Me Fatimata M’Baye présidente de l’Association Mauritanienne des Droits de l’Homme : « Le fait d’avoir refusé d’être décorée le 28 novembre passé exprime ma solidarité avec les victimes de violations des droits de l’Homme des années 90 »

Me Fatimata M’Baye présidente de l’Association Mauritanienne des Droits de l’Homme :

Me Fatimata M’Baye présidente de l’Association Mauritanienne des Droits de l’Homme : ‘’Le fait d’avoir refusé d’être décorée le 28 novembre passé exprime ma solidarité avec les victimes de violations des droits de l’Homme des années 90’’ 

Le Calame : Vous venez de recevoir il y a quelques jours le prix Femmes de courage 2016, décerné par le Département d’Etat. Comment avez-vous accueilli cette distinction venue récompenser comme d’autres avant, les efforts de la militante des droits de l’homme que vous êtes ? Le gouvernement mauritanien vous a-t-il félicité?

Me Fatimata M’Baye : Le gouvernement mauritanien ne m’a pas félicitée et je le savais déjà car ce n’est pas la première fois que je suis primée pour les droits de l’Homme. D’autre part, cette distinction représente, pour moi, la reconnaissance de la Femme Mauritanienne à travers ma modeste personne pour son engagement, ses ambitions et ses motivations pour une société égalitaire, ouverte, démocratique et pour les droits de l’Homme en Mauritanie.

Ce prix intervient quelques mois après votre refus de figurer sur la liste des personnes à décorer lors de la fête de l’indépendance de notre pays ? Pouvez-vous expliquer aux mauritaniens votre geste ? 

Le fait d’avoir refusé d’être décorée le 28 novembre passé exprime ma solidarité avec les victimes de violations des droits de l’Homme des années 90 et dont les familles continuent à demander justice, avec les défenseurs de droits de l’Homme qui sont en prison, avec les différentes couches de notre société qui vivent dans des conditions précaires, insalubres, dans la violence et l’inégalité de chances qui prévaut dans les pratiques administratives.

C’est aussi une façon de dire aux autorités qui nous dirigent d’écouter plus les populations qui sont dans le besoin et qui attendent des actes réels de leurs engagements pour leur faciliter la vie et faire respecter leur dignité. Dans ces conditions, la reconnaissance de ma personne importe peu.

La Mauritanie dispose d’un important arsenal juridique pour éradiquer l’esclavage désormais érigé en crime contre l’humanité. Et pourtant, les organisations de défense des droits de l’homme ne cessent d’exhiber les cas présumés ou avérés d’esclavage. A votre avis, où ça pêche alors ? 

La question de l’esclavage, est un problème réel de la société mauritanienne et il faut l’éradiquer de manière définitive en appliquant la loi. Même s’il y a un arsenal juridique, il y a un manque réel de volonté de combattre ce drame d’un autre âge qui est en même temps un crime contre l’humanité, comme vous l’avez dit.

Les autorités doivent instituer une procédure d’auto-saisine du procureur de la République afin d’investiguer sur les cas portés à leur connaissance car il s’agit d’un crime contre l’humanité donc une atteinte grave à la dignité humaine et non pas demander aux victimes de justifier leurs allégations. Elles doivent également mettre en place des mesures d’accompagnement réelles que les victimes s’approprieront en étant associées à leur mise en œuvre.

Quelle appréciation vous faites du processus de règlement dossier dit « passif humanitaire » qui a occasionné une scission au sein du collectif des rescapés militaires? 

Le règlement du passif humanitaire : ce dossier est un des lourds tributs de l’histoire de notre pays et il a été mal géré. On a d’abord essayé de nier d’abord les faits, ensuite de créer une mésentente entre les victimes pensant pouvoir régler de cette manière ce dossier.

Il ne s’agit pas de désintéresser les ayants droit et les victimes encore vivantes par des indemnités, mais il s’agit de savoir pourquoi cela s’est produit afin de préserver la Mauritanie des pratiques inhumaines et des affres du racisme dans une société qui partage beaucoup. Il devrait s’agit plutôt de leur restituer leur dignité, leur citoyenneté.

Chaque revue annuelle de la commission des droits de l’homme de l’ONU à Genève est l’occasion pour le pouvoir de livrer une grosse bataille avec les Ongs de défense des droits de l’homme. A quoi sert cette rencontre du gotha des droits de l’homme. Quel profit en tire le gouvernement? 

L’examen périodique est un mécanisme qui permet d’abord de vérifier la conformité des pratiques du gouvernement avec ses engagements en matière de droits de l’homme devant le conseil des droits de l’Homme des Nations Unies et dont le siège se trouve à Genève.

Les ONG de la société civile ont le droit d’apporter leur contribution, soit en envoyant un rapport alternatif au rapport du gouvernement sur la situation des droits de l’Homme, sur les programmes achevés, ceux qui sont en cours et les solutions aux violations des droits de l’Homme.

Pourquoi le gouvernement mauritanien ainsi que les autres gouvernements, qui se trouvent dans la même situation de défense et non de dialogue, essaient toujours de montrer que tout va bien ? La réponse est simple : c’est parce qu’ils sont notés par leur pairs et les experts des Nations Unies dans les différentes branches concernées pour définir la situation du pays par rapport à la promotion, la mise en œuvre et le respect des différentes conventions et traités ratifiés par le pays concerné.

