Une longue étude réalisée par Mohamed Mahmoud Ould Sidi, chercheur spécialiste des questions du terrorisme islamiste au Sahel, vient de publier une enquête sur la féroce lutte d’influence que se livreraient actuellement l’organisation de l’Etat Islamique (DAECH) et Al Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) pour imposer leur influence sur le courant djihadiste en Mauritanie.
Il ressort de la longue investigation réalisée par Mohamed Mahmoud Sidi, que l’organisation « Tabligh Wa Daewa » connue pour ses activités de prêche loin de toute violence armée, serait le noyau embryonnaire d’où sortiraient la plupart des recrues mauritaniennes au sein des organisations terroristes, telles que Daechou Aqmi.
Ainsi, l’information qui avait circulé il y a quelques mois sur le démantèlement par la gendarmerie nationale à Zouerate d’une cellule de Daech constituerait la preuve que l’Etat Islamique s’intéresse à la Mauritanie.
Elle ferait suite à l’apologie lancée il y a quelques temps par l’organisation envers ceux qu’elle nomma les « Jihadiste sunnites de Mauritanie et duMaghreb » diffusée sur les ondes d’une radio contrôlée par l’organisation enIrak.
Ainsi, pour Mohamed Sidi, il existerait en Mauritanie deux courants islamistes qui se distinguent. La première est l’organisation « Tabligh Wa Daewa » proche du courant soufiste à la philosophie spirituelle entièrement tournée vers la conquête de la félicité par l’adoration, l’éducation et la dévotion.
Mais ce discours lénifiant aurait radicalement changé aujourd’hui laissant place à un discours faisant l’apologie du Jihad, n’hésitant plus à en parler publiquement dans les prêches développés par ses leaders. Résultat, la plupart des Mauritaniens membres d’Aqmi seraient issus de cette école pourtant connue dans le passé pour ses actions non violentes.
Le deuxième courant islamiste fort en Mauritanie est celui des Salafistes qui peuplent aujourd’hui les mosquées et contrôlent de plus en plus le discours religieux en Mauritanie. Il s’agit de discours radicaux où le Jihad occupe une place prégnante et prépondérante, au point qu’il serait même devenu sujet d’enseignement dispensé aux jeunes.
Pour Mohamed Mahmoud Sidi, l’incapacité de l’Etat mauritanien à catalyser le courant salafiste, résulterait du fait qu’elle lui a permis d’évoluer presque en clandestinité, ce qui renforce son aura auprès des jeunes toujours assoiffés d’interdits et de sensations à enfreindre le permissible.
Reconnaître à ce courant le droit d’œuvrer au grand jour ou lui accorder une reconnaissance politique, aurait brisé son illusoire discours. Et dans un tel cadre d’évolution au noir, Daech pourrait s’infiltrer et s’implanter avec force en Mauritanie, trouve le chercheur.
Daech évolue vite au Sahel
La menace que constitue l’organisation de l’Etat Islamique pour la Mauritanieserait d’autant plus réelle selon Ould Sidi, que les allégeances à son Emir, Baghdadi se multiplient au Sahel et au Maghreb.
Il en serait ainsi pour certains éléments leaders du mouvement jihadiste, comme le Mauritanien Hamahou Ould Mohamed Khaïry, l’ancien porte-parole d’AnçarDine au Nord Mali qui aurait recruté des dizaines de jeunes jihadistes mauritaniens et qui a exprimé son allégeance à l’Emir Baghdadi, Chef de Daech.
Parmi les élèves de Hamahou Ould Mohamed Khairy, figure le jeune Mohamed Ould Breihmatt, titulaire d’un Master en communication en 2007 puis d’un diplôme supérieur en réseaux informatiques en 2012 à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Il aurait écrit à ses parents pour leur annoncer qu’il a rejoint les rangs de l’EI.
Au cours de cette étude sur le mouvement jihadiste mauritanien, le chercheurMohamed Sidi a recueilli l’avis de certains spécialistes mauritaniens de la question. L’un d’eux lui scindera l’histoire du mouvement jihadiste en Mauritanieentre deux périodes. La première vague de jeunes mauritaniens ayant rejoint les mouvements jihadistes serait intervenue en 2003 avec l’invasion de l’Irak par l’armée américaine.
Puis, le mouvement jihadiste prendra de l’ampleur dans les années 2006 avec la naissance d’AQMI des cendres du GSPC algérien (Groupe salafiste pour la prédication et le combat). Ces spécialistes mauritaniens, dont certains ont approché les chefs d’Aqmi au cours de missions de presse dans l’Azawad, fixent la deuxième période du mouvement jihadiste en Mauritanie en 2012, avec l’occupation du Nord Mali par les forces jihadistes.
Plusieurs dizaines de jeunes Mauritaniens avaient rejoint à cette période ces mouvements, certains d’entre eux parvenant même à se hisser à des postes de sous-commandement.
