Pour bien comprendre ce dont il est ici question, il convient de rappeler les faits.
Le 13 Décembre 2010, l’IRA-Mauritanie, d’autres associations et partis politiques anti-esclavagistes se sont rendus au Commissariat de Arafat 1 ( Nouakchott ) pour signaler des pratiques esclavagistes qui s’exercent sur deux fillettes: Salma Mint Salem et Oum El Ide mint Salem Tayvour.
Au commissariat, une altercation eut lieu entre les policiers et les militants anti-esclavagistes parmi lesquels figurait Birame Ould Dah Ould Abeid, Président de l’IRA-Mauritanie.
Ce cas d’esclavage est le fait de Mme Bekkar Vall, fonctionnaire de la Banque Centrale de Mauritanie, institution étatique.
Les origines de Madame Mint Bekkar Vall la rapprochent de celles du chef de l’État actuel. En effet, elle est membre de la tribu Oulad Dëmane qui habite la région du Trarza. Cette tribu appartient à la communauté arabe de Mauritanie, comme l’est celle des Oulad Bisbaa dont est issu Mohamed Ould Abdel Aziz, chef de l’État mauritanien.
Dans le premier numéro du Cri du Hartani, en date du 1er octobre 2001, nous avons établi une typologie de l’esclavage maure en Mauritanie. Celle-ci peut se décliner en cinq formes :
- L’esclavage traditionnel. Il s’agit de l’utilisation de l’esclave dans les travaux domestiques.
- L’esclavage administratif. Celui-ci se manifeste par l’utilisation de l’Administration comme cadre d’exploitation du Abd (Esclave) et du Hartani (Affranchi) par un membre de cette même Administration ou par un Maître d’esclave quelconque. Dans ce type d’esclavage, il peut aussi s’agir d’un agent public qui pratique l’esclavage, soutenu implicitement ou explicitement par l’État.
- L’esclavage politique. Dans ce cas, les Esclaves et Haratine sont utilisés à des fins politiques.
- L’esclavage moderne. Il se manifeste par l’exploitation des Noirs en général, les Haratine et Esclaves compris, par les Maures. Et ce, avec la complicité de l’État.
- Le néo-esclavage. Ici, l’esclave, bien qu’affranchi, continue à subir l’exploitation de ses anciens maîtres.
L’Affaire Mint Bekkar Vall relève de l’esclavage administratif car elle travaille comme fonctionnaire de l’État et exploite des esclaves.
Il existe plusieurs formes de cet esclavage.
Dans un premier cas, au sein de l’administration publique, des fonctionnaires maures recrutent leurs propres esclaves, lesquels restent travailler à leur domicile. Quant au salaire supposé être destiné à l’esclave, il est capté par le Maître. L’esclave est doublement exploité. Il accomplit les travaux domestiques gratuitement en même temps qu’il rapporte indûment un revenu supplémentaire à son propriétaire .
Dans le second cas d’esclavage administratif, l’esclave travaille au domicile du fonctionnaire sans être payé. Il appartient au fonctionnaire. C’est le cas d’esclavage pratiqué par Mint Bekkar Vall.
Si l’esclave ou le Hartani échappe aux deux cas précités, il peut être victime d’une autre utilisation. Il doit travailler dans l’Administration à la place des autres et plus qu’eux pour rester à son poste.
Les fonctionnaires maures se déchargent sur les Haratine. Ils les font accomplir toutes les tâches pénibles au sein de l’Administration.
Une autre pratique touche les Haratine ( affranchis) et les Abid (esclaves). D’une manière générale, ces derniers ne peuvent s’adresser à l’administration publique sans passer par leurs maîtres ou anciens maîtres. Celle-ci ne les considère guère comme des interlocuteurs de pleins droits. Ainsi, un Hartani ou un Esclave qui veut établir une pièce d’identité, témoigner, vendre un terrain de culture ou d’habitation, a nécessairement recours à son Ancien-maître ou son Maître.
