Ménélik II, qui se fit proclamer successeur de Yohannès IV, conclut avec l’Italie le traité de Woutchalé (Ucciali en transcripiton italienne) le 1er octobre 1889. L’article XIX de ce traité affirmait que les versions amharique et italienne « concordent parfaitement entre elles ». C’était une manière d’éluder l’usage du français comme langue de référence, alors qu’il avait servi comme langue de travail. Or il apparut que la concordance était loin d’être parfaite. L’article XVII, dans la version amharique, dispose que le roi des rois d’Éthiopie se réserve la faculté de se servir des agents du gouvernement italien pour ses relations avec les puissances européennes. Par contre, la version italienne dispose qu' »il doit… « . Cette dernière version plaçait de fait l’Éthiopie sous protectorat italien. Le gouvernement italien communiqua son texte aux puissances européennes. Ménéik dénonça la transcription italienne de l’article XVII du traité de Woutchalé. La tension monta dangereusement avec la signature, le 6 décembre; 1891, de la Convention du Mareb par Baldissera, gouverneur de la colonnie italienne et par le ras Mengyecha Yohannès. Cet acte contituait une véritable conspiration des princes et notables du Tigraï contre le nouvel empire. Une politique maladroite concernant la propriété foncière provoqua la révolte de Bahta Hagos dans la colonie italienne et entraîna l’échec de la Convention. La guerre fut alors inévitable.
Voici comment Castonnet-des-Fosses dans son Abyssinie et les Italiens décrit la suite:
« La conduite de Ménélik cachait une manoeuvre. Après la capitulation de Makalé, les Abyssins avaient marché avec toutes leurs forces sur Adigrat. Mais à mi-chemin, le Negus changea de direction et gagné la région d’Axoum et d’Adoua. L’avant-garde avec laquelle marchait Galliano servait de rideau à cette manoeuvre et lorsqu’elle eut libéré les prisonniers elle regagna le gros de l’armée. La position d’Adigrat était menacée sur son flanc. Le Général Baratieri se trouvait dans une situation critique. Une offensive hardie des Abyssins pouvait l’isoler complètement et lui couper ses commnications. Battre en retraite, sans avoir combattu, lui semblait une honte; il préféra rester »… et négocier.
C’est à cette occasion que M. Crispi, le Premier ministre italien, qualifia de « phtisie militaire » les lenteurs et indécisions du général auquel il enjoignait d’avancer et dont il « voulait une victoire », alors qu’une partie de l’armée éthiopienne venait de passer le Mareb pour couper les communications entre Adigrat et Asmara. Par ailleurs, les défections des Éthiopiens, alliés aux Italiens, se multipliaient. Enfin Baratieri se décida à prendre l’offensive. Ce fut la bataille d’Adoua.
Le 1er mars 1896, à 9 heures du soir, l’armée italienne était forte de 18 000 hommes dont 4 à 5 000 auxiliaires recrutés dans les territoires occupés. Avec douze batteries réparties en trois colonnes que commandaient les généraux Da Bormida, Arimondi, Albertone et une réserve aux ordres du général Ellena, elle partait à la clarté de la lune vers les cols de Rebbi Arienni et de Kidané-Mehret où, d’après les rensignements, les troupes éthiopiennes s’étaient concentrées. Mais, à la dernière minute, celles-ci, informées par Awalom, le patriotique interprète de Baratieri, avaient évacué lesdits cols dans la nuit. A l’aube, les Italiens s’empressèrent de les occuper et se trouvèrent en présence de 40 à 50 000 Éthiopiens là où ils les attendaient le moins, à Adoua. L’aile gauche de l’armée fut enveloppée. Le combat fut rude. La retraite commença vers Ascura puis Adigrat, qui ne capitula qu’au mois de mai.
D’après l’éminent éthiopisant Carlo Conti Rossini qui étudia la campagne d’Adoua avec un recul de quarante années, cette bataille « est une des quatre batailles majeures dont l’histoire millénaire de l’Éthiopie se souvienne ». C’est aussi « la première et l’unique fois dans l’histoire moderne de l’Europe que la vaillance et les étendards d’un État civilisé s’inclinent face au barbare »… il estime les pertes à « 289 officiers, 4 600 soldats blancs, un millier d’Érythréens; 1 900 blancs furent faits prisonniers, 800 prisonniers ascaris furent amputés de la main droite et du pied gauche. Immense sacrifice pour une armée qui ne comptait que 16 500 hommes » (La Battaglia di Adua- conférence – Institut Oriental de Naples, 1939, p.65).
Extrait du livre de Brehanu Abebe: Histoire de l’Éthiopie d’Axoum à la révolution
Voici le commentaire du producteur du film « Adwa, an African victory », Haile Gerima:
» Ce fut une bataille des plus sanguinaires, un combat de boucliers et de flèches contre des armes à feu. Des éthiopiens qui défendaient désespérement leur terre jusqu’à leur dernière goutte de sang, et les colons Italiens qui mettaient en jeu leur prestige de nation européeenne à la chasse de nouveaux territoires dans cette partie de l’Afrique. Ils leurs arrivèrent quelque chose d’imprévisible, quelque chose que les chanceleries d’Europe s’empressèrent de nier, jurant que cela ne se reproduirait plus jamais: le « noir » infligea une défaite au « blanc », l’Afrique à l’Occident »