Le drapeau national de la République Islamique de Mauritanie, hissé pour la première fois, au moment où est adoptée la première Constitution nationale, le 22 Mars 1959

Dans une période de trouble comme celle qu’accentue encore la perspective d’un referendum constituant – le 15 Juillet prochain – et portant, entre autres sujets, tous polémiques, une modification substantielle du drapeau national,  la référence reste celle du fondateur de la Mauritanie contemporaine, Moktar Ould Daddah.

Les mémoires du Président sont explicites. Voici. Ould Kaïge

Le 21 Mars, le Conseil de Gouvernement examina le projet de Constitution et le déposa sur le bureau de l’Assemblée Constituante, qui l’adopta dès le lendemain, au vote secret et à l’unanimité de ses membres présents. Je déclarai à cette occasion :   … Désormais, nous avons notre autonomie interne complète, c’est-à-dire que, dorénavant, nos affaires relèvent exclusivement de nous. Désormais, ceux qui voudront porter atteinte à notre souveraineté ou qui voudront introduire l’agitation chez nous, auront affaire à nous et uniquement à nous….

Le même jour – 22 Mars 1959 – le drapeau mauritanien est hissé pour la première fois dans l’histoire de notre pays ! Et, coïncidence heureuse, la météo fêta cet événement historique. En effet, une brise de mer de service soufflait assez fort, comme pour permettre à notre drapeau de flotter noblement dans le ciel pur et serein de notre capitale en chantier. En contemplant nos couleurs danser au vent, j’éprouvai un sentiment inconnu de moi jusqu’à ce jour. Sentiment de joie intense, de fierté, de liberté ! Et, en même temps, je ressentis intensément le poids de mon énorme responsabilité. Responsabilité et ambition de bâtir, sur ce désert aride, immense, brulé par le soleil ardent, balayé par des vents tantôt froids, tantôt chauds, vents qui se transforment souvent en tempête de sable, de bâtir un État-Nation moderne ! État-Nation qui devra impérativement conquérir sa place dans le concert des nations modernes. Quel pari ! il fallait le gagner à tout prix. Quel défi ! il fallait le relever à tout prix. Les obstacles étaient innombrables, les difficultés gigantesques, pourtant il me faudra, avec l’aide de Dieu, avec celle du peuple mauritanien tout entier et de ses dirigeants, les dompter, les surmonter, les vaincre !

L’esquisse de notre drapeau était, depuis plusieurs mois, enfermée dans un tiroir de mon bureau. Elle avait été suggérée, dans ses grandes lignes, par un comité informel, un soir, dans mon logement saint-louisien. Ce soir-là, j’étais avec Ely Ould Allaf, Ahmed Bazaïd Ould Ahmed Miske et Mohamedhen Ould Babah, trois étudiants. Nous discutions de l’avenir de notre pays et des perspectives de son indépendance. Mes hôtes étaient, comme tous jeunes qui se respectent, pessimistes. J’essayais de les convaincre, de leur donner confiance dans l’avenir de notre Patrie mauritanienne. Au cours de notre discussion, je leur demandai leur avis sur notre futur emblème national, tout en donnant mon point de vue sur la question. Après un long échange de vues, nous en sommes arrivés au drapeau que tout le monde connaît et qui a fait le tour de la planète : vert avec étoile et croissant jaune d’or.

 

La Mauritanie contre vents et marées (éd. Karthala . Octobre 2003 . 669 pages) p. 188

Réalité et vocation mauritaniennes

 

Moktar Ould Daddah, tête-à-tête avec Sidi El Moktar N’Diaye,

Mohamed El Moktar dit Marouf Ould Cheikh Abdallahi (cousin de Sidi, le futur président)

 

Je savais aussi, selon ma propre vision de l’avenir de mon pays, que celui-ci ne pourrait survivre en tant qu’État indépendant qu’en sauvegardant son identité propre et ses particularismes, qu’en veillant à conserver ce qui le différenciait aussi bien des pays africains noirs que des pays arabo-berbères d’Afrique du nord ; de ceux-ci comme de ceux-là, il devait rester une synthèse vivante, un raccourci actif, sans toutefois se fondre ni se confondre dans ou avec les uns ou les autres. Gouverner, c’est prévoir : il ne fallait pas que les menaces et les dangers du temps présent nous fissent oublier les perspectives d’avenir. En d’autres termes, il ne fallait pas compromettre l’avenir en ne tenant compte que du présent. Cette vision peut paraître complexe voire confuse, mais sa réalisation me paraissait indispensable pour que se concrétisât et se consolidât l’État-Nation mauritanien, alors en gestation.

Ce fut dans cette atmosphère que les députés à la Constituante s’apprêtaient à voter un texte, décidant notre adhésion à la Fédération du Mali.