Face à l’administration, les Haratine et les Abid demeurent des mineurs à vie. Cette situation oblige les victimes à rester aux services de leurs maîtres et anciens maîtres.
Ces formes d’esclavage qui impliquent les agents de l’État et autres Esclavagistes sont pratiqués aujourd’hui en Mauritanie.
Si l’Esclave (Abd) ou le Hartani (Affranchi) fait preuve d’un esprit d’indépendance, refuse de se soumettre à un Maure, considéré comme lui étant naturellement supérieur, il s’expose à des sanctions telles que le renvoi, le blocage de carrière ou l’accusation de détournements de deniers publics, etc.
Dès les premières nominations des Haratine à des hautes fonctions, dans les années 1980, les Esclavagistes ont trouvé de nouveaux moyens d’exploitation des Haratine. En fait, les Haratine qui accèdent à ces postes, deviennent des obligés de leurs maîtres et leur tribu. Ils sont souvent incités à détourner des deniers publics pour satisfaire leurs Maîtres ou Anciens-maîtres.
Cette tentative de classification était nécessaire pour identifier et cerner tous les aspects de l’esclavage maure. On ne peut combattre un mal sans le connaître dans toutes ses dimensions.
Ces pratiques posent questions. Elles ne relèvent du droit positif (lois, et règlements) mais proviennent de l’héritage culturel esclavagiste, légalisé par la Charia.
En Mauritanie, République Islamique, la Charia (Loi islamique) est «seule source du droit».
Partant de là, on pourrait penser que l’esclavage est légal en Mauritanie puisque le droit musulman autorise cette pratique. Mais une loi de 2007 interdit formellement l’esclavage. [Voir http://www.haratine.com/Site/ancien/Texte_juridique2.htm]
Dans son article 4, il est affirmé: «Quiconque réduit autrui en esclavage ou incite à aliéner sa liberté ou sa dignité ou celle d’une personne à sa charge ou sous sa tutelle, pour être réduite en esclave, est puni d’une peine d’emprisonnement de cinq à dix ans et d’une amende de cinq cent mille ouguiyas ( 500 000 UM)…»
Cette situation confuse révèle le tiraillement entre l’aspiration à l’égalité et la tradition en Mauritanie qui repose sur des sociétés hiérarchisées et imprégnées par l’Islam.
Une fois l’analyse des formes d’esclavage dévoilée, il devenait nécessaire de les dénoncer. Cette dénonciation a été faite d’abord dans le journal Libération du 27 juillet 1999. Ensuite, dans notre journal de A.H.M.E, le « Cri du Hartani » du 1 octobre 2001 et suites ainsi que dans les conférences successives auxquelles A.H.M.E a été invitées. C’est l’occasion de remercier les FLAM (Section Europe de l’Ouest ) de nous avoir permis à plusieurs reprises de s’exprimer sur la question de l’esclavage maure au début des années 2000.
Enfin, dès la naissance de notre site www.haratine.com, le 20 mai 2004, des articles, des communiqués, des témoignages ont abordé les différentes facettes de l’esclavage maure.
Dans notre thèse que nous avons soutenue en septembre 2006 à Paris II intitulée : « L’abolition de l’esclavage en Mauritanie et les difficultés de son application », nous avons creusé cette typologie de l’esclavage en l’étoffant dans sa conceptualisation et en fournissant des exemples précis.
Qui ignore aujourd’hui le fait que des magistrats, des commissaires de police, des préfets, des fonctionnaires, des ministres, etc. détiennent des esclaves dans leurs villas? Pourtant, ces cas n’ont jamais été dénoncés. Il n’est donc pas surprenant que Mme Mint Bekkar Vall ne soit pas sanctionnée.
Lorsque A.H.M.E a soulevé les pratiques esclavagistes exercées par Nahë Mint Mouknass, cette information n’a pas été relayée.
En dehors de A.H.M.E, le premier à signaler l’esclavage dans les villes, est Brahim Ould Bilal Ould Abeid dans l’interview accordée à notre site www.haratine.com en octobre 2010.
