J’étais à Aleg pour le procès des leaders d’IRA…

J’étais à Aleg pour le procès des leaders d’IRA… [PhotoReportage] Je viens de rentrer d’Aleg où un séjour d’à peine deux jours m’a permis de rencontrer les deux leaders d’IRA détenus dans la prison de la ville, Birame Dah Abeid et Brahim Bilal Ramadan, puis d’assister à un procès qu’ils avaient décidé de boycotter depuis leur transfert hors de leur juridiction de compétence.

Pendant ces jours, j’ai pu prendre le pouls de la ville, de parler avec beaucoup d’Aléguois, même des policiers. Tous étaient unanimes à déclarer que Birame et son ami seront libérés. Pour eux, c’était une certitude, une vérité.

D’où tenaient-ils une telle force de conviction ? A ce degré de réflexion parmi le petit peuple, j’en ai tiré la conclusion que décidément, les Mauritaniens sont tous devenus d’excellents analystes. Car au regard de la viduité d’une affaire que tout le monde avait reconnu, n’y entrevoyant que la poigne d’un régime qui cherche à se débarrasser d’un gêneur, sinon d’un sérieux concurrent au pouvoir, l’opinion s’était également nourrie de la forte pression nationale et internationale exercée sur Mohamed Abdel Aziz pour lui faire cracher le morceau Birame-Brahim.

Mais la haine qu’il voue à ces deux personnages qui osent défier son autorité, ses magistrats et ses forces répressives, devait être assez forte pour le pousser à résister avec un tel entêtement à la communauté internationale, au point de multiplier les bourdes. L’affaire Hoffman n’en serait qu’une illustration.

Par delà la forte mobilisation des militants d’IRA qui étaient venus de tous les recoins du pays pour soutenir leurs leaders, le geste des jeunes du 25 Février étaient également élogieux, tout comme la présence des deux leaders haratines, Boubacar Messaoud de SOS Esclaves et Samory Ould Bèye du parti Moustaghbal.

Ils étaient venus avec leur délégation pour assister au procès du «siècle » selon le qualificatif donné par les fervents sympathisants de Birame. L’Institution de l’opposition démocratique avait également dépêché Mohamed Ould Mohamed MBareck et Brahim Ould Boussalef respectivement chef de Bureau et Chef de service des relations avec les partis politiques et la société civile.

Plusieurs observateurs étaient également sur place. L’Union Européenne avait dépêché son chargé de communication, l’ambassade des Etats-Unis un émissaire, les Nations Unies aussi. Tous ont vu comment le procès qui devait s’ouvrir ce matin du jeudi 20 août 2015 est rentré par la suite dans un véritable cafouillis.

Pourtant, les forces dépêchées à Aleg, étaient impressionnantes, pour dire combien le procès des deux leaders d’IRA dépassait celui de simples détenus de droit commun, comme veut le faire croir le gouvernement, sans aucune conviction d’ailleurs.

Non, l’impressionnant dispositif de sécurité mis en place, avec les éléments du commissariat de police d’Aleg renforcée par la police de Bababé, la 4ème compagnie de la garde dépêchée de Nouakchott ainsi que la compagnie spéciale de police de Nouakchott, la gendarmerie, l’armée…Tout cela donnait l’impression qu’on avait affaire à de dangereux terroristes, poseurs de bombes et auteurs de massacres à l’échelle de la Mauritanie.

Ceux qui connaissent Birame et Brahim seraient sérieusement secoués de fous rires, en constatant l’écart de taille entre eux, si peu pourvus physiquement, si porté vers l’action pacifique, avec toute cette arma mobilisée par la République, avec tout ce que cela engendre comme dépenses inutiles.

Tannés par la chaleur torride et les rayons incandescentes, la foule qui s’était massée depuis les premières heures de la journée, commençait à s’impatienter au fur et à mesure que les minutes s’égrènent. Une ambiance bon enfant régnait. Un groupe de jeunes filles dansait «Em Djambriiine !». Puis, vers 11 heures, Samory et Boubacar furent discrètement informés que le procès ne pourrait commencer que vers 13 heures.

