Ahmedou Ould Abdallah à Biladi : “…Il m’est difficile de voir l’existence de motivations politiques derrière cette question’’

Ahmedou Ould Abdallah à Bialdi : “…Il m’est difficile de voir l’existence de motivations politiques derrière cette question’’

Le journal français Le Monde a révélé, la semaine dernière, l’existence d’une enquête pour corruption de ‘’la Securities and Exchange Commission’’ des États-Unis (la «SEC» – organisme fédéral américain de réglementation et de contrôle des marchés financiers) qui viserait depuis une année l’entreprise Kinross Tasiast qui exploite une mine d’or dans notre pays. 

Cette information sonne comme une bombe au sein de l’opinion nationale, divisée entre ceux qui accusent le journal français de chercher noise à la Mauritanie à cause des positions de son président dans le conflit israélo arabe, et ceux qui ne cachent pas leur joie de voir enfin le régime de Aziz rattrapé par la mauvaise gestion.

Afin de voir clair dans cette affaire, Biladi s’est adressé à notre compatriote,Ahmedou Ould Abdallah, très au fait de la réalité des relations internationales et très concerné par les questions liées à la corruption en particulier sur le continent africain. Il a accepté, gentiment, de répondre à nos questions.

Biladi : Vous avez certainement lu l’article du Monde consacré à l’ouverture d’une enquête américaine pour fraude contre l’entreprise Kinross. Qu’en pensez-vous? 

Comme un bon nombre de personnes, mauritaniennes et autres, j’ai effectivement lu l’article relatif au sujet évoqué et signé de Joan Tilouine et Xavier Monnier dans le numéro en date du 4 octobre 2015. Naturellement, je ne peux imaginer des journalistes professionnels prendre le risque d’accuser une institution aussi puissante que le Security and Exchange Commission, ou SEC, le puissant gendarme de la Bourse de New York (New York Stock Exchange) d’être manipulée.

Mais au fond de quoi s’agit-il ? Il existe une loi américaine dite Dodds- Frank adoptée par le Congrès en juillet 2010. Cette loi exige des compagnies, américaines et étrangères, des conditions pour pouvoir avoir accès au marché financier américain.

Où qu’elles se trouvent, ces compagnies doivent, obligatoirement, rendre public tous les paiements effectués à l’étranger – royalties, taxes et tout autre paiements – projet par projet et pays par pays.

La loi Dodds – Frank, oblige en particulier les compagnies minières (pétrole, gaz et minerais) cotées en bourse, à publier dans leurs rapports annuels soumis au SEC, les montants qui ont été payés aux gouvernements étrangers et les noms des bénéficiaires. L’un des objectifs de cette loi est de protéger les actionnaires, la libre concurrence entre sociétés, les intérêts du pays et aussi de … punir les mauvaises sociétés.

La question qui peut se poser chez nous est donc la suivante : les faits évoqués par le journal sont-ils avérés ? Si la réponse est négative, il n’y a pas de problème et la vie continue. Si au contraire il y a un fondement à l’information publiée, il faut alors voir comment aider cette société minière de droit mauritanien afin de protéger les emplois, les revenus de l’état et de la région où elle opère.

Biladi : Est-ce qu’il est possible que des motivations politiques puissent être derrière l’enclenchement de cette enquête ?

Je ne sais comment vous répondre avec certitude. Dans notre pays certaines personnes expliquent tout ce qui passe dans la vie par un complot. Au Maghreb et en Afrique occidentale cette culture du complot n’est pas très développée contrairement à certains pays du Moyen Orient où elle a fait et continue de faire des ravages. Donc il m’est difficile de voir l’existence de motivations politiques derrière cette question.

L’obligation pour toute société cotée en bourse à New York, ou dans des bourses associées, de reporter au Security and Exchange Commission les montants financiers versés aux gouvernements étrangers ne peut être contournée sans un prix très élevé. Le SEC est non seulement puissant mais il est également indépendant.

