Jamais un pays n’a subi autant de dérives sociétales durant ces quarante dernières années, sous l’impact des régimes militaires, que la Mauritanie.
Dès le régime de Taya, tous les régimes militaires successifs ont favorisé le développement et l’exacerbation du tribalisme pour de bas intérêts électoraux et de maintien au pouvoir. Aujourd’hui, les tribus sont devenues de véritables Etats dans l’Etat.
Elles se réunissent, décident de leur influence et de leur présence dans les structures de l’Etat. Elles marchandent leur appui et négocient de façon concertée avec la bénédiction de l’Etat, leur « parts » dans les domaines économiques et commerciaux. Tout cela, est bien entendu la logique de la place prépondérante que le tribalisme a pris dans la gestion de l’Etat et de l’économie toute entière.
Mais la situation devient plus dangereuse et bien plus grave pour la survie de la nation, lorsqu’ostensiblement des tribus, à travers le pays, affichent dans les médias sociaux, les armes et les munitions dont elles disposent.
Voilà qu’une tribu, réunie publiquement réclame sa souveraineté sur le Tiris Zemmour qui, dit-elle, est sa « propriété », et voici une autre qui tout aussi publiquement menaçait les autorités de prendre les armes si tel de leur membre n’était pas libéré.
Et sur les réseaux sociaux les congrégations tribales ne finissent pas d’afficher leur arrogance et en font la démonstration (en invectivant les autorités et leurs représentants).
Des blogueurs et des activistes, à visage découvert appartenant à telle ou telle tribu menacent nommément le Président de la République (« Prendre les armes contre Ghazouani ») et s’attaquent à d’autres tribus mauritaniennes dont celle de Ghazouani, et appellent au renversement du régime et à « prendre les armes et de tuer toute personne qui s’interpose sur leur chemin ». (cf. https://senalioune.com/source-un-partisan-de-lancien-president-aziz-menace-de-prendre-les-armes-contre-le-pouvoir-ghazouani/)
Cette situation n’est pas nouvelle et elle s’est répétée sous le régime précédant où des tribus ont appelé au renversement de Aziz, mécontents qu’il ait écarté « leurs enfants » de postes politiques. Et la balle que ce dernier avait reçue aurait été liée à ce mécontentement.
Cette montée en puissance du tribalisme, qui fut une stratégie des régimes depuis 1978 du « diviser pour régner », utiliser les tribus à travers leurs notables pour neutraliser l’électorat et gagner les élections (par l’intéressement et la distribution des prébendes et des postes), est en train de se retourner de façon extrêmement négative sur la stabilité de l’Etat, son invulnérabilité et le devenir de la Nation (qui, d’ailleurs, se construit encore).
Et cela outre un bigotisme religieux et une pauvreté criante qui poussent des franges entières du peuple à se tribaliser pour la solidarité et la pitance face à un Etat absent, incapable d’assurer des services sociaux viables et moins encore une eau potable pour les populations assoiffées.v Le tribalisme a trouvé un terrain fertile qui menace sérieusement, outre la stabilité, le développement du pays et même son existence, eut égard aux « spasmes » politiques qui secouent la sous-région.
Il est temps que les autorités se ressaisissent face à ce danger imminent qui fait fi des institutions républicaines et de la viabilité de l’Etat en tant que seule et unique entité à laquelle le citoyen doit faire allégeance.
Mais cela sera-t-il possible face aux échéances d’élections proches dans lesquelles les tribus sont devenues, pour les régimes successifs, un moyen sonnant et trébuchant de leur pérennité au pouvoir ?
Et ce leurre de démocratie continuera encore à menacer l’homme et les institutions du fait même de l’incapacité de l’Etat à être au service du citoyen, or « dans une société où l’individu n’est pas reconnu, ce qui compte avant toute chose, c’est la tribu et le clan. » (Tahar Ben Jelloun). La tribu ultime refuge des parias d’un Etat qui, ne comptant plus pour eux, le menacent.
Pr ELY Mustapha
Source : Pr ELY Mustapha