Biladi : Mr Hamédine Kane (H.K.) vous aviez accordé le 11 juin dernier à notre journal une interview relative aux dysfonctionnements qui ont conduit aux détournements des deniers publics, récemment commis par des agents de l’Etat. Cet article a été lu par 2950 internautes, ce qui dénote l’importance du thème pour le public.
Aujourd’hui nous vous demandons, en votre qualité d’’ancien président de la commission centrale des marchés publics, car vous aviez aussi, semble-t-il, occupé par le passé ce poste, de nous faire part de vos impressions personnelles sur la gestion des commandes publiques dans notre pays et sur la nouvelle règlementation qui les régissent.
H.K : Vous abordez là un thème qui est d’actualité car ce sujet intéresse tous les acteurs publics et privés de la commande publique, même s’ils n’ont pas souvent, les mêmes appréhensions sur le sujet. Comme d’habitude j’essaierai d’être objectif dans mon analyse critique ; car le but recherché est de susciter un débat sain autour de ces questions nationales.
S’il est indéniable que les dispositions du nouveau Code des Marchés Publics (CMP) mauritanien institué par la loi 2010-044 ont apporté plus de clarté dans les procédures de passation des marchés publics, en comparaison avec celles qui étaient en vigueur dans l’ancien code de 2002, on ne doit cependant pas dissimuler certaines vives critiques de l’opinion publique, formulées sur la conduite et la gouvernance des commandes publiques ; ces critiques émanent en particulier de certains opérateurs économiques privés situés dans la catégorie des Petites et Moyennes Entreprises (PME) et de quelques acteurs de la gestion publique.
(Biladi) : Vous avez animé plusieurs séminaires sur le cadre juridique et technique des marchés publics en Mauritanie et à l’extérieur. Pouvez- vous alors nous dire en quoi le nouveau code des marchés publics mauritanien a-t-il mieux contribué, que le précédent, à la lutte contre la corruption et les ententes illégales ? Pourtant on est souvent confronté à plusieurs scandales de ce genre dans notre administration publique !
(H.K) : J’aborderai ultérieurement ces aspects lorsque j’aurai rappelé, auparavant, les règles qui interdisent ces pratiques délictuelles. Mais pour bien éclairer la lanterne de vos lecteurs non spécialisés sur ces sujets, je soulignerai dans cet entretien quelques traits saillants des principes directeurs du nouveau code pour bien démontrer en quoi il se distingue de l’ancien, avant d’en évoquer, les multiples inconvénients et insuffisances. Le nouveau CMP qui contient plusieurs articles, explicités dans des textes d’application, repose sur deux principales réformes de base :
La première institue une nette séparation des fonctions d’Autorité Contractante, de Contrôle et de celles de Régulation des marchés publics. L’ancien code avait dévolu ces fonctions à une seule structure appelée : Commission Centrale des marchés Publics relevant de la Présidence de la République.
On imagine dès lors les multiples inconvénients qui résultaient de ce cas de figure pour les soumissionnaires victimes d’anomalies et d’irrégularités ; ces derniers ne pouvaient se plaindre que devant cette même structure centrale qui se dédit très rarement.
Le nouveau code prévoit, pour sa part, trois niveaux de compétences hiérarchisées et contradictoires : les Commissions de passation de marchés publics, la Commission Nationale de Contrôle des marchés publics et l’Autorité de régulation des marchés publics.
A travers ce dispositif, le législateur institue, de facto, un contrôle réciproque de chaque structure sur les actes accomplit par l’autre. Il devient alors plus facile à un soumissionnaire victime d’une injustice de se pourvoir en premier, deuxième et dernier ressort auprès de l’une de ses instances dont les membres sont assermentés.
L’Autorité de régulation des marchés publics, qui constitue un dernier recours, avant de faire appel aux juridictions administratives, est administrée par un Conseil de régulation composé de 21 membres dont sept représentent le secteur public, sept le secteur privé et sept la société civile.
Le deuxième pilier de cette réforme est l’affirmation solennelle des principes directeurs généraux devant régir désormais la commande publique : ces principes sont énoncés comme suit:« la liberté d’accès à la commande publique, l’égalité de traitement des candidats et la transparence des procédures de passation des marchés publics ».
Ces notions sont très importantes, car elles visent à mettre un terme de manière claire à toutes les formes de discriminations commises au détriment à la fois de l’Etat et à celui des soumissionnaires aux commandes publiques. Ces notions n’étaient pas clairement affirmées sous le régime du code de 2002. Il s’agit des règles sur lesquelles repose le socle du nouveau code des marchés publics.
