Une délégation américaine de haut niveau a visité mercredi le siège du tribunal chargée de lutter contre l’esclavage et ses séquelles dirigé par le magistrat Cheikh Sidi Mohamed Ould Cheina.
La délégation américaine multisectorielle est composée de représentants des départements du Travail, des Affaires étrangères, de la Justice, du Commerce et de l’USAID. Elle est conduite par l’adjoint au représentant américain pour les affaires africaines au bureau américain au commerce, Osvaldo Gomez Martinez.
La visite de cette délégation américaine sur le millénaire entre dans le cadre du retour programmé de la Mauritanie au régime de la Loi sur la croissance et les possibilités en Afrique (AGOA).
Auparavant la délégation avait été reçue par les autorités politiques en charge des Droits de l’homme, de l’Action humanitaire et des relations avec la société civile avec lesquelles a eu des réunions de travail.
Au niveau du tribunal chargé de lutter contre l’esclavage et ses séquelles, le juge Cheikh Sidi Mohamed Ould Cheina qui s’était élevé avec force, il y a déjà quelques années, contre la décision américaine du gouvernement de Donald Trump d’exclure la Mauritanie de l’AGOA, jugée disproportionnée et injuste n’avait cessé depuis lors de faire valoir son approche de la question de l’esclavage et les erreurs récurrentes qu’il convient d’éviter.
En professionnel de la question très au fait de la réalité il n’avait de cesse de mettre en exergue les richesses humaines du pays.
À cette époque, le juge Ould Cheina gérait des dossiers de sécurité sensibles ayant trait au pays et à ses acteurs à différents niveaux. Il avait clarifié à son heure, à travers un article intitulé «La question de l’Esclavage, les droits de l’homme et l’instrumentalisation » du traitement non objectif de ce dossier visant davantage à nuire et faire affaiblir le pays qu’à le servir et à servir le bien-être de ses citoyens dans la dignité, loin de la logique des gains, de l’arrogance et des divers calculs politiques, réducteurs, ici et là, ce qui est réprimé par la loi qui est l’expression suprême du peuple.
Poursuivant son raisonnement, il affirma : « Nous sommes en droit de nous demander à nouveau, alors que nous présidons l’une de ces trois cours spéciales sur l’étendue du territoire national – dont la compétence englobe les deux cours d’Appel (de Nouakchott et du Brakna) – sur quelle base légale, la récente évaluation finale du dossier des droits de l’homme notamment en matière de lutte contre l’esclavage et ses séquelles a-t-elle été adoptée par l’ex président américain et son administration (Donald Trump) ? »
Le juge Ould Cheina s’était interrogé sur les critères selon lesquels ce pays détermine « l’éligibilité de la Mauritanie » en vertu de laquelle elle bénéficierait du programme « AGOA » auquel certains pays sont associés. Sur quelle base les critères ont-ils été définis pour saper les efforts nationaux significatifs ? Le dossier a été évalué dans le pays d’origine par divers acteurs, dans le domaine des droits de l’homme et plus particulièrement celui de la lutte contre l’esclavage et ses séquelles. Lesquels ont été qualifiés d’efforts participatifs. L’État y a joué un rôle souverain.
En tant que partenaire et acteur gouvernemental, de même que les organisations et structures de la société civile ont joué leur rôle en leur qualité de partenaires. Les partenaires au développement ont également joué le leur dans la fourniture du soutien requis. Chacun y a contribué de part sa position dans la formulation de l’approche participative qui a conduit à la création de conditions propices à l’amélioration de la situation des droits de l’homme en général chez nous. Pourquoi alors affirmer aujourd’hui que ce qui a été fait ne suffit pas ? S’insurgeait le juge Ould Cheina.
En fait, faisait-il remarquer, la peine pour l’esclavage a été substantiellement rehaussée (crime contre l’humanité, imprescriptible), ce qui n’est pas le cas dans certaines grandes démocraties du monde, où l’esclavage moderne et la discrimination raciale continue de poser problème de façon récurrente devant les juridictions.
De même que des cours spécialisées dans la lutte contre l’esclavage ont été mises en place et la loi sur la lutte contre l’esclavage n° 031/2007 a été révisée par le biais de la loi contre l’esclavage n°048/2015. Le nouveau texte permet, sous certaines conditions procédurales, aux organisations de la société civile d’informer la police judiciaire (PJ) et le bureau du procureur de la République de l’existence d’un cas de violation de la loi. Cette loi accorde également à la ou aux victime(s) le principe de réparation pour réparer le préjudice consécutif au crime subi.
Que faut-il faire à la lumière de ce qui précède et à l’égard de la rareté de cas liés à l’esclavage sous ses différentes formes devant les tribunaux, alors qu’un mécanisme de plaintes est établi auquel serait exposé tout contrevenant à la loi : enquête, modalités de saisies, poursuites et jugement ?
Et ce qui a été réalisé en matière de lutte contre l’esclavage est-ce une réalisation dans un pays aux potentialités économiques limitées et où les niveaux de pauvreté, d’analphabétisme et de chômage sont élevés et bénéficient réellement de la récente décision américaine ? Celle-ci va-t-elle dans le sens de l’amélioration de la situation des droits de l’homme vers de meilleurs horizons? En vérité, c’est un vrai choc. Lorsqu’un pays attend une appréciation de ses divers efforts à différentes échelles : la justice, la majorité, l’opposition, les organisations de la société civile et les partenaires au développement.
Tout le monde est dans l’attente, de quelque chose de plus qu’un hommage. Honorer le pays pour ses énormes efforts, en dépit des conditions économiques et sociales difficiles. Ce qui nécessite de fournir l’appui nécessaire et non pas la sanction de tout un pays et encore sur la base de considérations erronées et aggraver la fracture sociale ! conclut le juge.
Apparemment les arguments du juge ont finalement été bien entendu et la visite de la délégation américaine ce mercredi 1er mars au siège du tribunal qu’il dirige lui aura permis de réitérer avec force les solides arguments qui militent en faveur du retour de la Mauritanie au sein de l’AGOA.
Et c’est semble-t-il une question en voie de règlement à en croire des sources dignes de foi.
Rappelons que l’éminent magistrat Cheikh Sidi Mohamed Ould Cheina jouit d’une expérience avérée. En France où il résida pendant de longues années, il présidait l’Office franco-mauritanien pour la promotion et la défense des droits de l’homme (OFMEPDH) dont le siège était à Paris. Cet organisme avait contribué pendant des décennies à la dénonciation des violations des droits humains en Mauritanie.
De retour en Mauritanie, M.Sidi Mohamed Ould Cheina intègrera par voie de concours la magistrature. Il sera successivement Procureur de la République de la Wilaya de Nouakchott, Président de la chambre commerciale et puis Président de la chambre administrative de la Cour d’Appel de Nouadhibou.
Avant sa dernière nomination, à la tête de la Cour criminelle spéciale Zone Sud chargée de juger les affaires d’esclavage, il dirigeait un Pôle d’instruction qui enquêtait sur les affaires terroristes, une structure juridique dont le bilan a été largement apprécié, aussi bien à l’intérieur du pays qu’à l’étranger.
Bakari Gueye
Source : Initiatives News – Mauritanie