Affaire Oumoul Khair Mint Yarba l’esclave du colonel Viyah Ould Maayouf

Affaire Oumoul Khair Mint Yarba l’esclave du colonel Viyah Ould Maayouf Les plus grands dossiers d’esclavage qui ont défrayé la chronique ces dernières années : Affaire Oumoul KhaïryAtar 2013

Oumoulkheiry Mint Yarba, 45 ans : Jamais mariée, jamais scolarisée, jamais rémunérée…

« Le plus difficile que j’ai eu à endurer sous le joug de Mohamed Ould Abdallahi Ould Boulemsak et sa famille est d’avoir gardé les animaux alors que j’étais en état de grossesse. La corvée se poursuivait jusqu’au jour de mon accouchement. Je devais porter le nouveau né et suivre le bétail comme d’accoutumée. Je n’oublierai jamais le jour où l’on m’arracha ma petite fille Oumoul Barka et contraignit à l’abandonner au profit de surveillance du troupeau. Mon enfant avait un an ; à peine se déplaçait-elle à quatre pattes ».

« J’étais chez Ehel Boulemsak de Smamna, une fraction des Oulad Ghaylane. J’étais esclave de la famille d’Abdallahi Ould Boulemsak, et dépendais, de son plus jeune fils, Mohamed Ould Abdallahi », Oumoulkheiry a été récupérée par l’ONG SOS Esclaves.

Récit de Oumoul Khair Mint Yarba

Je m’appelle Oumoulkheir Mint Yarba. Mon père se nomme Yarba. Ma mère Selek’ha Mint Yarg. Je suis née vers 1965 à Guelb Heboul relevant de la Wilaya d’Adrar.

Mon père vit toujours. Il a passé une bonne partie de ses années chez les maîtres Ehel Ahmed El Houda, une famille des Oulad Ammoni qui réside à Tiberguent, aux environs d’Akjoujt. Ensuite, il est passé chez la famille d’Ehel Kerkoub de la tribu Oulad Ghaylane, au compte de qui il travaille encore. Mon père a épousé l’esclave d’Ehel Kerkoub du nom de Teslem ; de cette union est née une fille qui serait aujourd’hui mère d’un enfant. La dernière fois que j’ai vu mon père, j’étais très petite encore. Ma maman est décédée depuis longtemps, je ne l’ai pas connue. Je n’en ai aucun souvenir.

J’ai deux frères, l’un se nomme M’Bareck Ould Mahmoud et l’autre Ben’Ich Ould Selek’Ha. Je suis mère de cinq enfants dont trois filles et deux garçons. Les filles s’appellent, respectivement, Selek’ha Mint Oumoulkheîr, âgée de quinze ans environs, Mbarka Mint Oumoulkheîr de douze ans à peu près et Fatma dite Kounadi Mint Oumoulkheîr, dix ans. Quant aux garçons, il s’agit de Yarba Ould Oumoulkheîr, âgé de cinq ans et Ben’Ich d’une année et demi environ.

A la question : « où se trouvait Oumoulkheîr depuis qu’elle a commencé à percevoir les choses ? », elle répond :

J’étais chez Ehel Boulemsak de Smamna, une fraction des Oulad Ghaylane. J’étais esclave de la famille d’Abdallahi Ould Boulemsak, et dépendais, de son plus jeune fils, Mohamed Ould Abdallahi. Notre frère aîné, Mbareck Ould Mahmoud m’a un jour révélé comment, mon jeune frère, Ben’Ich et moi, nous sommes devenus ou plutôt nés esclaves des Ehel Boulemsak ; il m’a appris que bien avant ma naissance, notre mère Selek’ha Mint Yarg était esclave de Rajel Ould Aoueïneni qui l’a vendue à Abdallahi Ould Boulemsak père de Mohamed Ould Abdallahi. Notre servilité auprès de cette famille remontait donc à un acte de vente.

Je suis, jusqu’ici, l’esclave de cette famille qui m’a vue naître et éduquée ainsi. Depuis mon jeune âge, je lavais la lessive, expédiais les commissions, c’est-à-dire « r’soul » à la demande des maîtres, apportais le bois mort, préparais le thé, gardais le croît des animaux, les attachais et les détachais, pilais le mil dans le mortier et assurait la cuisson des aliments.

