Le Calame – « L’opposition a tiré de sa longue expérience la ferme conviction qu’elle ne peut accorder aucune confiance ni aucune crédibilité à ce pouvoir ».
Commençons par le Dialogue. Comment comprenez-vous le peu d’empressement du pouvoir à nouer le dialogue avec son opposition, ceci après les préliminaires et un échange de documents? Est-ce parce que le pouvoir a compris que l’opposition n’est pas disposée à accepter l’amendement de l’article 26 de la Constitution ou il y a d’autres raisons, à votre avis?
Moussa Fall : Le premier round de ce dialogue était, de mon point de vue, très mal engagé par les deux parties: L’opposition a une longue expérience de négociations avec le pouvoir en place. Elle est donc entrée dans ce dialogue sans conviction, en ayant des positions discordantes par endroits, en posant des conditions préalables n’ayant, parfois, aucun lien avec le dialogue politique proprement dit.
Le pouvoir, quand à lui, s’est refusé tout au long de ces entretiens préliminaires, à clarifier ses véritables intentions. Sur les questions essentielles se rapportant à l’accord cadre proposé par le Forum, il s’est barricadé derrière des réponses vagues, évasives.
On a donc assisté à un dialogue de sourds, à un jeu de cache-cache qui ne pouvait qu’être stérile.
Le FNDU avait demandé un document écrit consignant les réponses de la délégation du pouvoir aux points soumis dans cette première phase préparatoire. Grande a été notre surprise quand nous avons reçu, au lieu et place de la réponse attendue, une lettre commençant maladroitement par un panégyrique du chef de l’Etat et de son système. Une lettre convoquant, sans concertation préalable, à un dialogue le 7 septembre prochain. Inutile de dire que pareille désinvolture et irrespect n’augurent rien de bon quant à la suite qui sera réservée à cette démarche.
Or la condition première, pour engager un dialogue sur des bases sérieuses et responsables, est, précisément, que les parties prenantes s’accordent sur l’objectif central qu’elles veulent atteindre. Pour ce faire, il s’impose, avant tout, de répondre clairement aux questions suivantes :
Quelles sont les intentions du pouvoir? Et que veut l’opposition?
Je crois savoir que l’opposition s’achemine vers une stratégie de dialogue cohérente et consensuelle. L’objectif central de cette stratégie sera de faire de l’année 2019 l’année de l’édification d’un régime civil par une alternance véritablement démocratique et pacifique. La réalisation de ce changement passe par une convergence sur deux conditions essentielles:
o Pas de troisième mandat !
o Pas de candidat imposé par l’Etat, par ses Institutions, par ses moyens et par son influence !
Si cet objectif et ces conditions sont partagés, dans leur principe, par le pouvoir alors il sera possible d’ouvrir un dialogue sérieux et constructif. Si le pouvoir a d’autres intentions inavouées alors il sera inutile de perdre son temps dans des palabres sans lendemain.
Qu’entend ou pourrait faire l’opposition pour sortir de cette impasse?
Ce que l’opposition peut faire, c’est de montrer une unité et une détermination fortes, fondées sur une ligne politique claire, un discours cohérent et convaincant et soutenues par une mobilisation et une pression massives et continues.
Comment voyez-vous la situation économique du pays ?
Comme vous le savez la Mauritanie a bénéficié, sur la période de 2009 à 2013, d’une conjoncture économique exceptionnellement avantageuse: Une très forte augmentation des prix des exportations ; un démarrage de nouvelles activités minières et pétrolières ; un important flux des investissements directs étrangers…etc. A partir de 2014 la conjoncture a commencé à prendre une tournure défavorable :
Au plan de la production, les activités extractives qui constituent le moteur de l’économie nationale et qui impactent, à des degrés divers, l’ensemble des autres secteurs, sont confrontées à de graves difficultés. Leur contribution au PIB est passée d’une moyenne annuelle de 27% sur la période 2010 – 2013 à 17,2%, seulement, en 2014 et cette tendance s’est accentuée durant les 7 premiers mois de 2015. Le fer, principale richesse du secteur moderne du pays, ne contribue plus que pour 10,8% au PIB contre une moyenne annuelle de 17,9% sur la période 2010-2013. Tasiast vient de communiquer sur les mesures drastiques- une compression du tiers de ses effectifs- qu’elle envisage de prendre pour sauver la poursuite de son activité dans le pays alors qu’elle projetait, il y a de cela deux ans, de réaliser un très ambitieux programme d’extension. La production et les cours du pétrole sont au plus bas. Toutes ces tendances ont naturellement affecté le volume des investissements directs étrangers qui a enregistré une baisse de prêt de 60% en 2014.