Mais avec la réoccupation du Nord Mali par les armées françaises et africaines, les mouvements jihadistes tels qu’Ançar Dine et Aqmi seront dispersés et leurs actions sévèrement entravées.
C’est alors qu’apparut l’Etat Islamique en Irak et au Cham (DAECH) avec à sa tête l’Emir Abou Bakar Al Baghdadi, autoproclamé Khalifa des Musulmans. Cette question de Khalifa des Musulmans aurait entraîné un vif débat au sein des mouvements islamistes armés dans le monde et semé de profondes dissensions au sein du mouvement Al Qaïda qui se considérait jusque-là comme la plus grande et la plus forte organisation jihadiste, donc la plus menacée par la naissance de Daech.
En effet, les spécialistes trouvent que l’influence de Daech sur la popularité d’Al Qaïda était bien réelle notamment sur sa branche au Sahel et au Maghreb, AQMI.
La raison serait que Daech venait de réaliser l’objectif ultime que beaucoup d’organisations islamistes armées rêvaient d’atteindre, à savoir la restauration du Khalifat musulman.
L’idée d’un Khalif des Musulmans en la personne d’Abou Bakar Al Baghdadi fut ainsi le catalyseur qui allait attirer des centaines de jeunes jihadistes éblouis par ce rêve, même si selon les spécialistes, une telle perspective est loin de la réalité.
Dès lors qu’il existe un Khalif des musulmans, la légitimité des autres organisations islamiques s’en trouvait poser avec acuité. D’où les scissions que connaîtra Aqmi. Plusieurs régions contrôlées par l’organisation firent ainsi défection pour prêter allégeance à Baghdadi.
Il en fut ainsi de la région centrale qui se renomma « Jundoul Khalifa » ou les « soldats du Khalifat », bientôt rejoint par unepartie de la Katiba desMourabitounes qui se scinda en deux, une partie rejoignit Daech sous le commandement de Abou Waled Sahraoui et l’autre resta fidèle à AymanZawahari, successeur de Ben Laden, sous le leadership de Mokhtar Belmokhtar dit Belawar ».
La naissance de Daech aura une autre influence sur Aqmi. Il s’agit de sa présence sur les plus grands terrains d’opération et principaux centres d’accueil des jihadistes du monde, notamment en Irak, en Syrie, en Egypte, en Libye…
La présence de Daech dans la région de Cham, entre la Syrie, le Liban et laJordanie, entrait surtout dans le bréviaire des jihadistes qui voient dans cette vaste région le centre névralgique d’où partira « la fin du monde ». En même temps, Al Qaïda avait faibli et perdu du terrain depuis la mort de son chef,Oussama Ben Laden.
La Mauritanie dans le planisphère de Daech
Mohamed Mahmoud Sidi rappelle qu’il y a quelques mois, l’Etat Islamique avait publié dans son magazine « DABEGH » une carte de son futur empire et cette carte englobe la Mauritanie. Ainsi, Daech a divisé son Etat en treize grandes régions. Il s’agit de l’Irak, Cham, Hijaz, Yémen, Khorassan, Kurdistan, Caucasie, Anadole, Europe, Andalousie, le Pays des Cananéens, l’Ethiopie et le Maghreb.
L’EI utilise ainsi des dénominations géographiques usuelles dans les siècles précédents. Ainsi, le Khorassan est une vaste région située dans le Nord est de l’Iran, alors que le Caucase comprend le Caucase du Sud encore appelé Transcaucasie qui englobe la Georgie, l’Arménie, Azerbaïdjan et la région de Kars en Turquie, et le Caucase du Nord dénommé Ciscaucasie, situé en Russieet incluant les républiques de Karachaïévo-Tcherkessie, Kabardino-Balkanie, Ossétie du Nord, Ingouchie, Tchétchénie et Daguestan. Quant au Bilad el-Cham, c’est une région qui englobe la Syrie, la Jordanie, le Liban et la Palestine. LeHidjaz est la région ouest de l’Arabie Saoudite.
Cette carte fixe ainsi définitivement les visées de Daech en Mauritanie, selon les spécialistes, qui estiment que le débat sur cette question est donc réglé. En attesterait également le démantèlement annoncé d’une cellule de Daech àZouerate et l’arrestation de trois jeunes accusés par la justice mauritanienne d’appartenance à une organisation terroriste.
Il s’agit de Sidi Mohamed Ould Ely Lesvar, Yacoub Ould Moya et Boukhari Ould Dahane. Malgré le démenti des prévenus qui ont rejeté toutes les accusations, le parquet aurait projeté un film qui montre les trois jeunes faisant allégeance àDaech et à son Emir, Abou Bakara Al Baghdadi. Ils ont été condamnés à des peines allant de 5, 7 et 10 ans.
La question qui se pose aujourd’hui selon les spécialistes est de savoir siDaech va commettre des actes terroristes en Mauritanie ou dans les zones proches de ses frontières pour affirmer réellement son implantation dans la zone du Sahel.
Cheikh Aïdara