Lorsque j’ai grandi, j’étais chargée de garder les caprins, les ovins et les camelins. L’on m’avait astreinte à mener les bêtes aux points d’eau pour les abreuver. Il fallait, pour cela, procéder moi-même à l’explore de puits profonds et c’est un travail pénible. Au retour, j’étais contrainte, malgré la fatigue, de m’occuper de la corvée de ménage. Quand j’ai fini, je commence à traire les caprins et les chamelles. Chaque matin, à l’aube, je recommence les mêmes activités et cela doit continuer jusqu’à très tard dans la nuit. Mes enfants et moi, nous mangions, le plus souvent, que les reliefs des repas s’il y en a. Sinon, nous restions à jeun. C’est cela ma vie et celle des miens.

Le plus difficile que j’ai eu à endurer sous le joug de Mohamed Ould Abdallahi Ould Boulemsak et sa famille est d’avoir gardé les animaux alors que j’étais en état de grossesse. La corvée se poursuivait jusqu’au jour de mon accouchement. Je devais porter le nouveau né et suivre le bétail comme d’accoutumée. Je n’oublierai jamais le jour où l’on m’arracha ma petite fille Oumoul Barka et contraignit à l’abandonner au profit de surveillance du troupeau. Mon enfant avait un an ; à peine se déplaçait-elle à quatre pattes.

Pour mes maîtres, ce jour-ci, il y avait, dans le troupeau, la priorité de quelques femelles qui allaient probablement mettre bas. Je devais avoir les mains et le dos libres pour rapporter les petits à naître. Le soir, au retour, j’ai retrouvé ma petite fille morte, cadavre dans les sables, les yeux ouverts, envahis par les fourmis. Ma demande d’assistance pour l’enterrer n’a rencontré que silence et mépris total.

La famille des maîtres ne daigna même pas se soucier de l’insistance de leur mère Fatma Mint Bouderbala, pour m’aider à la sépulture. C’est elle, enfin, qui vint à moi et m’ordonnera de mettre le petit corps dans un morceau de tissu puis m’accompagna au cimetière. Arrivée sur place, c’est moi-même qui ai creusé le trou et enseveli mon enfant. Chez les maîtres je n’avais d’autres consolations que mes larmes. J’ai beaucoup pleuré et ma fille et ma condition. Au lieu de comprendre mon désarroi, l’on m’ordonna de me taire sinon l’on me ferait subir ce que je ne pourrais jamais supporter.

Interrogée sur le salaire qu’elle percevait pour son travail, Oumoukheïr répond que l’esclave ne reçoit, de ses maitres, aucune rémunération.

Je n’ai pas de logement, aucun. Et pour demeure, je n’avais qu’un abri à l’emporte-pièce, un assemblage de simples haillons (« Devya »). Je devais me contenter d’une vielle couverture et d’un vieux drap et cela pour toutes les saisons.

Mes maîtres ne m’offrent pas d’habits ni à mes enfants. On ne nous donnait que leurs vêtements usés. En revanche, il nous arrivait, mes enfants et moi, de recevoir quelque charité, notamment de la part des voisins. Au sujet des chaussures, les maîtres nous en achetaient parfois, mais jamais à mes enfants. Les pauvres marchaient pieds nus. Mes gamins et moi, subissions des châtiments corporels de la part de Mohamed Ould Abdallahi qui n’hésitait pas à me piétiner moi-même, devant eux. Il me frappait avec des branches d’épines. Les stigmates en sont, encore, visibles sur mon dos.

A la question de savoir si elle ou ses enfants allaient à l’école publique ou coranique, Oumoulkheïr hausse les épaules et précise :

Je ne récite pas « El Fatiha ». Ni moi ni mes enfants n’avons connu des moments de loisirs, encore moins des sorties en guise de divertissement. Nous ne connaissons rien d’autre que le travail, exclusivement.

Je ne me suis jamais mariée. Dès la première proposition, je m’en étais confiée à la mère des Boulemsak ; selon elle, mes maitres ne me permettront jamais de me marier et je serais battue ainsi que le demandeur s’ils venaient à apprendre tout cela. Je n’ai jamais reçu une quelconque aide de la part de l’État. Ni mes enfants, ni moi ne détenons de pièces d’État-civil ; je n’ai jamais voté. Telle est ma vie chez Ehel Boulemsak.