De plus, les juges américains sont sans doute parmi les plus indépendants et les plus outillés du monde pour appliquer les lois du pays y compris contre des personnalités politiques ou des sociétés internationales de premier plan.

A ce niveau, les cas les plus célèbres sont les actions dirigées contre un président américain en exercice et des grandes sociétés privées étrangères telles la British Petrolium et la Banque Nationale de Paris et américaines telle la banque Bear Stearns. Celle-ci a tout simplement disparue du marché.

Revenons encore aux faits. Il existe une autre spécificité du système judiciaire américain : le ‘’ Plea – Bargaining’’. En bref voici de quoi il s’agit. Les services chargés d’une enquête, qui risque d’être longue et donc couteuse, vont ‘’ marchander’’ c‘est-à-dire négocier, avec un ou deux suspects de l’affaire objet d’une enquête, afin de pouvoir clore rapidement le dossier.

Le marché peut se résumer ainsi : ‘’ nous avons des preuves solides pour vous envoyer derrière les barreaux pour plusieurs années et vous faire rembourser, sur l’argent mal acquis, les sommes indues ainsi que les frais d’enquête. Nous ne lâcherons jamais votre dossier même si vous prenez les meilleurs avocats qui d’ailleurs vous couteront très cher.

Alors voici notre offre de négociation (plea – bargaining) : dites-nous tout ce que vous savez de l’affaire et témoignez (confidentiellement ou publiquement) contre vos complices. Le prix de votre coopération est le suivant: votre peine sera réduite au minimum possible et une partie de l’argent peut rester avec vous.’’

Confrontés à cette demande des enquêteurs, considérée comme une offre à un prix bradé – solde ou bargain – les suspects, américains ou étrangers, ont généralement la sagesse de coopérer. Leur témoignage, venant de l’intérieur même d’un réseau de suspects, contribue généralement à ruiner la défense des récalcitrants. Ceux-ci paieront alors le prix le plus fort et non bradé celui-là.

Biladi : A votre avis, qu’est-ce que la Mauritanie doit entreprendre pour préserver son image auprès des investisseurs ?

Une bonne image est certes un bon investissement. L’investisseur étranger crédible regarde souvent comment sont traités les hommes d’affaires nationaux.

Leur état d’esprit est son baromètre. Comme réponse plus précise à votre question, il est sage de savoir que respecter ses engagements demeure le meilleur investissement et constitue un signe de force et non de faiblesse.

Par ailleurs, les jugements des hommes d’affaires étrangers et des diplomates se font sur le long terme, sur les faits et pas seulement les paroles. L’affaire dite Woodside, en 2006, du nom de cette société pétrolière australienne, exposée en pâture au public, avant même d’être jugée, a laissé une image désastreuse de nos pratiques gouvernementales.

C‘est-à-dire du pays car, pour l’Etranger, il y a bien sûr une continuité de l’état ! Le géant minier mondial, Glencore Xstrata, vient de quitter notre pays après des années de promesses non tenues. Cela ne peut favoriser une bonne image.

Dans le cas qui nous concerne aujourd’hui, il convient de voir comment cette question de Kinross- Tasiast va évoluer. Si les faits rapportés par ce journal sont établis, et le gouvernement doit savoir ce qu’il en est, il est alors permis de penser que l’enquête est déjà bien avancée.

D’où la fuite dans la presse qui ne peut en effet précéder le début de l’enquête! Cela peut dire aussi qu’au moins une ou deux personnes impliquées ont déjà accepté le ‘’ plea bargain’’ c‘est-à-dire qu’elles ont coopéré avec la justice pour minimiser les peines qui peuvent leur être infligées.

Ces personnes ont-elles informées notre gouvernement des pressions exercées et les obligeant à collaborer? Probablement pas, car leur silence doit sans doute avoir fait partie de l’accord passé avec les enquêteurs du SEC.

Propos recueillis par Moussa O. Hamed

Source : RMI Biladi (Mauritanie)