C’est dans les villes que l’Administration est établie et où les agents de l’État entre autres, pratiquent l’esclavage.
Le mérite de Birame ould Dah Ould Abeid et les militants anti-esclavagistes est d’ avoir porté un cas d’esclavage impliquant une fonctionnaire au Commissariat de police et enfin devant la justice. Il s’agit d’une première.
Leur courage leur a valu une condamnation à six mois de prison ferme et une forte amende. Cette situation démontre la complicité de l’État dans la perpétuation de l’esclavage. Au lieu de soutenir ceux qui luttent pour la fin de toute forme de servitude, il les sanctionne.
La page de l’esclavage administratif ne doit plus se fermer tant que la servitude n’aura pas été réellement abolie.
Pourquoi l’affaire de Mint Bekkar Vall est significative ?
- Il s’agit d’un cas d’esclavage. Et l’esclavage est une négation de l’être humain.
- L’auteure des faits est un cadre de l’Administration publique. Or, celle-ci doit être neutre et impartiale pour appliquer les décisions qui s’imposent à elle.
Prenons un exemple en vue d’illustrer nos propos. Un fonctionnaire peut-il appliquer la Loi n°2007-048 du 3 septembre 2007 portant incrimination de l’esclavage et réprimant les pratiques esclavagistes, s’il détient lui-même des Esclaves ? Il est difficile sinon impossible d’être juge et partie.
L’État doit manifester sa fermeté face à l’esclavage administratif. Les fonctionnaires se doivent d’être exemplaires. Ceux qui, parmi eux, ne respectent pas les règles édictés par l’État doivent être sévèrement sanctionnés.
Si les textes abolissant l’esclavage, n’ont pas été appliqués en Mauritanie à ce jour, c’est en grande partie dû à cette contradiction qui consiste à demander à des fonctionnaires esclavagistes d’appliquer des lois qui vont à l’encontre de leurs intérêts.
- Un État qui n’exige pas de son bras séculier, l’Administration publique, l’application de ses lois, règlements, etc. est un État sans volonté qui procède au mensonge politique pour camoufler son absence de détermination.
L’affaire Mint Bekkar dévoile davantage la solidarité raciale de l’État à l’égard des esclavagistes. Il montre que celui-ci est géré aux bénéfices exclusifs de la communauté maure.
La preuve est qu’aucun Maure esclavagiste n’a été arrêté, emprisonné, amendé ou simplement inquiété pour pratiques esclavagistes.
Du régime de Ould Daddah à celui de Ould Abdel Aziz, les usages restent immuables.
Les pratiques demeurent les mêmes à l’égard des victimes de l’asservissement. En effet, chaque fois qu’un cas d’esclavage est porté à la connaissance d’un commissariat de police, d’une compagnie de gendarmerie, d’un préfet, d’un gouverneur, d’un Cadi, etc. l’esclavagiste sort indemne et la victime reste prison ou sous pression. Pour s’en sortir, la victime doit nier les pratiques esclavagistes dont elle souffre et accuser les militants des Droits de la Personne qui sollicitent l’application de la Loi de l’État de manipulations.
La famille de la victime est mise à contribution pour démentir toutes pratiques esclavagistes et louer les mérites des esclavagistes qui les ont toujours asservis et continuent à les soumettre.
La domination politique maure a conduit à la complicité de l’État et de l’administration dans le maintien de l’esclavage.
La lutte contre l’esclavage administratif doit être une question prioritaire, compte tenu du rôle de l’administration dans l’application des lois et l’exemplarité qui s’impose à l’État.
L’ abolition de l’esclavage doit mobiliser toutes les forces militantes mauritaniennes. Ce problème ne doit pas concerner qu’une minorité de personnes du fait de leur origine ou situation. La construction d’un État démocratique ne peut se faire l’éradication définitive de l’esclavage et du racisme.
Mohamed Yahya Ould Ciré