Y étant catégoriquement opposé, j’ai suggéré à mon ami Sidel Moktar N’Diaye (1) qui était le « patron » incontesté de l’Assemblée à laquelle il pouvait faire prendre n’importe quelle position, de nous réunir chez un ami commun, qui était hiérarchiquement le deuxième personnage ide l’Assemblée : il s’agissait de Mohamdel Moktar dit Maarouf (2). Dans mon esprit, il devait être une sorte de « témoin d’honneur ». A Sidiel, j’ai tenu, à peu près, les propos suivants. « Depuis la formation du Gouvernement de la Loi-Cadre et, surtout depuis le congrès d’Aleg, nous n’avons cessé d’évoquer nos rapports avec la Fédération du Mali. Si je suis opposé à notre adhésion à cette Fédération, ce n’est pas – cela va sans dire – par hostilité au Sénégal et au Soudan, pays frères et voisins auxquels tout nous lie et dont rien de fondamental ne nous sépare. Pour des raisons géographiques, historiques, économiques, sociales, culturelles, en un mot, : humaines, nous ne pouvons et ni nous développer sans eux ; de même, ils ont besoin de nous dans plusieurs domaines. Nous sommes, eux et nous, des pays complémentaires à tous points de vue, nous sommes des pays solidaires : « ils sont nous, nous sommes eux » comme dit notre adage. Mais, en même temps, nous sommes, nous Mauritaniens, autre chose. Nous sommes à la fois – je ne le répèterai jamais assez – des Africains noirs et des Africains blancs. L’attitude actuelle du Maroc ne doit pas nous faire oublier cette réalité. Selon ma conception, la Mauritanie ne peut se réaliser et se perpétuer qu’en devenant un trait d’union vivant et actif, un pont solide entre le monde arabe et le monde africain, qui sont géographiquement, historiquement et culturellement complémentaires. Pour nous, Mauritaniens, donc, adhérer à la Fédération du Mali sans adhérer à quelque chose d’équivalent du côté maghrébin, risquerait de créer une situation qui, à la longue, pourrait être fatale pour le devenir de notre patrie. Coopération la plus poussée, la plus variée et, ce, dans tous les domaines : d’accord ! Adhésion : non !

Bien sûr, nous marchons sur la corde raide, car nous voulons mener une politique nationale et même : nationaliste, au sens élevé du terme -, sans en avoir les moyens. Mais, de mon point de vue, c’est la seule qui vaille pour notre pays.

Donc, nous devons mobiliser nos énergies pour construire et consolider notre jeune État-Nation, et lui permettre de jouer un rôle actif et digne dans le concert des nations, afro-arabes d’abord, et des autres nations du monde. Et je concluais : «  sans faire le moindre chantage, je t’informe que je démissionnerais de ma fonction de Président du Gouvernement si l’Assemblée décide notre adhésion à la Fédération du Mali, et que je deviendrais alors simple député parmi les autres. »

Après une franche et amicale discussion, Sidiel, qui semblait avoir été convaincu par mes arguments, me dit qu’il allait voir nos collègues députés pour essayer de les faire changer d’avis. Il a dû tellement se faire comprendre que, depuis cette conversation, il ne fut plus jamais question de notre adhésion à la Fédération du Mali.

 

La Mauritanie contre vents et marées (éd. Karthala . Octobre 2003 . 669 pages) pp. 192 à 194

(1) – s’il y a un secret tenant à la personne de Sidi El Moktar N’Diaye, et qui explique le rôle décisif qu’il a joué souvent dans la naissance de notre État-Nation, c’est sans doute qu’il était personnellement sympathique et qu’ainsi il avait de bonnes relations avec pratiquement tout le monde. D’autre part, il était représentatif des Mauritaniens, parce qu’il était de mère mauresque et de père ouolof. Mais il s’est comporté toujours plus comme un Maure que comme un Ouolof. Il était de bonne famille ; dans l’administration coloniale, il avait été  interprète. Il n’a pas voulu de la charge du gouvernement, pour des raisons personnelles ; il me disait qu’il n’aimait pas le pouvoir exécutif, il n’aimait pas l’exercer

(2)- Mohamdel Moktar dit Maarouf a joué un rôle important dans toute cette période comme membre de l’Assemblée Territoriale et Législative, et comme ministre de différents départements dont il fut titulaire. Natif d’Aleg, il était mon promotionnaire à la medersah de Boutilimit, puis il a été élève de l’école William Ponty, à Sébikotane, près de Dakar. Il était attentif à son travail et s’acquittait convenablement des différentes missions qu’il avait à remplir, dont la dernière était l’ambassade à Tunis au moment du putsch de 1978. Pour un étranger, il paraissait à la fois de très bonne éducation.  C’était une personnalité religieuse et spirituelle et en même temps un homme capable de garder pour lui ce qu’il apprenait ou ce qui lui était confié… Il était discret, il assumait ses responsabilités avec sérieux. Dans les grands débats – l’instauration du parti unique, les événements de Février 1966 – il s’est conduit en vrai responsable

Source: Le Calame