Au plan des échanges extérieurs, le revenu des exportations est passé de 2,7 milliards de $/an en moyenne de 2011 à 2013 à 1,9 milliard de $ en 2014. La contreperformance du fer est, encore, plus accentuée dans la mesure où son chiffre d’affaires chute de 1,3 milliard de $ en moyenne sur la même période à 0,7 milliards de $ soit 45% de baisse. Pour ces raisons, le solde global de la balance des paiements, qui était excédentaire de 2010 à 2013 a enregistré, en 2014, un déficit de près de 310 millions de $ occasionnant une baisse sensible du niveau des réserves officielles de change qui ne couvraient plus au 31 décembre 2014 que 4,5 mois d’importations.
C’est au plan des recettes budgétaires que les manifestations de cette conjoncture sont les plus ressenties. Les médias se font l’écho, au quotidien, des difficultés de trésorerie de l’Etat : des retards de paiements pénalisant les entreprises publiques et privées. On m’a confirmé que les sous-traitants du Génie Militaire ne sont pas payés depuis novembre dernier ! Quand « les cris viennent de la montagne », comme on dit, on imagine aisément le sort réservé à tous les autres fournisseurs et les nombreux disfonctionnements que ces défauts de paiement occasionnent : non paiement des employés, non remboursement des prêts bancaires entraînant des faillites en cascades. Cette situation laisse penser que les comptes du trésor et du budget, qui nous sont communiqués par voies officielles, ne reflètent pas toute l’ampleur de la crise financière de l’Etat. Et que l’Etat finance de nombreuses activités par le non paiement des prestataires. Comment qualifier cela ?
Selon les comptes officiels, en 2014, le déficit budgétaire s’est alourdi pour s’établir à 55,1 milliards d’ouguiyas en comparaison avec son niveau de 2013 qui était de 13,9 milliards poussant le Trésor à puiser dans ses dépôts auprès de la BCM qui, en fin d’exercice, avaient enregistré une diminution de plus de 46 Milliards d’ouguiyas.
Une Loi de finances rectificative vient d’être adoptée par le Parlement pour 2015. Cette nouvelle Loi constate, bien tardivement, dans son exposé des motifs, que « Les recettes fiscales connaissent un manque à gagner relativement important reflétant le ralentissement de l’activité du secteur exportateur BIC/BNC/IMF (-8,60%) ; ITS (-19,61%) ; TVA intérieure (-8%) et la taxe unique de la SNIM (-43,50%) » et que « les recettes non fiscales seront amputées des 36MM initialement prévus en provenance des dividendes de la SNIM et de 3,7 MM sur les recettes pétrolières (LFR 2015)».
La solution retenue par les pouvoirs publics, pour combler ces déficits, s’est traduite par l’adoption d’une batterie de mesures fiscales mettant toute la pression sur le consommateur et sur les entreprises.
Après avoir décidé d’augmenter la TVA sur certains produits de consommation, le gouvernement a alourdi les taxes pour son budget rectificatif. Comprenez-vous pourquoi? Quelles implications pourraient avoir cette décision particulièrement sur les ménages ?
Nous venons de décrire la conjoncture économique dans laquelle nous nous trouvons. Parmi les conséquences de cette conjoncture, nous avons noté la diminution sensible des recettes budgétaires. Face à cette situation, différentes politiques sont envisageables. Tout dépend de la qualité de la gouvernance du pays. Une bonne gouvernance doit agir avec discernement et réalisme et adapter le rythme des dépenses aux prélèvements soutenables par l’économie et par le citoyen.
Une gouvernance populiste et démagogique refuse généralement de se résoudre à l’évidence. Elle s’impose de maintenir les dépenses au niveau où elles étaient en période faste. Dans notre cas et, à titre d’exemples, le budget d’investissement sur recettes intérieures est maintenu à 122 Milliards d’ouguiyas et celui des subventions et transferts à près de 70MM. On cherche alors à faire feu de tout bois pour combler les déficits en ressources sans se préoccuper des conséquences sociales et économiques que cette politique peut induire.
