Algeriepatriotique : Vous avez lancé un appel à la mobilisation contre l’arrestation de militants de votre association pour avoir dénoncé l’esclavage. Quel écho votre appel a-t-il eu ?
Biram Ould Dah Ould Abeid : L’appel que nous avons lancé a eu des échos très forts en Mauritanie, car la mobilisation des militants de l’IRA (Initiative de résurgence du mouvement abolitionniste, ndlr), qui sont des milliers, s’est faite dans toutes les villes, dans toutes les campagnes mauritaniennes, pour soutenir les personnes disparues, victimes des arrestations arbitraires, victimes de montages sécuritaires et victimes de tortures et de jugements inéquitables.
Egalement, la mobilisation a gagné toutes les associations civiles et les partis politiques mauritaniens qui ont soutenu, par des communiqués et des prises de position publiques, les militants de l’IRA injustement incarcérés.
Sur le plan international, le soutien était sans équivoque et total, à commencer par les ONG internationales des droits de l’Homme, en passant par des organismes internationaux telles que les Nations unies, l’Union européenne, la Commission de l’Union africaine des droits de l’Homme qui a voté une résolution, en octobre dernier, condamnant la Mauritanie pour connivences avec les pratiques esclavagistes. Sans compter des Etats, comme les Etats-Unis et bien d’autres pays du monde libre qui ont ouvertement soutenu notre organisation.
Vous indiquez, dans votre appel, que treize militants de votre association sont emprisonnés illégalement et qu’ils ont eu droit à un faux procès. Peut-on connaître leur situation actuelle ?
Le faux procès, c’est celui intenté aux innocents. C’est un procès intenté aux hommes et femmes justes parce qu’ils ont des idées, des comportements et des attitudes conformes à la loi, comme les militants de l’IRA qui sont conformes dans leurs pensées et actions à la légalité nationale et internationale. Ce sont des militants des droits de l’Homme pacifiques.
Ceux qui leur ont intenté ce procès, l’ont fait dans le cadre d’une action générale et totale de l’Etat mauritanien. Ce dernier veut supprimer toutes les actions et entreprises visant à déconstruire l’esclavage, le racisme qui fonde l’Etat mauritanien et qui fonde aussi le groupe des Mena de l’extrême-droite arabo-berbère qui a fondé son mode de vie sur l’esclavage et qui a décidé par une répression complètement illégale de supprimer le mouvement de droit civique qui est le mouvement d’IRA, un mouvement anti-esclavagiste.
C’est à partir de là que je qualifie le faux procès qui est, en fait, le procès du pouvoir mauritanien, cet apartheid implanté en Afrique de l’Ouest, et précisément en Mauritanie. Un apartheid de l’extrême-droite raciste, xénophobe et afrophobe qui pratique une gouvernance contre les personnes d’ascendance africaine en Mauritanie.
600 000 Mauritaniens seraient des esclaves par ascendance et un grand nombre d’entre eux sont exportés vers les pays du Golfe. Comment cela est-il possible alors que l’esclavage a été aboli officiellement en Mauritanie depuis 1981 ?
Cette aberration s’est installée sur le territoire mauritanien depuis plusieurs siècles. Installée par la construction de sociétés hiérarchisées et fondées sur le mépris de l’homme noir, c’est-à-dire l’esclavagisme de l’homme noir. Un esclavagisme arabo-berbère qui a fondé une expansion et qui a pu réussir à faire des ponctions au sein des communautés noires de l’Afrique de l’Ouest.
Et de ces ponctions, une majorité de main-d’œuvre noire a été soumise à l’esclavage. Cela est un poste avancé de la traite orientale, arabo-musulmane – qui a aussi saigné l’Afrique – et la traite atlantique. Cette traite qui n’a pas encore été mise en cause et n’a pas encore été revisitée par l’élite africaine à qui incombe la paternité des luttes de l’indépendance, des luttes anti-impérialistes, anti-esclavagistes et antiapartheids.
Cette élite a sacrifié la diaspora noire dans le monde arabe dont les Noirs mauritaniens ne sont que la tête de pont. Ils ont été sacrifiés au nom d’une solidarité confessionnelle tiers-mondiste et continentale avec l’élite arabo-musulmane dominante dans les pays arabes.
