Dr. Mohamed Mahmoud Ould Mah : Je n’ai ni la chance, ni l’honneur et moins encore les références de faire partie des brillants constitutionnalistes qui ont conseillé au président le recours à l’article 38 de la constitution, dès lors que le vote négatif des sénateurs n’a pas permis de déclencher la procédure légale de révision de la Constitution, prévue au titre XI (de la révision de la Constitution), article 99, 100 et 101.
Donc Aziz savait bien que pour modifier la Constitution, il faut passer par le titre XI et les articles 99, 100 et 101. Il savait donc que tout projet de modification de la Constitution commence par l’article 99 comme un préalable, c’est-à-dire obtenir les 2/3 des députés et 2/3 des sénateurs. Pour un président qui respecte la Constitution et le peuple mauritanien, il aurait dû mettre fin à son projet.
L’article 99 est, en quelque sorte, pour rester dans le langage juridique, une question préjudicielle : «Tout projet de révision doit être voté à la majorité de deux tiers (2/3) des députés composant l’Assemblée Nationale et de deux tiers (2/3) des sénateurs composant le Sénat pour pouvoir être soumis au référendum».
Le vote des sénateurs (33/54) a mis fin à tout projet de révision de la Constitution, puisque il faut les deux tiers des députés composants chacune des deux chambres. Par contre le Président dans sa conférence de presse a fait fi des 33 sénateurs/54 soit plus de 60%, qu’il charge au passage, de tous les maux : ‘’33 sénateurs dont le mandat a d’ailleurs expiré, ne peuvent pas nous empêcher de faire ce que nous voulons faire’’…etc.
Le titre II, article 38 stipule : «le Président de la République peut, sur toute question d’importance nationale, saisir le peuple par référendum». Il est à noter que le référendum relatif à la révision de la Constitution est ‘’un référendum constituant’’, alors que le second référendum est un référendum législatif. Ce n’est pas du tout le même référendum !
La révision de la Constitution exige toute une procédure, avant d’aller au référendum, alors que dans le référendum relatif à une question jugée d’importance nationale, il n’y a pas une procédure préalable comme l’article 99 dans le titre XI, articles 99, 100, 101.
Certes, la révision de la Constitution est «une question d’importance nationale», au sens de l’article 38, mais elle est déjà individualisée dans la Constitution, tout un titre (XI et 3 articles) lui sont consacrés. Par contre, l’article 38, concerne les «questions d’importance nationale» qui ne sont pas déjà prévues par des articles de la Constitution.
C’est une liste quasiment infinie et les deux articles 38 et 99 appartiennent à deux titres différents de la constitution, le titre II pour le premier et le titre XI pour le second. Encore une fois, quand une question est individualisée et un ou plusieurs articles lui sont consacrés, elle ne saurait être concernée par un autre article de la même constitution, surtout quand elles appartiennent à deux titres différents de la même constitution.
Nous allons comparer deux documents : le budget et la constitution. Les deux documents ont quasiment la même nomenclature : des titres, des articles et des paragraphes.
Du temps où nous étions Directeur du Budget (de 1978 à 1980), la nomenclature budgétaire avait le mérite de faciliter les contrôles de la spécialité des crédits (que ce contrôle soit au niveau des services des dépenses engagées à la Direction du Budget ou au niveau du contrôle financier).
Dans cette nomenclature budgétaire, chaque dépense est individualisée par un article qui comprend lui-même 9 paragraphes, les 8 premiers paragraphes de cet article représentent, chacun, un intitulé d’une nature de cette dépense, recevant une dotation budgétaire. Le 9ème paragraphe est intitulé : «§ 9 autres …, …». Ce § 9 reçoit à son tour une dotation budgétaire.
Seules les dépenses qui ne sont pas individualisées par les 8 paragraphes sont à imputer au § 9 : autres …………..
Un exemple : un article relatif aux immobilisations (constructions) Article 12 : immobilisations (constructions)
§ 1 : Bâtiments publics …………
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§ 3 : Construction d’écoles …………
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§ 8 : Construction de mosquées …………
§ 9 : Autres constructions …………
Dans la constitution il y a 12 titres, dans le budget il y a autant de titres qu’il y a de ministères.
Par exemple les services financiers du Ministère de l’éducation engagent une dépense de construction de salles de classe, qu’ils imputent au §9 (autres constructions), par erreur ou parce qu’il ne reste plus de crédit au § 3. De toute façon, les dépenses engagées (un service du budget) ou le contrôle financier vont rejeter l’engagement pour mauvaise imputation.
