Le 10 juillet n’est pas passé inaperçu. Cette date anniversaire du premier coup d’Etat militaire qui mit fin en 1978 au pouvoir civil des «Pères Fondateurs» a été commémorée le vendredi 10 juillet 2015 à travers articles historiques, analyses prospectives, odes panégyriques et commentaires critiques.
Elle marque le début d’une longue ère de pouvoirs militaires successifs qui se prolongent jusqu’à nos jours. Ainsi, hormis la courte parenthèse 2005-2008, la seule longue expérience du pouvoir civil en Mauritanie, celle qui sert de référence et qui entretient les fantasmes les plus idéalistes, reste celui qui a été brutalement interrompue le 10 juillet 1978.
Pour d’aucuns, elle fut le prélude à un terrible recul dans le progrès du pays, du à l’inexpérience politique de la junte militaire qui est arrivée depuis au pouvoir.
La date du 10 juillet a été jusqu’à une date récente une fête des forces armées pour célébrer l’arrivée des militaires au pouvoir en 1978. Ce qui était ainsi pour les porteurs d’uniforme une fête nationale était perçu par d’autres comme une journée de deuil.
La chute du pouvoir civil de Mokhtar Ould Daddah a toujours été considérée en effet par plusieurs Mauritaniens, comme la fin d’une belle époque, durant laquelle les socles de la République ont été plantés et les fondements d’une administration citoyenne érigés, tout comme ont été réalisées d’importantes infrastructures qui servent jusqu’à aujourd’hui d’usufruits pour les générations actuelles.
Le pays tombe entre des mains inexpertes
Ainsi, Me Ichidou, l’un des plus brillants avocats du Barreau mauritanien, véritable mémoire vivante de l’histoire contemporaine du pays a consacré à l’évènement, une critique historique sous le titre «Coup d’Etat de juillet 1978». Il revient sur la guerre du Sahara qui servira de prétexte aux artisans du coup d’Etat pour souligner l’importance stratégique que les Sahraouis avaient perçu à travers les attaques répétées contre le train minéralier qui relie Zouerate à Nouadhibou, mais aussi dans l’extension du conflit à des régions non directement concernées par le conflit, comme Néma, Walata, Ouadane, Atar, Chinguitty, Nouakchott, etc.
Ainsi, d’une Mauritanie jusque-là dirigée par des équipes de technocrates et d’experts, et d’une Mauritanie qui avait enregistré un certain niveau de progrès, le pays bascule en 1978 entre les mains d’officiers si ignorants dans le domaine politique et dans la gestion des affaires publiques, que les principaux dirigeants qu’ils ont secrété manqueront de vision claire ou compréhensibles sur la gestion d’un Etat dont ils ne connaissaient ni la teneur, ni la portée.
Le coup d’Etat de 1978 portait en ses germes, selon Me Ichidou, les risques d’un recul de plusieurs décades pour le pays. Aussi, les militaires porteront-ils d’un seul coup les effectifs de l’armée de 1.200 à 20.000 soldats sans calculer les conséquences qu’une telle augmentation allait entraîner sur le plan financier, sur le plan social et même sur le plan de la productivité.
Bien entendu, Me Ichidou trouve que la guerre du Sahara avait consumé en trente mois tout ce que le pays avait réalisé jusqu’ici en termes d’acquis, alors que le régime en place se complaisait dans le culte de la personnalité et dans la consolidation du pouvoir personnel avec forts appels pour sa pérennité. Sur le plan politique, les Kadihines ne sont plus cette principale force de contestation et ne jouaient plus leur rôle de contre-pouvoir, car ils étaient désormais partenaires du régime qui avait satisfait à leurs principales revendications (nationalisation de la Miferma, révision des accords militaires avec la France, l’émission d’une monnaie nationale, etc.) Selon Me Ichidou, les Kadihines n’avaient pas cependant totalement baissé les bras et qu’ils avaient provoqué un vif débat avec le président Mokhtar Ould Daddah sur l’extrême sensibilité du moment.