Cette élite qui n’a pas encore déconstruit, ni revisité, ni remis en cause la perception que l’homme noir subit au sein des sociétés arabo-musulmanes depuis la nuit des temps. Une perception faite de mépris, de marginalisation et de sous-estimation, qui continue de faire souffrir des dizaines de millions de Noirs dans les sociétés arabo-musulmanes de la Mauritanie jusqu’au fin fond de l’Inde.
Vous affirmez que les auteurs du crime d’esclavage sont intouchables et que vous avez présenté des centaines de «maîtres» à la justice, sans parvenir à obtenir une seule condamnation. Qui protège ces esclavagistes et pourquoi ?
Les criminels d’esclavage sont protégés par l’Etat. Ils sont protégés par les institutions sécuritaire, policière et juridique de l’Etat mauritanien. Parce que l’Etat qui est censé combattre l’esclavagisme en Mauritanie est dominé par des groupes qui n’ont pas encore renoncé à l’esclavage.
Ce dernier continue toujours à être considéré comme le sixième pilier de la religion musulmane par les groupes dominants esclavagistes mauritaniens. Des juges, des ministres, de hauts fonctionnaires de l’Etat et des députés sont acquis à la cause des esclavagistes. Ils sont tous de connivence parce qu’eux-mêmes détiennent encore leurs esclaves dans leurs maisons et terres agricoles, derrière leurs troupeaux.
Ces esclaves le sont de naissance. Les groupes arabo-berbères mauritaniens héritaient et héritent encore de nombreuses populations d’esclaves dès leur naissance. Ce qui fait que la reproduction de la main-d’œuvre servile s’est faite à partir de la ligne maternelle et continue encore, car il y a des esclaves qui sont possédés et qui travaillent sans repos, sans salaire et sans soins. Ils n’ont pas le droit à l’éducation ni même aux documents d’état civil. Ils subissent des viols sexuels sacralisés et codifiés par un code noir, négrier.
Le code d’esclavage est toujours en vigueur en Mauritanie et est officiellement placé par l’Etat mauritanien comme principale source de loi dans la Constitution mauritanienne. Et tous ceux qui s’attaquent à l’esclavage sont considérés comme des apostats et des ennemis de l’islam et des criminels. C’est pour cela que nous, les militants anti-esclavagistes mauritaniens, sommes menacés par ces chefs d’inculpation et sommes passibles de la peine de mort.
Pour vous, les Etats africains sont complices, par leur silence, de l’Etat mauritanien que vous qualifiez de «régime d’apartheid»…
La Mauritanie a refondé un régime d’apartheid qui ne dit pas son nom. L’extrême droite et afrophobe a fondé une discrimination qui structure l’Etat, met les Noirs en bas de l’échelle de l’Etat et remet en cause la citoyenneté des Noirs autochtones qui sont largement majoritaires dans le pays. Cet apartheid limite l’existence des Noirs au sein des différents corps, civil et militaire, de l’Etat. Il opère aussi une exclusion économique des Noirs mauritaniens, notamment de la propriété terrienne.
La complicité des Etats africains réside dans cette indignité sélective qu’ils adoptent ; ils s’indignent contre l’apartheid en Afrique du Sud, parce que c’est un apartheid blanc, ils s’indignent vis-à-vis de l’esclavage dans les Caraïbes, en Amérique, parce que les esclavagistes sont des Blancs, mais ils sont complaisants, connivents et silencieux, voire même solidaires, malheureusement, avec l’esclavage arabo-berbère.
C’est pour cela que je dis que la traite orientale, arabo-musulmane, n’a jamais été indexée, ni combattue, ni remise en cause par les élites africaines. Ils ont sacrifié la diaspora noire dans le monde arabe sous forme de solidarité confessionnelle, continentale et tiers-mondiste avec leurs collègues, les élites arabes.
Vous-même avez été incarcéré plusieurs fois dans le cadre de votre combat contre l’esclavage dans votre pays. Votre combat est-il lié au fait que vous soyez descendant d’esclaves ?