Car les constructions d’écoles est une dépense individualisée par le § 3 de l’article 12. .En raisonnant par analogie, la nomenclature budgétaire confirme la non viabilité de l’article 38 pour réviser la Constitution.
Par analogie, un raisonnement logique qui a servi à désigner la succession du Prophète Mohamed PSL, les § de l’article 12 du budget sont comparables aux articles 99, 100 et 101 de la constitution, relatives à la révision de la constitution, «une question d’importance nationale» certes, mais qui est déjà individualisée dans la constitution au titre XI, articles 99, 100 et 101 comme le paragraphe 3 à l’article 12 du budget
L’article 38 de la constitution, titre II, peut être intitulé : «autres questions d’importance nationale» (ne comprenant pas la révision de la Constitution), comme au § 9 de l’article 12 du budget: «autres constructions» ne comprenant pas le paragraphe 3. Le président, comme son ministre de l’éducation, ont mal imputé leurs engagements : le premier pour construire des classes, le second en recourant à l’article 38 : «autres questions d’importance nationale», pour réviser la constitution.
Certains étaient très surpris par ce vote, personnellement, non. Après les avoir humiliés dans son discours à Néma, et ordonné une campagne de dénigrement contre eux et leur institution, Ould Abdel Aziz demande à ces sénateurs de voter leur propre mort et d’assister, en même temps, à leurs propres services funéraires.
C’était trop ! Seul le génie de l’essayiste et humoriste américain, Mark Twain (Tom Sawyer) y est parvenu. Les sénateurs étaient atteints dans leur dignité et leur amour propre. D’ailleurs, le Président a pris l’habitude de manquer, voire mépriser ses collaborateurs, y compris ses propres ministres.
On ne trouve aucune raison à cette humiliation des sénateurs, si ce n’est la volonté du Président à mettre fin au mandat d’un sénateur qui avait demandé l’ouverture d’une enquête sur les origines de son enrichissement ; lui, qui semble ne plus avoir de temps à consacrer à la gestion quotidienne de l’Etat, à cause de celle de ses propres affaires, gestion qu’il ne cache d’ailleurs pas.
Il ne se passe pas une audience sans que ses visiteurs ne soient, malgré eux, les témoins d’une conversation téléphonique qui n’a rien à voir avec la gestion de l‘Etat. Preuve, encore une fois, que le président ne dissimule pas ses affaires, une manière pour lui de continuer à mépriser, à la fois, les hommes et les textes. Pour Aziz, l’essentiel n’est d’ailleurs pas tellement de garder le pouvoir que de sécuriser ses biens et s’assurer d’une impunité pour sa personne. Il n’est pas exclu qu’il soit à la recherche de cet oiseau rare.
De toute façon, le sénateur incriminé, en demandant une enquête sur l’origine de la fortune du président, dit tout haut ce que tous les Mauritaniens racontent dans les salons. Dans toutes les constitutions, les présidents ne sont pas au-dessus des lois, la nôtre ne fait pas exception.
Malheureusement, notre justice n’est pas en mesure, loin s’en faut, d’ouvrir une enquête comme celle demandée par le fameux Sénateur. Le président, au cours de l’une de ses conférences de presse, ne nous a-t-il pas révélé que le Président de la Cour Suprême l’avait assuré de la non nécessité de faire une déclaration de ses biens pourtant prévue par les textes? A une autre occasion, le Président avait déclaré à son entourage, dressant ses deux mains les poings fermés, comme pour se faire mettre des menottes : «Je tiens la Mauritanie avec mes deux mains».
Occupé ailleurs, il faut croire que le pays lui a glissé entre les mains. En effet, notre pays, telle une bouteille fermée mais vide, jetée dans un océan sans fin, interpelle tous les mauritaniens.
Et l’Opposition où en est-elle dans tout cela, alors que le pays comme vous le dites si bien vogue vers une destination inconnue ?
Le Président connaît bien les préoccupations de nombreux Mauritaniens : le tribalisme, son antagonisme inter ou intra tribal ; ‘’l’ethnicisme’’, l’esclavage et ses séquelles, le passif humanitaire …etc. Le Président a fait du communautarisme et du dialogue avec l’Opposition, un moyen de gestion politique, économique et sociale du pays. Tantôt, il dit que l’esclavage n’existe pas dans notre pays, mais il prend des textes pour l’éradiquer.
Instrumentalisé par les puissances occidentales, notamment les Etats-Unis et la France, le Président crée d’abord un Biram Noir qu’il encourage à se présenter à l’élection présidentielle ; il l’a dispensé de recueillir lui-même les signatures nécessaires des élus dont certains ont signé un document en blanc ne portant aucune signature ; pour d’autres élus, le nom de Biram Ould Abeid était caché.
