Esclavage en Mauritanie : comment affronter le déni ?

Esclavage en Mauritanie : comment affronter le déni ? Alors que les opinions internationales font preuve de vigilance quand au respect des droits de l’Homme, étrangement, l’esclavage persistant en Mauritanie suscite beaucoup trop d’indifférence et pourtant 18% de la population y vit encore aujourd’hui en esclave. Dans son article, Asmâa Bassouri, dénonce fermement le silence organisé en chaine depuis le sommet de l’Etat jusqu’à la base autour de l’esclavage.

Ce fléau est certes réprimé par la loi mauritanienne mais que faire quand le phénomène persiste dans la loi du silence ? Que faire quand même les religieux s’en mêlent et laissent croire aux esclaves que leur sort est normal et voulu par Dieu ? L’auteure fait alors des propositions pertinentes pour tenter de lutter contre l’ignominie.

Sous l’œil observateur mais indifférent de la communauté internationale, la pratique de l’esclavage se perpétue en Mauritanie, qui est estimée encore aujourd’hui à quelques 600.000 esclaves, soit 18% de la population.

Le ciblage impitoyable des militants d’ONG anti-esclavagistes, met en relief l’hypocrisie du régime en place, cherchant manifestement à faire perdurer le statu quo. Pourquoi la situation des esclaves en Mauritanie peine-t-elle à évoluer ?

Officiellement aboli en 1981, pour ensuite être successivement incriminé en 2007, puis considéré comme crime contre l’humanité en 2015, l’esclavagisme fait l’objet d’une stratégie de l’autruche où pouvoirs politique, judiciaire et religieux, seraient tous complices.

D’abord, les dirigeants au pouvoir semblent non seulement être peu enclins à éradiquer cette pratique, mais placent dans leur ligne de mire les militants abolitionnistes mobilisés sur la question, en même temps qu’ils continuent à interdire l’entrée en Mauritanie à certaines ONG notoires. Ils adoptent une attitude « négationniste » réfutant catégoriquement l’existence d’un tel phénomène sur leurs terres, quand bien même l’adoption successive des lois pénales sus-indiquées, prouve le contraire.

Une adoption qui – rappelons-le – servait uniquement d’alibi que dicte notamment la préservation des relations extérieures, étant donné qu’elle n’a pas été accompagnée sur le plan économique et social, de mesures nécessaires pour éduquer les esclaves et permettre leur insertion sur le marché du travail. Beaucoup ne sont même pas encore conscientisés par rapport à leur état d’esclave, faute de sensibilisation.

Pour remonter un peu dans l’histoire, ce manque de volonté politique serait dû et, à la structure féodale de la société mauritanienne, laquelle nourrit et entretient la culture esclavagiste.

A la croisée des chemins entre le monde arabe et l’Afrique noire, la population mauritanienne est dirigée par les Beydanes, dits encore Maures blancs, de descendance arabo-berbère qui soumettent les populations noires à des violations flagrantes des droits de l’Homme, après les avoir capturés et leur avoir assigné les tâches jugés avilissantes.

Dès la naissance, le rang social de l’individu est déterminé – noble ou esclave – avec citoyenneté pleine et entière pour le premier, contre un déni d’humanité pour le second, qui reste la propriété de son maître.

Ce dernier peut le faire travailler pendant de longues heures sans rémunération, abuser de lui ou le torturer, et bien évidemment le vendre s’il le veut. L’abolition effective de l’esclavage serait une menace aux intérêts des beydane . Cela bouleverserait la société et aurait pour conséquence de redistribuer les cartes.

Si cette stratification sociale n’est pas maintenue, l’influence des beydanes en pâtirait grandement d’un point de vue politique, d’où le déni total face à la persistance de l’esclavagisme. Ceci d’autant qu’affranchir les esclaves reviendrait à « offenser » les notables pour lesquels la possession d’esclaves symbolise leur statut dans un pays pauvre dont ils contrôlent l’économie.