Mon combat a bel et bien un lien avec le fait que je sois descendant d’esclaves, parce que j’en ai fait le serment à mon père qui m’a inscrit à l’école pour un but primordial : celui de combattre l’esclavage de manière intellectuelle et idéologique. Mon père n’était pas lettré et n’a pu se dresser contre l’esclavage que par la force. Il m’a inscrit à l’école pour que je puisse développer une insurrection intellectuelle contre le pouvoir esclavagiste.
C’est pourquoi l’acte d’incinération des livres esclavagistes qui sont considérés en Mauritanie comme sacrés, l’acte d’autodafé, symbolique et public que j’ai réalisé avec mes amis, le 27 avril 2012, contre le code d’esclavage mauritanien, fait partie de l’application du serment fait à mon père. C’est pourquoi, aussi, ce combat qui a façonné ma vie est le combat de tous les Mauritaniens dignes et les personnes justes et, surtout, de la majorité du peuple mauritanien qui sont des Haratins, la communauté des esclaves et des anciens.
Ma génération a dû se dresser non seulement contre l’esclavage proprement dit, dans ses dimensions ancestrales, de viols, de travaux forcés, de castration et de traite, mais aussi contre un autre phénomène mis sur notre chemin, en tant que descendants d’esclaves, en tant que personnes instruites. Ce phénomène est le fait de trouver au sein de l’administration mauritanienne une discrimination sous toutes ses formes qui trouve sa racine dans l’esclavage.
Vous n’avez cessé, depuis 2008, année à laquelle vous avez fondé l’IRA, de mener des campagnes de sensibilisation à travers toute la Mauritanie. Avez-vous obtenu des résultats encourageants ? Pourquoi est-ce si difficile de mettre fin à ce fléau ?
Nous avons bien eu des résultats encourageants parce que notre organisation IRA Mauritanie est devenue un mouvement de droit civique qui traverse tous les milieux mauritaniens. Notre organisation a la plus grande capacité de mobilisation populaire dans le pays.
C’est un grand mouvement de droit civique qui a empêché l’Etat raciste et mensonger de tourner en rond. C’est pourquoi, depuis 2010, l’Etat mauritanien nous intente deux ou trois procès par an. Au cours de ces procès, des dizaines de nos militants et dirigeants comparaissent devant les tribunaux mauritaniens, mais ils continuent toujours à transformer leur procès en procès de l’Etat mauritanien.
L’organisation IRA Mauritanie que je dirige est la plus primée de la sous-région ouest-africaine et de la sous-région maghrébine. Elle a obtenu le prix de la ville de Weimar pour les droits de l’Homme et le prix Franklin pour les droits de l’Homme. Nous avons obtenu aussi un prix des Nations unies. Pour la cause des droits de l’Homme, nous avons reçu le prix Tulipe des droits de l’Homme, ainsi qu’un autre pour la non-violence, décerné par les héritiers de Martin Luther King.
Le 30 juin passé, nous avons reçu le prix type des héros de la lutte contre l’esclavage qui nous a été décerné par le gouvernement américain. Nous sommes une organisation très soutenue, connue et adoptée comme une organisation conforme à la légalité internationale.
En ce moment, vous effectuez une tournée européenne. Les Européens entendent-ils votre cri ?
Nous avons obtenu le soutien des sept rapporteurs des Nations unies dans les différents compartiments de violation des droits de l’Homme, celui de l’ONU, du Haut-commissaire aux droits de l’Homme de l’Union européenne, de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples, des Etats-Unis d’Amérique et celui de toutes les ONG des droits de l’Homme. Notre appel à la mobilisation nationale et internationale a été largement entendu.
Notre priorité, aujourd’hui, consiste en la mise en application de la plainte que nous avons déposée la semaine passée en France. Une plainte qui vise vingt hauts fonctionnaires civils et militaires mauritaniens qui sont les architectes de la torture en Mauritanie et, en même temps, les exécutants de la torture. Ils sont coupables de plusieurs crimes de tortures, notamment, subis par les militants et dirigeants de l’IRA qui étaient en prison tout récemment et dont trois y sont toujours.
Interview réalisée par Mohamed El-Ghazi
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Source : Algerie Patriotique