La Loi de finances 2015 est une illustration de cette politique de fuite en avant. Les nouvelles ressources de remplacement ont deux origines : l’augmentation des impôts et des prélèvements sur la consommation, le harcèlement des entreprises privées, les retombées d’une dévaluation inavouée de l’ouguiya par rapport au dollar et des rentrées exceptionnelles.
o L’augmentation des impôts et des prélèvements s’est traduite par une augmentation générale de la TVA de 2% puis par la suite une augmentation des impôts sur les produits pétroliers, le riz importé…etc. En parallèle l’Etat s’est obstiné à maintenir les prix, à la pompe, des produits pétroliers au même niveau en dépit de la forte diminution de leurs cours sur le marché international. Il a réussi à engranger par ce biais, sur les six premiers mois de l’année, un montant de 25,3 MM d’ouguiyas. Dans la Loi de finances rectificative ce différentiel sera absorbé par une série de taxes, probablement irréversibles, sur ces produits. Il est évident qu’à terme, les populations qui sont déjà fortement affectées par la cherté de la vie et par le chômage ne pourront pas supporter indéfiniment une fiscalité aussi asphyxiante. Il en est de même pour les entreprises qui subissent un harcèlement continu et mortifère de la part des services fiscaux.
o La seconde source de financement budgétaire provient du renouvellement des licences de téléphonie mobile (15 MM) et d’appuis budgétaires en provenance de l’extérieur (21,7 MM). A ces ressources exceptionnelles, viendra s’ajouter la contrepartie de l’accord de pèche avec l’Union Européenne (20 MM). Ces financements sont sains mais ils sont, pour l ‘essentiel, non renouvelables.
Avec ces nouvelles recettes, on arrivera, peut-être, à boucler le budget théorique de cette année. Après, il faudra alors se poser, pour les exercices à venir, la question de savoir de quoi demain sera fait ?
Que pensez-vous de la décision du gouvernement de taxer le riz importé pour inciter les mauritaniens à consommer le riz mauritanien ?
Le gouvernement a effectivement taxé le riz importé et, en parallèle, il a décidé de se dessaisir de son engagement à acheter toute la production de riz. C’est une nouvelle politique qui se met en place dans ce secteur. Quelles seront ses conséquences ? A priori les décisions prises d’autorité, sans concertations préalables avec les acteurs concernés, sont souvent mal acceptées. De plus, abandonner les agriculteurs à leur sort de façon aussi brutale et sans préavis, dans cette phase cruciale, équivaut à un étouffement instantané de la filière.
Cela dit, une activité économique doit, pour être viable et pérenne, s’auto-entretenir pour l’essentiel. L’Etat doit intervenir quand il le faut, mais il ne peut pas porter à bout de bras tout un secteur en amont, en aval, et durant le processus de production.
Dans la riziculture, l’Etat s’implique en amont dans le financement des campagnes et cela s’est traduit par les problèmes de recouvrement qui ont paralysé les différents organismes de crédit agricole ; CDD comprise. L’Etat s’implique dans des aménagements avec des budgets annuels de plus de 10 à 15 milliards d’ouguiyas, des aménagements réalisés sans professionnalisme et sans mesures d’accompagnement pour assurer leur rentabilité et leur pérennité. L’Etat s’implique dans la production en fournissant les intrants agricoles. L’Etat s’implique en aval dans la commercialisation par l’achat garanti du riz usiné. Et tout cela pour quels résultats? Le riz acheté est resté invendu et l’Etat a sur les bras près de 60000T stockés, parfois depuis 2013. Or investir massivement dans un produit qui ne se vend pas est tout simplement inacceptable. Il faut que la riziculture produise du riz qui correspond aux attentes du marché. Il faut qu’elle parvienne à un degré de rentabilité et de productivité acceptables pour pouvoir se prendre et être viable sur la durée. L’Etat, en concertation avec les promoteurs de la filière, doit s’atteler à élaborer une nouvelle stratégie pour ce sous-secteur. Une stratégie qui aura besoin, pour prendre corps, d’un temps d’adaptation avec des mesures d’accompagnement appropriées.
Le déficit pluviométrique que la Mauritanie a connu l’an dernier risque fort de se reproduire cette année. L’hivernage accuse un gros retard dans différentes parties du pays et jusque-là, le gouvernement n’a pris aucune mesure pour anticiper sur les conséquences d’une catastrophe qui menace le pays. Comprenez-vous ce mutisme ? Que doit-il faire pour éviter une famine aux populations?
L’hivernage a accusé un retard très inquiétant cette année. Un retard d’autant plus stressant que le bétail était très mal en point suite au déficit pluviométrique de l’année dernière. Mais on espère qu’il finira par être bon même si d’importants dégâts ont d’ores et déjà été enregistrés pour les bovins et les caprins en particulier.