Moi, Kissima et Mehdy les accompagnèrent, histoire de recueillir leur avis, en attendant l’ouverture des audiences. Chez la famille Babou, l’hospitalité nous permis de vivre le privilège d’un repos qui ne fut pas celui de la foule restée massée, face à un cordon hostile de forces de l’ordre sous un soleil de plomb.

Tout commerce entre le marché et le palais de justice avait cessé bien entendu, poussant pharmacie, restaurants, boutiques et étales, situés dans ce corridor fermé, à baisser leurs stores. Les minutes s’écoulaient avec une lenteur déconcertante.

Vers 14 heures, on vit une longue procession de Toyotas et un bus aller vers la prison, puis revenir quelques minutes plus tard, bredouille. Birame et Brahim avaient refusé d’embarquer. Ils avaient décidé de sécher l’audience, sauf si on les y forçait. On ne les força pas.

Le commissaire de Bababé, Soumbara, qui était parti avec ses éléments s’était contenté de rapporter au président de la cour le refus des prévenus d’assister à leur procès. Et ces avocats commis d’office pour remplacer le collectif de la défense boycottiste, qui n’arrivait toujours pas.

A 15 heures 15, la cour se présenta. Debout depuis 7 heures du matin, le public n’eut le droit de rejoindre la salle d’audience qu’à cette heure-là. Diallo Moussa Daouda, président de la Cour d’Appel constata l’absence des deux leaders d’IRA, ainsi que celui de Djiby Sow et des autres prévenus, Dah Boushab, Khattri Rahel, Cheikh Ould Vall, Abidine Maatala, El Hacen Id, Mohamed Hacen, Samba Diagana.
Tous avaient refusé de décharger les convocations d’audience. Les avocats de défense aussi. Ce fut ensuite au tour du Procureur, Mohamed Lemine Ould Teyib de faire son réquisitoire en lisant une feuille griffonnée à la main, entrecoupé de temps en temps par les sonneries de son téléphone qui n’a cessé de perturber le déroulé du procès.

Puis l’audience fut suspendue pour délibération. Rendez-vous dans deux heures. Certains avaient cru que cela allait prendre au moins un mois. L’intention d’en finir une bonne fois pour tous était visible, renforçant la conviction de ceux qui pensaient à une relaxe des détenus, et que Mohamed Abdel Aziz, considéré comme le véritable juge, allait enfin faire amende honorable en cédant aux pressions internationales.

Mais c’était sans compter avec l’homme, têtu jusqu’à la moelle et orgueilleux jusqu’au bout des ongles. Tous ceux qui étaient présents dans l’enceinte du palais de justice, en attendant la reprise des audiences, étaient sûrs que le président de la Cour attendait des instructions sur l’issue finale du dossier.

A 16 heures 20, la séance reprit. Retranché derrière un véritable cordon de policiers, le juge confirma la décision prise le 15 janvier 2015 par le tribunal de Rosso, condamnant Birame Dah Abeid, Brahim Bilal Ramadan et Djiby Sow à deux ans de réclusion ferme.

Le suspens ne dura que quelques petites minutes. Une colère sourde s’éleva. Une femme, dépoitraillée, s’écria, «A bas le régime des Bidhane ! Vive Birame !» La nouvelle se répandit dehors. Il y eut des mouvements de colère et de fureur, mais les militants d’IRA se montrèrent d’une discipline exemplaire.

Aucune violence, aucun jet de pierres, aucune agression. Certes, la foule a eu du mal à se disperser, comme si elle était encore sonnée par le verdict, mais très vite, certains positivèrent, soutenant que ce procès est un autre signe de victoire et une cuisante défaite pour le régime.

Pour Samory Ould Bèye, président du parti Moustaghbal «on a assisté à une véritable mascarade, un procès fait en l’absence des prévenus et des avocats » Pour lui, tous les principes du droit ont été bafoués. «Je n’ai jamais vu un jugement pareil » ajoutera-t-il, précisant que cela prouve qu’on est retourné dans les abyssales pratiques d’antan.

Cheikh Aïdara