Ces principes doivent rassurer tous les opérateurs économiques nationaux et internationaux candidats à une commande publique dans notre pays et écartent tout risque de discrimination liés à la nationalité, à la nature des personnes morales ou privées ou à leur appartenance politique.
Ces principes prennent aussi en compte le souci de nos partenaires techniques et financiers de s’assurer, à juste titre, que leurs aides au développement ne serviront pas à enrichir certains proches du cercle du pouvoir au lieu de concourir efficacement au développement de notre pays, conformément aux règles et principes énoncés dans la Déclaration de Paris.
Conceptuellement, ce schéma du nouveau code des marchés publics mauritanien apparaît comme une avancée historique dans l’effort de transparence et de bonne gouvernance de la commande publique et permet, en principe, de rassurer tous les acteurs des marchés publics et aussi de restaurer la crédibilité de notre pays auprès de la communauté financière internationale.
Biladi : Pourquoi alors ce nouveau Code des Marchés publics n’arrive pas à satisfaire tous nos acteurs publics et privés, qui se plaignent tantôt de sa rigueur et tantôt de la lenteur de ses procédures ?
H.K. Après plusieurs années d’expérience dans nos administrations publiques, l’application de la nouvelle règlementation des marchés publics, ne semble guère satisfaire tous les acteurs de la commande publique.
Du côté des administrations publiques chargées de la mise en œuvre des politiques publiques sectorielles, on évoque régulièrement les pesanteurs des procédures de passation des marchés publics, accusées de ralentir le rythme d’exécution de leurs programmes d’actions financés sur le budget de l’Etat ou sur des ressources extérieures.
Car entre la date de publication d’un Avis d’appel d’Offres et la notification d’un marché il peut souvent s’écouler six mois alors que les engagements de crédits budgétaires, dans notre pays, sont clos le 20 novembre et les paiements des dépenses le 31 décembre de chaque exercice.
On ne doit pas, bien entendu, tout rejeter sur les commissions de passation des marchés publics, mais parfois aussi sur le fonctionnement interne de certaines administrations qui souffre d’une faible capacité de maîtrise d’ouvrage et de confection de leurs dossiers d’appel d’offre.
S’agissant des blocages d’exécution des projets dus à la lenteur des procédures de passation des marchés publics, ceux-ci sont souvent dénoncés ailleurs par les hautes autorités d’autres Etats qui appliquent le même format de code que la Mauritanie.
« Tout récemment encore un chef d’Etat voisin de notre pays a clairement préconisé pour résoudre le problème, au cours d’un débat avec la presse nationale (entre autres sujets), un assouplissement de la règlementation des marchés publics dans son pays; allant jusqu’à préconiser une mise en œuvre immédiate, par les ministères dépensiers, de leurs plans prévisionnels annuels de passation des marchés dès l’adoption de la Loi des Finances. »
Biladi : Comment faire pour améliorer certaines dispositions du code, notamment celles qui prévoient des longs circuits pour l’approbation d’un marché ?
H.K : je suis persuadé que l’Autorité de Régulation des Marchés publics, principal conseiller des pouvoirs publics dans ce domaine, a déjà une idée plus complète sur tous ces aspects. Mais dans le cas de notre administration, je rebondirai sur les propos du chef d’Etat dont j’ai rapporté tantôt la teneur ; je trouve son idée pertinente et transposable chez nous.
Notre Ministère des Finances doit desserrer un peu son étau sur nos administrations pour leur permettre de disposer librement de leur budget, comme le prévoit la règlementation et permettre ainsi une mise en œuvre des Plans Prévisionnels annuels de passation des marchés approuvés par la Direction Générale des Marchés Publics, et ce dès la mise en place du Budget au lieu d’attendre une procédure d’ouverture en engagement et en paiement des crédits budgétaires qui peut être longue.
Ceci suppose évidemment une réactivation dela mise en place du DAPBI (Document Annuel de Programmation Budgétaire Initiale), instrument de pilotage de la gestion budgétaire dont on ne parle plus depuis 2006 alors qu’il constituait le cadre consensuel idéal d’exécution des dépenses publiques convenu, en début d’exercice, entre l’autorité budgétaire et les entités dépensières publiques.
Je remercie donc votre journal de m’avoir donné l’occasion de parler librement sur des questions qui intéressent tous les mauritaniens. Pour tout contact, mon adresse e-mail est la suivante : hamdin.ndiay@yahoo.fr
Propos recueillis par Amine Lazrag
Source : RMI Biladi (Mauritanie)