Je ne suis pas un adepte de l’Etat providence et d’ailleurs, le sous- secteur de l’élevage se prend en charge, en tant qu’activité économique autonome. Cela ne doit cependant pas constituer une raison pour l’ignorer surtout quand il fait face à de graves difficultés.
L’importance de l’élevage dans l’économie nationale n’est pas à démontrer. Sa contribution au PIB s’élève à 15,4% ; représentant le taux le plus élevé de tous les sous -secteurs de l’économie productive. Il emploie un très grand nombre de personnes et fait vivre un très grand nombre de ménages sur toute l’étendue du territoire national. Il alimente le marché national et partiellement certains marchés de la sous-région en protéines animales, en lait et en cuir.
Depuis les années trente et jusqu’au lendemain de l’indépendance, les services de l’élevage et des eaux et forêts étaient prioritairement implantés dans les premières subdivisions administratives du pays. Aujourd’hui, ces services ont quasiment disparu. Le budget du ministère de l’élevage est ridiculement bas : 2,2 milliards d’ouguiyas soit 0,14% du PIB.
Durant cette dernière période de soudure, le bétail s’est trouvé confronté à une sècheresse de grande intensité à cause du retard des pluies, des déficits pluviométriques enregistrés l’année dernière et d’une épidémie qui a occasionné des pertes importantes de bovidés dans certaines régions.
Face à cette crise, l’Etat est resté quasiment invisible. Selon les éleveurs que j’ai eu à interroger, seuls 30000T d’aliments de bétail, de qualité suspecte pour l’une de leurs composantes, ont été disponibilisés à des coûts réduits ; une quantité insignifiante au regard des 22 millions de têtes de bétail que compte le pays. La frange des éleveurs qui dispose de moyens a donc dû supporter l’essentiel des coûts de l’alimentation pour un prix moyen de 100000 UM/T ainsi ceux des traitements contre les épizooties. Malgré leurs efforts, une bonne partie de leur cheptel a été décimée. Ceux qui sont démunis ont vu périr l’essentiel de leur bétail.
C’est dire que le sous-secteur de l’élevage fait l’objet d’une négligence imméritée et coupable. Les pouvoirs publics se doivent de reconsidérer cette situation pour répondre, à chaque fois, aux détresses que vivent, à certaines périodes, les éleveurs, plus particulièrement, les plus nécessiteux d’entre eux.
Plus généralement l’importance de ce sous-secteur et les nombreuses potentialités qu’il recèle posent l’urgence de stratégies visant à valoriser à moderniser cette activité et à assurer à celle-ci le maximum de protection possible contre les aléas de la nature.
Pour finir, les services du ministère de l’intérieur viennent de notifier leur refus de reconnaître des FPC, ex FLAM. Que vous inspire cette décision intervenue, 8 mois après le dépôt de la demande de reconnaissance ?
Je la trouve inappropriée pour plusieurs raisons :
1. Les FLAM ont déclaré leur renoncement à la lutte armée et leur engagement dans une voie pacifique et démocratique pour poser et défendre leur vision sur l’unité nationale et sur les conditions qu’ils revendiquent pour assurer une coexistence harmonieuse entre les différentes composantes de la Mauritanie. Même si on ne partage pas cette vision, on ne doit qu’encourager cette évolution.
2. A ma connaissance, tous les courants d’opinion- parfois particularistes- ont été agrées par les services du ministère de l’intérieur à l’exception des FPC et de RAG. Cela constitue une discrimination qui ne peut qu’engendrer la frustration et les ressentiments et conduire, à terme, à la violence.
3. Les questions posées par les FPC sont des questions de fond auquel le pays est confronté. La bonne réponse à ces questions ne peut intervenir qu’après un débat national serein, dépassionné et constructif. Les conditions de réussite d’un tel débat supposent l’ouverture d’esprit, la tolérance, et l’implication de tous les courants d’opinions. Fermer la porte à des sensibilités c’est exclure des opinions qui doivent être entendues pour pouvoir aboutir à un consensus national sur ces questions.
4. La politique de l’exclusion est condamnable en soi. Toute exclusion engendre le repli sur soi et, par voie de conséquence, la marginalisation et l’extrémisme. Il faut répondre aux arguments par des arguments plus convaincants et non par le rejet et l’obstruction mécanique.
Propos recueillis par Dalay Lam