et à respecter pleinement le droit à la liberté de réunion pacifique, d’opinion et d’expression.
Elle condamne le projet de loi visant à durcir les peines pour blasphème et apostasie, notamment au regard du repentir qui ne permettra plus d’éviter la peine de mort. Elle invite le gouvernement à supprimer cette loi de sa législation nationale.
« Appel à la communauté internationale pour accompagner la Mauritanie »
Une contre-proposition aux condamnations a été déposée par Oum Kelthoum Mint Soueid’Ahmed au nom de la Mauritanie. Elle s’adosse sur l’option faite par la Mauritanie d’instaurer un système démocratique basé sur la séparation des pouvoirs et considère que Mohamed Abdel Aziz, Président de la République, a été réélu en 2014 à l’issue d’un scrutin transparent et régulier.
Elle a mentionné le dialogue national tenu à Nouakchott en septembre-octobre 2016, avec la participation des partis politiques de la majorité et d’une partie de l’opposition et de la société civile, qui a abouti à un consensus sur la nécessité d’apporter des modifications à la Constitution et notamment la suppression du Sénat.
Elle a rappelé les circonstances qui ont amené le Président de la République à faire recours à l’article 38 de la Constitution pour contourner le vote négatif du Sénat en faveur du référendum et qui serait le fait de corruptions accordées par un réseau.
La résolution tout en regrettant le refus de certains partis de l’opposition à prendre part aux dialogues de 2011 et de 2016, les invite à accepter la main tendue du pouvoir et à s’engager dans les efforts de développement économique et social du pays. Elle se félicite des progrès réalisés dans le cadre de la protection des droits de l’homme et de la liberté d’expression, ainsi que des avancées démocratiques remarquables observées en Mauritanie.
Enfin, la résolution appelle la communauté internationale à accompagner le pays dans la mise en œuvre de la feuille de route, sans mentionner toutefois que cette feuille de route est destinée à l’éradication de l’esclavage et de ses séquelles.
La note de conciliation de l’Assemblée paritaire
En guise de conciliation entre les résolutions condamnant la Mauritanie et la contre-proposition introduite par Oum Kelthoum Mint Soueid’Ahmed, ainsi que les efforts du G5 Sahel pour éviter la condamnation de la Mauritanie au cours de la session de Port-au-Prince, l’Assemblée parlementaire paritaire ACP-UE a décidé d’envoyer à Nouakchott, avant sa prochaine session prévue en juin 2018, une délégation paritaire qui sera chargée de rencontrer les autorités mauritaniennes, les parlementaires, les partis politiques ainsi que la société civile, pour recueillir des informations fiables sur les multiples accusations portées contre la Mauritanie.
Elle invite dans ce cadre les autorités à accorder à la délégation un accès total et sans restrictions à l’information et à toutes les parties prenantes et que la délégation sera établie conformément à l’article 28 du règlement de l’Assemblée.
Ses co-présidents sont chargés de transmettre la présente résolution au Conseil ACP-UE, au Conseil de l’Union européenne, au conseil ACP, à la vice-présidente de la Commission/haute représentation de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, à la Commission européenne, au Secrétaire général des Nations Unies, à l’Union Africaine, à l’Union du Maghreb Arabe, ainsi qu’au président, au premier ministre et au parlement de la République Islamique de Mauritanie.
Synthèse par Cheikh Aidara
Source : L’Authentique (Mauritanie)