Ensuite, les esclavagistes bénéficient d’une totale impunité, les juges refusant de connaître d’affaires d’esclavagisme sous prétexte que cette pratique a été abolie par les textes, et que la traite des esclaves en marchés publics n’existe plus. Or, l’abolition reste purement théorique, et le commerce des esclaves a changé de forme (échange, cadeaux de complaisance… etc.).

Il s’en suit que les esclaves fugitifs sont souvent remis à leurs maîtres par la police. Tout effort visant à identifier et poursuivre les responsables s’en retrouve alors bloqué. La loi n’est plus dans ce cas le refuge de l’opprimé, mais l’arme de l’oppresseur. Elle n’est plus un bouclier, mais une épée. Même certains milieux intellectuels se sont montrés complaisants en n’usant pas des médias pour dénoncer l’impunité.

L’attitude des juges s’inscrit dans la lignée de l’inertie politique relativement à la question. Une attitude honteuse s’élevant au rang de déni de justice, compte tenu du droit national abolitionniste existant, mais aussi et surtout des engagements internationaux de la Mauritanie dans ce sens, ayant ratifié au moins cinq instruments, y compris la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, dont le mutisme des dirigeants à propos du sort des esclaves en Mauritanie nous confirme encore une fois, qu’à l’école des droits de l’Homme, le continent africain continue d’être un élève médiocre.

Par ailleurs, la religion telle que manipulée par les maîtres sur aval des chefs religieux, contribue au conditionnement psychologique des esclaves qui chercheront rarement à s’affranchir. Sur la base d’une interprétation erronée du Coran et des traditions prophétiques, on leur inculque que servir leurs maîtres est un devoir religieux, et que toute désobéissance mène à l’enfer.

L’attachement des esclaves à leurs maîtres en devient dès lors des plus puissants, dédoublé de la peur du chômage et de n’avoir nulle part où aller, la dépendance économique étant aussi l’un des meilleurs moyens d’asservir les esclaves.

Abolir l’esclavage dans un pays où il est ancestralement enraciné reste un processus long et difficile, étant donné les bouleversements économiques et psychologiques qu’il impliquerait. Mais une chose reste sûre, la seule promulgation d’une loi sans aucune force d’application est de la poudre aux yeux. Une approche globale agissant sur tous les leviers susceptibles de remettre en cause le statu quo actuel est nécessaire.

Cela commence par la mobilisation de la communauté internationale pour faire suffisamment pression sur le régime afin qu’il soit contraint d’honorer ses engagements et de faire appliquer les lois en vigueur, par tous les moyens légaux et diplomatiques, y compris la suspension de toute aide financière pour obliger le gouvernement à prendre au sérieux l’éradication de l’esclavage, voire la saisine de la Cour Pénale Internationale par voie de résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU.

A côté de la promulgation de lois, le gouvernement doit fournir les conditions de leur application, notamment des tribunaux spéciaux pour accélérer les procédures. De même, il faudrait éviter que des magistrats descendants d’esclavagistes ou détenant eux-mêmes des esclaves instruisent ce genre d’affaires en raison du conflit d’intérêt.

Ensuite, il est fondamental que les institutions et hommes religieux, en collaboration avec la les médias et la société civile, puissent reconnaître que l’esclavage n’a aucun fondement religieux et mener des campagnes de sensibilisation auprès de la population pour dévaloriser cet acte abominable.

La sensibilisation, l’éducation et la formation sont en effet des instruments incontournables pour faciliter l’émancipation des esclaves. Enfin, il est impératif de penser à leur insertion professionnelle que ce soit via l’emploi salarié ou l’entrepreneuriat, notamment en leur octroyant des prêts.

Pour autant, il serait utopique d’espérer que les dirigeants au pouvoir – qui se meuvent dans un monde statique – initient d’eux-mêmes une quelconque mesure. Il est besoin de pression interne et externe sur les politiques pour rompre avec ce déni de réalité laissant se perpétrer des pratiques rétrogrades du Moyen-âge.

Asmâa Bassouri, doctorante en droit international, Université Cadi Ayyad Marrakech (Maroc).

Article publié en collaboration avec Libre Afrique 

Source : Afrik.com