Le pouvoir a apporté son soutien financier, plus de cent millions (100.000.000) d’UM. Mieux que tout cela, les voix de Boydiel lui étaient comptabilisées. Toujours pour aiguiser les tensions entre les communautés, le pouvoir a créé un second Biram, blanc celui-là. Il l’a doté d’un parti et des moyens audiovisuels financés par des hommes d’affaires proches du pouvoir : Sahel TV et El Wataniya, notamment.
Les Mauritaniens médusés, avaient droit, sur toutes ces chaînes et celle des islamistes (pour d’autres raisons) à des débats ; on pouvait voir le Biram blanc, seul face à une dizaine de militants de Biram Noir. Ce dernier va signer son ‘’divorce’’ avec le pouvoir, par rapport auquel il s’est émancipé, à l’occasion de la «caravane de l’esclavage foncier». Biram et ses militants manifestent à Rosso devant les projets agro-industriels du Président et de son entourage.
Biram a été comblé par diverses distinctions de la part des gouvernements occidentaux en reconnaissance des services qu’il a rendus à ces gouvernements, désormais déshypothéqués de la plus inhumaine traite d’esclaves de tous les temps : les habitants de tout un continent ont été déplacés en Amérique du Nord et dans les territoires français d’Outre-mer dans des conditions qui dépassent tout entendement humain, les rameurs fatigués et enchainés sont jetés à la mer et remplacés par d’autres rameurs condamnés au même sort.
Loin de tout cela, Biram en costume se fait accueillir aujourd’hui dans les capitales occidentales au rythme des tam-tams battus par des descendants d’anciens esclaves. On aurait souhaité voir Biram se recueillir à Gorée et y conduire ses caravanes de l’esclavage humain cette fois et dénoncer, comme il le fait en Mauritanie, les traitements réservés aux descendants des anciens esclaves aux Etats-Unis et en France, tirés à bout portant comme de petits lapins par des policiers blancs.
D’un autre côté, certains pans de l’Opposition, qui privilégient, à leur tour, les sujets relatifs au communautarisme, parlent, quant à eux, des difficultés ‘’du vivre ensemble des Mauritaniens’’ ; demandent ‘’des moyens de renforcer une unité nationale menacée’’ ou exigent ‘’la fin des privilèges de l’ethnie maure sur les autres’’ …etc.
Non pas que ces questions ne sont pas importantes, ou qu’elles ne méritent pas d’être posées et de trouver des solutions, mais elles ne constitueraient pas, selon nous et selon tous ceux qui cherchent le changement, la priorité du moment.
De toute façon, ce n’est pas un Etat à genoux qui plie sous le fardeau d’une lourde dette, un pays qui ne produit plus rien et dont les recettes minières et halieutiques sont détournées vers les seuls chantiers encore debout du pouvoir et de ses hommes: l’aéroport et son hôtel en construction, les hautes tours qui se dressent à la place des anciens blocs, les boutiques de l’école de police, les marchés à la place des écoles et de la ‘’fanfare’’ dont le clairon ne sonnera plus le rassemblement et les répétitions pour préparer les grandes fêtes (très prisées par les enfants) et l’arrivée des hôtes de marque qui commencent à nous manquer, qui apportera les solutions salvatrices à ces problèmes d’ordre structurel qui se posent depuis l’indépendance.
Le communautarisme, au lieu de hâter les changements, a toujours été plutôt une source de longévité pour les différents pouvoirs. Au lieu de favoriser la responsabilité individuelle du citoyen, source d’émancipation et de progrès, il renforce la responsabilité collective de la tribu, de l’ethnie et du groupe social. C’est pourquoi les mauritaniens votent surtout en fonction de leur appartenance tribale, ethnique ou sur ordre du chef de la confrérie religieuse à laquelle ils appartiennent.
De toute manière, les Mauritaniens, laissés à eux-mêmes, ont toujours vécu en parfaite harmonie et les mariages entres les communautés que les islamistes préconisent comme une solution à l’unité nationale constituent, sinon une provocation, du moins une forme inférieure d’un syncrétisme politique et font finalement le jeu du pouvoir pour soulever les communautés les unes contre les autres.
S’agissant du dialogue, le pouvoir en a fait un moyen de gestion politique de l’Opposition pour la neutraliser. Depuis des années, le pouvoir et l’Opposition ne font que dialoguer, sans parvenir à un résultat. On s’arrête de dialoguer, le temps d’une élection à laquelle une partie de l’Opposition participe pendant que l’autre la boycotte.
