Après plusieurs décennies de combat politique contre le système qui a méthodiquement organisé l’exclusion de la composante africaine noire mauritanienne sans répit, il y a comme une malédiction qui frappe nos élites politiques et intellectuelles à assumer leurs responsabilités.
Rongées par des divisions et des querelles ancestrales, reproduisant à l’identique les erreurs de leurs prédécesseurs à la veille des indépendances, ces élites ont déroulé le tapis à leurs fossoyeurs d’hier et d’aujourd’hui.
Il est incompréhensible que le camp des victimes, concentre plus son énergie à une animosité viscérale entre partenaires embarqués dans la même tragédie que de mettre en avant la mobilisation et la détermination à vaincre le système qui est le principal responsable de nos malheurs et de nos souffrances.
Près de quarante après le manifeste des FLAM, nous sommes obligés de constater que face à notre combat contre le racisme, l’esclavage et l’impunité de l’Etat Mauritanien, le système est toujours dans le déni de cette réalité. L’Etat n’a fait aucun geste politique d’apaisement, ni une main tendue dans le but d’engager la Mauritanie dans une perspective de reconnaissance de la citoyenneté de toutes les Mauritaniennes et de tous les Mauritaniens.
A l’intérieur comme à l’extérieur du pays, les camarades et les partenaires du même bord politique sont devenus entre eux-mêmes les ennemis à abattre en utilisant des méthodes de dénigrement et de disqualification.
Sans aucune forme de retenue, de décence, du sens de la mesure et du bon sens, un discours inaudible, contre productif est déversé contre ceux et celles qui ont porté le combat dans des conditions difficiles, humiliantes et dégradantes, tout en tenant le flambeau de la lutte. Plus personne n’ose s’aventurer à tenir une position paradoxale ou contradictoire soit-elle, sans être insulté.
Vilipender est devenu la seule stratégie pour exprimer sa frustration, son désaccord comme si ces acteurs avaient porté atteinte à la vie ou à la dignité des composantes assujetties, opprimées, méprisées et niées dans leur droit à vivre le plus simplement du monde dans leur propre pays.
Dans un système où l’Etat s’acharne sur des populations qui ne lui demandent rien et qui, au quotidien, se mobilisent pour la survie, à qui faut-il s’attaquer ?
A des acteurs et actrices réduits et réduites à l’impuissance, au désarroi tout en dérangeant le système du seul fait d’exister et d’assurer une présence vivante.
Quand la victime devient la cible des attaques, l’amalgame prend des allures d’un appel à la résignation. Dans ce cas, le seul bénéficiaire, c’est le système qui opprime, emprisonne, humilie, exclut, oblige à la démission ou à l’exil.
Il y a un moment où il faut se dire qu’une victime nous oblige à prendre en compte sa souffrance et le respect de sa dignité.
Notre seul ennemi est le système dont les responsables considèrent que la vie des populations noires ne compte pas et que leur existence dans ce pays doit être vouée à la souffrance, à la misère, à la précarité, à l’exclusion et à l’humiliation.
Dans ce contexte, pour s’unir, ou agir ensemble, le respect est fondamental. C’est un impératif incontournable pour redonner du sens au combat contre le système qui se réjouit de notre impuissance à faire cause commune.
L’engagement politique des membres d’une composante victime du racisme, de l’esclavage, des massacres, des viols, de l’expropriation, de la déportation et de l’exil peut se passer des invectives, des insultes et du dénigrement.
Les désaccords, les divergences, les malentendus, les incompréhensions, les contradictions et les ruptures font partie de la vie politique et de la vie tout court.
Pour autant la considération et le respect des uns et des autres doivent prévaloir. Notre victoire est certes, lointaine, le scepticisme et le doute nous gagnent, la tentation du désespoir est forte, mais l’histoire est pleine de surprises.
Nous ne savons pas de quoi demain sera fait ?
Nous devons toujours garder la flamme de l’espoir et le sens de la dignité au service de notre combat pour la justice, la démocratie et la solidarité.
Laissons notre chance à l’incertitude qui est le principe même de l’histoire.
Même avec nos désaccords et nos divergences, nous ne devons pas perdre de vue que nous sommes des victimes et non des bourreaux.
Vive notre cause !
Notre combat sera toujours légitime même dans un contexte d’affaiblissement et de doute ! Ensemble nous vaincrons !
Notre vocation est de mettre ce système à terre, cela prendra le temps qu’il faudra.
Hamdou Rabby SY
Philosophe, militant des Droits de l’Homme
Conseiller de l’AVOMM