Lors de la session extraordinaire du Parlement du mois de février 2017, le gouvernement mauritanien a présenté un projet de loi portant modification de la constitution, en application de la procédure prévue dans le Titre XI de la constitution intitulé « DE LA REVISION DE LA CONSTITUTION« .
Cette procédure, minutieusement décrite dans ce Titre par les articles 99,100 et 101 impose nécessairement, une fois prise l’initiative de la révision par le pouvoir exécutif ou le pouvoir législatif, le passage par les phases successives suivantes :
- approbation du projet par une majorité des 2/3 des députés,
- approbation du projet par une majorité des 2/3 des sénateurs,
- puis, après cette double approbation séparée des parlementaires, soumission du projet par le Président de la République, à son choix, pour ratification, soit à un référendum populaire, soit au Congrès du parlement qui regroupe les deux chambres et qui doit statuer en la circonstance, à la majorité des 3/5 des députés et sénateurs.
Cette procédure a été même, clairement et fermement, rappelée, comme étant une exigence constitutionnelle incontournable par Monsieur le Ministre ayant représenté le gouvernement lors de l’examen du projet de révision constitutionnelle devant chacune des deux chambres, lors de la session extraordinaire consacrée à cette fin; le rappel de cette exigence a été fait avec d’autant plus de force que cette procédure a toujours été appliquée lors des précédentes révisions, sans la moindre difficulté ou ambiguïté.
C’est ainsi que le projet de révision proposé par le gouvernement a été approuvé à une très large majorité par l’Assemblée Nationale à la grande satisfaction du gouvernement. Cependant, devant le Sénat, il en fut autrement. Les Sénateurs ont, à la majorité, rejeté le projet interrompant ainsi irrémédiablement le processus initié.
Or, au cours de sa conférence de presse du 22 mars 2017, Monsieur le Président de la République, en même temps qu’il prenait acte devant l’opinion publique nationale du rejet de la proposition de révision constitutionnelle par le Sénat, annonçait son intention de soumettre le projet de révision, directement, cette fois, au référendum populaire, contournant ainsi la phase de participation parlementaire, sur la foi d’une singulière interprétation de l’article 38 de la constitution isolé du reste des dispositions du texte constitutionnel disposant que » Le Président de la République peut, sur toute question d’importance nationale, saisir le peuple par voie de référendum ».
Le Président de la République a précisé lors de la conférence de presse qu’il se fonde sur l’avis d’ « éminents constitutionnalistes apolitiques » qui estimeraient que le recours à l’article 38 est justifié en l’espèce.
Le président de la République a déclaré, en outre, que l’organisation du référendum allait se faire dans les plus brefs délais.
Partant de notre volonté exclusivement citoyenne de défendre notre constitution qui est le fondement du pacte social ;
Soucieux du respect de la constitution, de sa bonne compréhension par l’ensemble des acteurs politiques et sociaux et de son application harmonieuse, pleine et entière ;
Convaincus de la nécessité de rappeler au citoyen mauritanien le contenu réel de notre loi fondamentale, sans aucun esprit de surenchère ou de parti pris ;
Nous, signataires de la présente déclaration, juristes professionnels, praticiens du droit, conscients de la responsabilité qui pèse sur nous en ce moment crucial de l’histoire de notre pays, avons l’insigne honneur de porter à l’attention du citoyen mauritanien ce qui suit :
- La procédure de révision de la constitution, aux termes mêmes de la constitution, ne peut se faire que par le biais de la procédure définie par les articles 99 et suivants du TITRE XI, intitulé DE LA RÉVISION DE LA CONSTITUTION.
- La formulation « toute question d’importance nationale » contenue dans l’article 38 ne peut, en aucun cas, s‘appliquer à la révision de la constitution qui est régie explicitement et exclusivement par les articles 99 et suivants, au sein du Titre XI de la constitution qui lui est spécialement consacré. A cet égard, l’article 99 ne laisse place à aucune exception et est applicable, comme il l’indique expressément, à TOUT projet de révision ; cet article dispose « … Tout projet de révision doit être voté à la majorité des deux tiers (2/3) des députés composant l’Assemblée Nationale et des deux tiers (2/3) des sénateurs composant le Sénat pour pouvoir être soumis au référendum…».
Manifestement, toute autre procédure de révision constitue une entorse grave à la Constitution
- Le recours à la révision de la constitution par la voie de l’article 38 introduit de surcroît un amalgame aux lourdes conséquences. Il risque en effet de constituer un précédent dangereux en ce qu’il met en péril le fragile équilibre sur lequel repose le fonctionnement de nos institutions et de notre démocratie et peut ouvrir la voie à toutes les aventures, y compris la remise en cause de certaines dispositions intangibles de la constitution (forme républicaine de l’État, intégrité territoriale, principe de l’alternance politique, limitation du nombre et de la durée des mandats du Président de la République…).
- Si certains ont cru pouvoir trouver une justification au recours à l’article 38 de la constitution en invoquant une pratique qui aurait été suivie dans d’autre pays, cet argument n’est pas recevable en droit tant sont claires et précises les dispositions en la matière de notre constitution.
Pour toutes ces raisons, nous pensons que la décision de soumettre la révision constitutionnelle au référendum populaire en vertu de l’article 38 à l’exclusion du Titre XI de la constitution constitue un acte anticonstitutionnel.
Nous appelons Monsieur Le président de la République, en sa qualité de garant de la constitution, à revenir à une lecture juste de la loi fondamentale et à ordonner l’arrêt immédiat de toutes les mesures prises ou envisagées qui transgresseraient la constitution.
Nous invitons tous les juristes de notre pays de toute opinion, épris de démocratie et soucieux de la stabilité de nos institutions à se joindre à notre Initiative tendant à constituer une association indépendante pour la défense des acquis constitutionnels
Les signataires (par ordre alphabétique) :
ABDEL KADER OULD HAMAD, Avocat
BRAHIM OULD EBETY, Avocat
DIAW ABDOULAYE DJIMME, Docteur en droit public
LO GOUMO ABDOUL, Professeur agrégé de droit public et Avocat
MOHAMED LEMINE OULD DAHI, Professeur de droit constitutionnel
MOHAMED SIDI OULD ABDERRAHMANE, Avocat
SIDI MOHAMED OULD BEIDY, Docteur en droit public
YARBA OULD AHMED SALEH, Avocat
YEZID OULD YEZID, Avocat
Source : www.lecalame.info