Sur demande de Ould Daddah, l’un de leurs dirigeants auraient ainsi engagé des discussions secrètes avec les leaders du Polisario. La Mauritanie voulait une solution consensuelle aux termes de laquelle les combattants Sahraouis ne la prendront plus comme cibles d’attaques et en contrepartie, les zones du Sahara occupées par la Mauritanie leur seront rétrocédées dès que les circonstances le permettront. Selon Me Ichidou, ces pourparlers allaient porter leurs fruits, si le coup d’Etat, n’était intervenu entre temps. Et Me Ichidou de se demander si les militaires étaient au courant de ces pourparlers et que si dans ce cadre, ils avaient voulu anticiper sur ses résultats pour les capitaliser ou s’il ne s’est agi que d’une pure coïncidence.
L’auteur de nous renseigner sur l’existence à l’époque de deux tendances opposées, les partisans d’un changement militaire du pouvoir qui y voyaient la seule alternative pour arrêter la guerre fratricide qui saignait le pays et ceux qui s’opposaient à l’immixtion de l’armée dans les affaires politiques.
Quelqu’un d’autres parlera du coup d’Etat 1978, en parlant d’un régime militaire qui se perpétue à nos jours sous une forme unique mais avec des masques différents. Ainsi, le régime actuel ne serait qu’une autre facette de ce feuilleton militaire qui prend sa source du putsch originel et dont la constance à travers les années reste la médiocrité dans les réalisations, l’absence de toute vision et de toute gestion rationnelle du pays, sous-tendue par la dilapidation des ressources publiques et le népotisme.
Le populisme comme logique de pérennité
Ils sont aujourd’hui nombreux, ceux qui font le parallèle entre la Mauritanie d’avant 1978 et la Mauritanie d’après. Une brève chronologie de ce fameux 10 juillet 1978 commence ainsi avec cette célèbre phrase du capitaine Moulaye Hachim, aide de camp du président Mokhtar Ould Dadda : «Monsieur le président, l’armée vous retire sa confiance ». Cette phrase marque la fin d’une époque et l’avènement d’une autre. Elle rythmera trente ans durant la vie politique en Mauritanie.
Des militaires en destitueront d’autres dans une logique presqu’immuable qui donne à des officier de l’armée le droit d’ôter leur confiance au détenteur du pouvoir. Le communiqué n°1 lu sur les ondes de la radio par le capitaineMohamed Mahmoud Ould Deh en ce 10 juillet 1978 inspirera ainsi près d’une dizaine d’autres communiqués n°1. «Mauritaniens, Mauritaniennes, Peuple de héros ! A été mis fin au régime de la gabegie, pour laisser place à la volonté de la Nation et du peuple. Les forces armées et de sécurité qui constituent le dernier rempart de la confiance populaire et gardiennes de la Constitution dans les circonstances extrêmes, a pris le pouvoir».
Certains trouvent ainsi que l’enseignement qui n’était pas dans ses meilleures formes avant le 10 juillet 1978 deviendra après une véritable hécatombe. Le ministre de l’Education de l’ère post-10 juillet 1978, Hasni Ould Didi, mettra ainsi fin au système d’internat, véritable foyer d’études et de cohabitation intercommunautaire. L’ensemble des biens des Internats furent ainsi accaparés par l’armée. Ces premières mesures sonneront ainsi l’hallali du système d’enseignement public en Mauritanie.
Il y a ceux qui reconnaissent que l’ère Mokhtar Ould Daddah ne fut pas une époque exemplaire, mais qu’elle a été lourde d’erreurs, dont la guerre du Sahara. Mais cette époque fut quand même, pour les tenants de cette thèse, riche en réformes et en réalisations malgré une conjoncture difficile. Ainsi, l’erreur des militaires qui avaient prétendu avoir renversé Mokhtar Ould Daddah pour corriger ses erreurs, fut d’avoir détruit tous les acquis réalisés avant le 10 juillet 1978.
Ils apporteront ainsi leurs propres erreurs qui se révèleront si énormes qu’elles feront oublier finalement les erreurs de Mokhtar Ould Daddah et de leurs prédécesseurs. Pour se maintenir au pouvoir et se perpétuer, les pouvoirs militaires en Mauritanie développeront ainsi un discours populiste, servi par des armées de cadres et de notabilités tribales et religieuses dont le seul souci est de se sucrer au détriment du devoir national. Résultat, la Mauritanie malgré des potentialités énormes, peinent à rejoindre le peloton des pays émergents et se noie dans une pauvreté de plus en plus globale.
Cheikh Aïdara
Source : L’Authentique (Mauritanie)