Le pouvoir promet souvent : «au dialogue, tout est possible» ; au dialogue, «il n’y a pas de sujet tabou, tout est discutable». L’Opposition réplique : «nous ne sommes pas contre le dialogue, mais nous attendons toujours la réponse du pouvoir à nos propositions» …etc.
L’opposition doit changer de stratégie, elle doit se rendre compte que celle qu’elle a choisie jusqu’ici n’est pas payante. Mais les forces centrifuges, en son sein, l’en empêchent. D’ailleurs il faut aller en Mauritanie, pour trouver un dialogue entre un pouvoir et une opposition, surtout celle dite radicale. Ils sont censés avoir deux projets, deux visions différentes du pouvoir. Le peuple est censé avoir tranché après une élection dite démocratique. Pourquoi l’opposition cherche-t-elle à rejoindre le pouvoir en dialoguant avec lui sur une politique et une gestion qui ne sont pas les siennes ?
A l’élection présidentielle de 2014, vous avez soutenu le candidat Boydiel Ould Houmeid. Aujourd’hui Boydiel soutient le président Ould Abdel Aziz dans sa tentative de révision de la Constitution sur la base de l’article 38. Quels sont les critères qui ont emporté votre soutien à monsieur Boydiel ? On constate, cependant, que vous n’êtes pas d’accord avec lui sur la révision de la Constitution ?
A l’UPSD, nous pensons que l’exercice de la plus haute magistrature exige un certain niveau de formation et d’expérience administrative et politique notamment. Il est vrai qu’il n’y a pas une école pour former les futurs chefs d’Etat, mais on s’accorde à admettre un consensus, selon lequel un futur chef d’Etat, doit passer au moins par 3 étapes : l’étape de la formation, celle de l’expérience administrative et enfin une expérience politique. Ces conditions peuvent ne pas être suffisantes pour faire un bon chef d’Etat mais elles sont nécessaires, nous dirions même indispensables.
Certains, quand ils ont la force, prennent directement le pouvoir, en contournant ces trois étapes, mais ils en paient le prix par la suite. Pour nous, le Président Boydiel, en plus de ses qualités humaines et patriotiques, satisfait, à ces 3 conditions. S’agissant de la révision de la Constitution, je regrette aujourd’hui que nous ne soyons pas dans le même camp. Mais cela ne change rien à l’estime et au respect que je continue à avoir pour lui, bien que nous ne sommes pas revus depuis les élections de 2014. Je rectifie : nous nous sommes salués le 3 avril 2017 à l’aéroport de Nouakchott.
Pour votre gouverne personnelle et pour celle de vos lecteurs, qui ne le savent pas peut-être, nous n’avons pas, non plus, soutenu Ould Abdel Aziz en 2009, au contraire nous avons rendu public un communiqué : «l’UPSD décide de ne pas soutenir le candidat Aziz et en donne les raisons…». (Nouakchott, info n° 1729 du 10 mai 2009). Nous avons trouvé 7 raisons pour ne pas soutenir Ould Abdel Aziz en 2009. Chaque raison commence par :
-1°/ Ould Abdel Aziz ne nous a pas demandé de le soutenir et nous ne l’avons pas décidé à notre niveau…
-2°/ L’UPSD ne partage pas ce discours accusateur qui n’épargne personne : partis politiques, cadres formés à l’étranger, magistrats, walis, hakems, tous les gouvernements sans exception depuis 49 ans….
-3°/ Nous pensons sincèrement que la listes des moufcidine ne s’arrête pas seulement aux derniers directeurs généraux d’Air Mauritanie, à son Président du Conseil d’Administration….
-4°/ Tout comme nous pensons que les nominations aux postes de l’Etat ne prennent pas en compte le mérite et la compétence….
-5°/ Les médias officiels sont désormais exclusivement réservés à ceux qui font l’éloge du candidat Mohamed Ould Abdel Aziz et énumèrent les mérites du coup de force du 6 août…
-6°/ Le silence du candidat Mohamed Ould Abdel Aziz, quant à la crise économique mondiale et ses graves conséquences sur notre pays, nous inquiète….
-7°/ Comme Sidi Ould Cheikh Abdallahi, le candidat Mohamed Ould Abdel Aziz s’est engagé, lui aussi, dans des voies sans issues, à propos de l’utilisation à des fins électoralistes de la question des déportés, de l’esclavage, des événements de 89-1991, tout en observant un mutisme complet sur le cas de 500.000 expulsés et spoliés Mauritaniens du Sénégal…
Propos recueillis par AOC
Source : Le Calame (Mauritanie)