«La lutte contre l’esclavage en Mauritanie est pénalisée par le déni du phénomène par les plus hautes autorités du pays, en totale contradiction avec l’arsenal juridique mis en place pour l’éradiquer et la Feuille de route du Rapporteur spécial des Nations Unies contre les formes contemporaines de l’esclavage. Quel officier de police judiciaire et quel magistrat ose affirmer ce que ses supérieurs jugent d’inexistant ? » Ces propos de Boubacar Ould Messaoud résumaient en substance l’essentiel des débats qui ont marqué la conférence de presse animée par SOS Esclaves mardi 29 décembre dernier, lors de la présentation de 15 nouveaux cas devant le parquet de Néma
Devant un parterre d’activistes des droits de l’homme et de quelques députés, deux familles de quinze personnes ont été présentées comme les derniers cas d’esclavage récemment dénichés dans la Moughataa de NBeïkett Lehouach au Hodh Charghi. D’emblée, le président de SOS Esclaves, Boubacar Ould Messaoud, dont l’organisation est à l’origine de cette découverte, a appelé tous les Mauritaniens à participer au combat contre la honte que constitue l’esclavage. «Il se passe des choses terribles dans les zones rurales de la Mauritanie et nous aimerions avoir le soutien de toutes les composantes nationales. La lutte contre l’esclavage ne doit pas seulement être l’affaire des Haratines » a déclaré Boubacar Ould Messaoud qui a décrit le phénomène esclavagiste dans la communauté maure comme la forêt qui cache l’existence de cette pratique dans toutes les autres communautés, Soninkés et Halpulaar en particulier. «Que l’on coupe cette forêt et nous saurions ce qui se trouve dans la clairière » a-t-il martelé. Présentant un jeune garçon parmi le groupe qui vient d’être libéré, il entonne «voyez-vous ce gosse, il n’a que 7 ans ; les gendarmes l’ont retrouvé à plus de 6 kilomètres du campement, seul, à la tête d’un troupeau de plus de 300 chèvres qu’il mène paître au profit de ses maîtres » a-t-il indiqué.
Le jeune berger de 7 ans
Plus émouvant encore fut le récit de Vatma Mint Zaida, à peine seize saisons. Il arracha des sanglots dans la salle. «Je suis née esclave et je m’occupais de tous les travaux, du ramassage du bois à la cuisson, en passant par le pilon pour moudre le mil, la conduite des troupeaux au pâturage, l’approvisionnement en eau à partir d’un puits situé à quelques kilomètres du campement. Mes maîtres me battaient, je n’avais pas d’habit et je ne mangeais pas à ma faim» a-t-elle témoigné.
Relatant l’odyssée des deux familles qui «viennent d’être arrachées aux griffes des négriers » selon son expression, Maaouloum Ould Mahmoud, Coordinateur de SOS Esclaves au niveau du Hodh Charghi, s’exclama «on dit qu’il n’y a plus d’esclaves en Mauritanie ! Eh bien, des cas matériels sont là devant vous ! C’est une gifle pour tous ceux qui soutiennent que SOS Esclaves fabrique des faux cas d’esclavage. Et pourtant, ces cas ont été qualifiés par le Procureur de la République de Néma comme des cas d’esclavage et les maîtres sont actuellement en prison » vatma zayda celle qui a fait pleurer la salle
Ce fut le lieu pour Boubacar Ould Messaoud de saluer le professionnalisme et l’attitude constante du Procureur de la République de Néma qui «a toujours traité convenablement tous les cas qui lui ont été présentés ». Ce qui ne semble pas être le cas du juge d’instruction, qui vient d’être affecté après sept ans au parquet de Néma. Selon le président de SOS Esclaves, «au lieu de mettre les mis en cause dans cette affaire en prison, le juge comme à son habitude, a décidé de les mettre sous contrôle judiciaire ». Il a fallu un arrêt de la Chambre d’accusation de Kiffa, pour que la décision du juge soit annulée et les deux maîtres, Ikhalihina Ould Ahmed Haimad et Hanena Ould Bouna, soient déposés en prison.
«Ce ne sont pas les seuls cas pendant devant les juridictions, nous avons dix autres cas devant le parquet de Néma, un devant le parquet de Zouerate, sans compter Nouadhibou et Atar » complètera Me Boye Ould Bonane, l’avocat de l’organisation. Mais en toute apparence, la bataille reste encore longue, car seul le jugement de cette affaire et son issue permettront d’indiquer si la Mauritanie a décidé enfin d’appliquer sa législation sur l’esclavage ou non.
PAR AIDARA