Un jour, alors que j’étais chez Ehel Boulemsak, une voiture de la gendarmerie est venue me transporter vers Mboirick des Ideghchemma à Yaghref, plus précisément l’ilot appelé Guediwar qui relève d’Aïn Ehel Taya, Moughataa d’Atar, région de l’Adrar.

A cette occasion, Ehel Boulemsak m’ont donné six têtes de caprins ce qu’ils n’ont jamais fait ; c’était pour moi une grande surprise. Depuis ma naissance, je n’ai jamais été dotée d’un bien quelconque. Les bêtes, m’ont été remises seulement, à l’arrivé des gendarmes, avec un pagne, une marmite, deux assiettes et un coussin. Je le compris plus tard, il fallait ainsi dissimiler ma vraie condition d’esclave. A mon arrivé, j’ai rencontré Vouyah Ould Mayouf lequel m’apprend que l’organisation « Akhouk El Hartani » (ton frère Hartani) a porté plainte, en ma faveur, auprès des autorités.

Le cas a été révélé en 2007, pendant les journées de sensibilisations sur la loi criminalisant l’esclavage organisées en Adrar ; lors du meeting d’Atar, le représentant de SOS Esclaves a exposé la situation de Oumoulkheïr ; il a été démenti par les autorités locales et, immédiatement, la gendarmerie a dépêché des agents sur place, pour séparer Oumoulkheir des Ehel Boulemsak, ses maitres. Un jour, après avoir passé environ un mois et dix jours chez Mboîrick d’Ideghchemma, Ben’Ich, mon frère, encore exploité par Vouyah Ould Maayouf sans contrepartie, me rendit visite. Il était accompagné de son maître, un célèbre officier de l’armée. Ce dernier m’emmena chez lui. Avec la complicité de mon frère, il fit de moi et mes enfants, des esclaves, à nouveau. Avec lui, j’ai enduré plus de souffrance qu’auparavant. Son exploitation ne s’est pas arrêtée à moi seule. Elle s’est étendue à mes enfants ; eux aussi ont été réduits en esclaves.

Chez lui, j’ai alors recommencé à garder et à faire abreuver les caprins, les camelins et les ovins, piler le mil et préparer le repas. Je faisais tout à la main. Il me frappait durement, beaucoup plus que la famille Ehel Boulemsak. Chaque fois que je n’exécutais pas une tâche, Vouyah me molestait ; parfois, me terrorisait. Il tirait des balles au dessus de ma tête. Un jour, il a voulu même me tuer ainsi. Je ne dois mon salut qu’à sa sœur, laquelle m’a sauvée. Elle s’est interposée entre lui et moi, la supplié, au nom de Dieu et son Prophète, de ne pas me tuer. Si je vis encore, aujourd’hui, c’est bien grâce à cette femme.

Un jour, Vouyah est venu m’annoncer qu’il va épouser ma fille afin d’être plus proche, de pouvoir me serrer la main, grâce à cette union. Quelque temps après, il est venu me dire que ma fille Selek’ha est devenue son épouse. Qui a célébré le mariage, quand et où ? Je n’ai pas reçu sa dot, encore moins un papier attestant l’union. Il m’a ordonné de l’embellir et de la lui amener dans sa tente « Gueïtoun ». Les habits que porta ce soir-là ma fille provenaient de la charité par les autres voisins. Ma fille passait la nuit avec lui jusqu’au matin et revenait me voir.

Cela a duré jusqu’à sa grossesse. C’est en ce moment que son épouse « légitime » apprit la nouvelle par l’intermédiaire de Fatma dite Kounadi, la sœur de Selek’ha. Interrogée par l’épouse de Vouyah Ould Maayouf, Kounadi rétorqua que Selek’ha passait la nuit avec Vouyah. Informé, il est venu me voir pour me dire qu’il répudie ma fille. Or, ceci c’est révélé faux car il continuait à abuser d’elle.

Quand il apprit que Selek’ha était en état de grossesse, il a voulu la marier à un berger appelé Youba, esclave des Lech’yakh ; ainsi, Vouyah souhaitait se soustraire à sa paternité. Cependant, Youba refusa car, il s’est rendu compte que Selek’ha portait un enfant naturel. Après, Vouyah a commencé à nous gronder et nous injurier sous prétexte que nous travaillions mal…

Un jour, il nous appela, Selek’ha et moi et nous mit à bord d’une voiture roulant à une vitesse vertigineuse sur une déviation ; Nous avons été exposées à toutes les secousses imaginables ; cela avait suscité un grand malaise à Selek’ha et des douleurs atroces, l’a rendue malade et entrainé son avortement dans l’hôpital d’Atar.