Et comme nos Etats s’attellent plus à faire soigner leur image de marque au lieu de chercher à diagnostiquer leurs faiblesses et difficultés dans leur mise en œuvre et le respect des droits de l’homme, ils se mettent dans la position de négation en fustigeant le travail des ONG alors que ces même gouvernements bénéficient de l’assistance des experts des Nations Unies et des fonds disponibles pour aider dans la mise en œuvre de leurs engagements.

La Mauritanie est membre du conseil des droits de l’Homme alors cela la mettrait très mal à l’aise de se sentir pointée du doigt pour non respect des engagements volontairement signés.

Les recommandations émises par les différents organes et comités d’experts sont des directives et conseils qui servent en général à guider et rappeler aux gouvernements le travail de rectification et les ONG des droits de l’Homme sont des observateurs actifs quant au respect de la mise en œuvre et du suivi de ces recommandations.

Que pensez-vous du processus de renouvellement du bureau de la commission nationale des droits de l’homme. Etes-vous satisfaite de son fonctionnement? 

Je ne connais pas qui compose la CNDH actuellement étant donné que je n’ai pas beaucoup d’éléments sur les choix qui ont été faits. Toutefois, pour moi et je pense c’est le souci de la société civile militante, la CNDH ne doit pas faillir aux principes de Paris qui régissent toutes les institutions nationales de droits de l’Homme eu égard à leur indépendance vis à vis des pouvoirs publics et en particulier le pouvoir exécutif car elles ont pour mandat de conseiller, d’interpeller, de recommander à ces derniers le respect des droits de l’Homme et de la démocratie, d’enquêter sur les allégations de violations de droits de l’Homme, de recevoir les victimes, de promouvoir et de protéger les droits.

Ces derniers temps, nous avons vu malheureusement la CNDH jouer un rôle qui ne lui sied pas, se mettant en porte-à-faux avec son mandat, en relayant le gouvernement dans sa position politique sur tel ou tel sujet brûlant du moment et parfois même des prise de position contraire à l’éthique d’une institution nationale censée promouvoir et protéger les droits de l’Homme.

Pour mieux fonctionner, il faut donner à cette commission toute sa liberté, son indépendance et son autonomie pour ne pas s’incliner devant le fait du prince. Cette commission ne doit pas être noyautée par les ministères, ce qui lui enlève tout critère de crédibilité aux yeux de personnes averties sur le fonctionnement des INDH.

Notre capitale connaît une violence urbaine sans précédent : viols, vols, assassinats, trafic de drogue…Pourquoi ces violences persistent alors que des commissariats et compagnies de police prolifèrent dans la capitale ? 

Diagnostic malheureusement vrai. La police ne peut pas faire face à cette montée de la violence et de la criminalité. Elle n’est pas bien formée ni bien outillée pour y répondre. D’autre part, il y a un laisser aller terrible qui décourage le citoyen de porter plainte.

Tant qu’il n’y a pas une police républicaine et démocrate, qui respecte les principes de droits de l’Homme en respectant la bonne gouvernance en son sein, il lui sera difficile de faire face à cette violence.

La corruption et trafic d’influence doivent être combattues au sein des forces de maintien de l’ordre et en tant qu’autorités chargées de l’application de la loi, les PJ doivent revenir à la tutelle du ministère de la Justice et non rester dans le giron du ministère de l’intérieur, ce qui leur enlève en quelque sorte l’obligation de responsabilité et de transparence dans leurs agissements.

La multiplication des commissariats et brigades n’endigue en rien la criminalité puisqu’ils ne sont sur le terrain que pour effrayer le simple citoyen qui vit sur le territoire alors que le rôle de la police de proximité est d’assurer la sécurité à tout individu sans distinction aucune et dans tous les coins, quartiers, villes, villages et campements. Quand l’ordre sera mis dans leurs propres rangs, la police ou les polices veilleront à l’exécution correcte de leur mandat en commençant par la circulation urbaine et autre.

Que pensez-vous de l’adoption par le parlement de la loi sur le terrorisme ? 

L’adoption d’une loi sur le terrorisme est normale pourvu que cette loi respecte les droits de la défense et les droits de l’Homme. La sécurité du territoire concerne aussi la sécurité des personnes qui vivent sur ce territoire et le respect de leurs droits. Cette loi doit instruire à charge et à décharge et ne pas être une loi inquisitoire selon laquelle on accuse sans pouvoir disculper. Beaucoup de pays y ont laissé des plumes car la loi n’était pas bien réfléchie au moment de son adoption.

Que pensez-vous des procès en appel des militants d’IRA et du bloggeur mauritanien Ould MKheitir condamné à mort ? A votre pourquoi leurs charges ont été requalifiées ? 

Ce sont des dossiers qui ont été gérés par des sentiments et des préjugés sociaux. Sur le plan juridique, les juges peuvent bien requalifier toute décision qui viole les droits de la défense et l’esprit de la loi et j’ose espérer que le juge mauritanien assumera sa responsabilité et son indépendance face à des droits pareils et ne pas mettre en gage les libertés individuelles pour les beaux yeux d’Amar ou Zeyd.

Propos recueillis par AOC

Source : Le Calame (Mauritanie)