Vouyah m’utilisait toutes les fois qu’il avait besoin de moi et me ramenait au village pour m’y abandonner quand je n’étais plus utile. Ainsi, se comportait-il avec moi. Cette fois-ci, le 7 février au soir, lorsqu’il est venu me prendre, alors que j’étais dans le champ, j’ai refusé de partir avec lui. Alors, il a embarqué mes enfants dans sa voiture. Le lendemain mon frère Mbareck Ould Mahmoud s’est adressé à des éléments de SOS-Esclaves qui sont venus me voir et m’ont conduite à la mairie de Aïn Ehl Taya le 9 février ; le maire informa le Hakem de la Moughataa d’Atar.

Ce dernier ordonne à la commune de m’envoyer à la gendarmerie de Rass Tarf. Arrivée, le chef de brigade dénommé Ahmeda Ould Hamdinou vint me voir et renvoya les éléments de SOS-Esclaves qui m’accompagnaient. Il me demanda ce que je voulais ; je lui répondis que je voulais mes enfants et mes têtes de caprin. Il m’objecta : Vouyah est notre supérieur et nous ne pouvons rien. Il me redemanda ce que je cherchais, je lui ai répondu que je voulais avoir mes enfants et me proposa d’aller chez Vouyah pour le supplier car, tu es de la tribu des Oulad Ghaylane qui sont ses oncles. S’il répond favorablement, c’est bien sinon, reviens nous voir…Nous interviendrons. J’ai répondu ne pas oser venir le voir parce que je crains qu’il me tue par balles. Le gendarme me proposa une voiture pour me ramener au village. J’ai refusé d’y retourner de crainte que Vouyah ne passe me voir, préférant descendre à Ain Ehl Taya. Finalement, l’on me conduisit à Atar où le chef de la gendarmerie accompagné de Vouyah apportèrent mes enfants. Le chef me demanda ce que je voulais au juste. J’ai répondu que je veux reprendre mes enfants et mes animaux.

Les enfants se trouvaient dans la voiture de Vouyah mais ont été empêchés par celui-ci de nous saluer, mon frère et moi. C’est le chef de la gendarmerie qui va me les emmener avant que l’on nous embarque, cependant sans ma fille Selek’ha que Vouyah a emportée, dans son véhicule. La gendarmerie nous débarquera à Aïn Ehl Taya où je suis restée jusqu’à l’arrivée de mon frère Mbareck Ould Mahmoud avec lequel je suis partie à Nouakchott.

Je suis venue à Nouakchott le 15 février pour réclamer mes droits. L’on m’a informée que ma fille Selek’ha s’était mariée sans que je le sache. Ce mariage est pour moi nul et non avenu pour plusieurs raisons : d’abord, parce qu’il s’est fait sans tuteur légal ; ensuite, la fille est encore mineure, enfin, j’ai le droit de connaître son mari et c’est à moi de l’accepter ou non.

Cette union a eu lieu, comme je l’ai déjà signalé, pour couvrir les agissements de Vouyah Ould Maayouf. C’est un mariage forcé, contracté sous les agissements et conformément aux intérêts de Vouyah Ould Maayouf et son intimidation. Aujourd’hui, je dépose une plainte contre Mohamed Ould Abdallahi Ould Boulemsak d’abord et réclame les dédommagements de tous mes jours passés, dans sa famille en servitude, depuis mon enfance.

Je me plains également de Vouyah Ould Maayouf et cherche compensation pour mes enfants et moi, tout au long de deux années et demie d’exploitation, sous la contrainte sans aucune rémunération. Je cherche aussi à récupérer mes têtes d’animaux et ma fille qui sont toujours en sa possession.

Je demande à tous les mauritaniens et aux bonnes personnes sur cette terre de me soutenir. Je veux seulement ma part de justice et pouvoir vivre avec mes enfants, en toute liberté, à la sueur de mon front.

Cette affaire n’a jamais connu de suite à ce jour du 27 août 2016.
 

Source : Aidara.mondoblog (Mauritanie)