Quand vous entendez le mot esclavage, vous pensez probablement à la traite négrière et au commerce transatlantique dont vous parlaient vos enseignants d’histoire.
Ou peut-être plus récemment, à la vente aux enchères des migrants en Libye qui a suscité le tollé dans le monde entier. Et pourtant la pratique perdure sous une autre forme en Afrique de l’Ouest.
« Certaines personnes, notamment celles dont les familles n’ont pas d’esclave ne manquent pas de nous rappeler que nous sommes des moins-que-rien », soupire Amina Souley.
Cette Nigérienne est considérée comme une esclave par les membres de sa communauté. Une condition dont sa famille est victime depuis que l’un de leurs ancêtres a été enlevé puis réduit en esclavage.
« Notre statut remonte à nos aïeux. Avant, les guerriers ou certaines personnes sillonnent les contrées et quand ils croisent un enfant ou un groupe d’enfants, ils les enlèvent pour les placer dans leurs familles. L’enfant aussitôt enlevé devient automatiquement un esclave qui se soumet aux ordres de son désormais chef », raconte-t-elle.
Dès lors, toutes les corvées sont confiées à l’enfant-esclave dont la future descendance est considérée comme telle.
« Quand il aura l’âge de se marier, on lui donnera pour épouse une autre fille enlevée, donc esclave », explique Amina Souley.
Aujourd’hui encore, les personnes considérées comme esclave rencontre beaucoup de difficultés pour se marier en dehors de leur communauté.
« Quand nos enfants veulent se marier, la famille de l’homme ou de la jeune mariée mène des investigations pour connaître notre statut, dès lors qu’elle apprend que nous sommes une famille considérée comme basse classe, le projet avorte », confie Amina Souley.
Pour éviter cette humiliation, elle préfère repousser les demandes en mariage des personnes considérées comme nobles. Une manière pour elle
« Quand ils demandent la raison de mon refus, je leur dis que nous sommes castés, nous ne sommes pas comme vous et donc si vous épousez mes filles, vous ne manquerez pas de leur rappeler leur statut, ou vos familles vont s’opposer au mariage », affirme-t-elle.
Si dans le cas d’Amina Souley elle souffre beaucoup plus de stigmatisation, il arrive que les « esclaves » soient victimes de violence physique voire de meurtre.
Au Mali, Diogou Sidibé a été froidement assassinée à la suite d’un conflit qui l’opposait aux habitants du village de ceux qui se considèrent comme les maîtres de la dame de 71 ans. Il lui était interdit de cultiver son champ en raison de son statut d’esclave. L’enquête avait débouché sur l’arrestation d’une vingtaine de personnes, dont l’imam du village.
Quelle est l’ampleur de ce phénomène dans la région ?
« Le phénomène d’esclavage par ascendance est très répandu dans la région, c’est un phénomène qui est très présent dans les sociétés sahéliennes, mais également dans les sociétés côtières », affirme Ousmane Diallo, chercheur à Amnesty international. Il a travaillé sur la question de l’esclavage en Afrique de l’Ouest.
Le chercheur explique que l’esclavage par ascendance est la résultante de classification sociale qui était en vigueur dans les sociétés africaines même si elles persistent encore aujourd’hui.
« Que ça soit au Sénégal, en Mauritanie, au Mali ou au Niger, il y a généralement ceux qu’on appelle les libres ou les nobles, ils occupent les principales fonctions politiques et religieuses dans la société traditionnelle, il y a la caste des artisans qui sont des groupes socioprofessionnels ainsi que les griots, les conteurs, les généalogistes, en même temps aussi, on a des catégories serviles qui sont descendantes des personnes qui ont été asservies à un moment donné de l’histoire et qui sont restées dans ces communautés », explique M. Diallo.
Une caste est une classe sociale fermée ayant le plus souvent une profession héréditaire et qui occupe un rang déterminé dans la hiérarchie de la société.
Le chercheur reconnaît néanmoins qu’il y a vraiment très peu d’esclavage dans la région « même si on peut le noter dans quelques endroits ruraux comme au Niger et en Mauritanie, mais on voit qu’il y a beaucoup de personnes qui subissent les séquelles de l’esclavage. »
Dans la région de Tahoua au Niger, dans le nord du pays et de la région de Tilabéri à l’Ouest la pratique y persiste. Au fur des années, l’association Timidria qui signifie ‘fraternité et solidarité’ en langue tamashek se bat pour mettre fin à cette pratique qu’elle considère comme une injustice sociale et une violation des droits humains.
Selon Ali Bouzou, le secrétaire général de Timidria, « il y a la forme active où l’esclave est la propriété de son maître. Il y a la forme passive, c’est celle que l’on appelle esclavage par ascendance. Il y a aussi la traite des personnes, une pratique qu’on a identifiée dans la zone du triangle de la honte : Konni, Illéla, Madaoua et Bouza où on pratique la wahiya. »
La wahiya est une forme d’esclavage répandue dans sa région, où des hommes riches achètent des jeunes femmes pour le sexe et le travail domestique pour aussi peu que 200 dollars (environ 123 653 FCFA) et en font des cinquièmes épouses pour contourner la loi islamique, qui autorise un maximum de quatre épouses.
Comment se déroule la vie de tous les jours de ces personnes considérées comme esclaves ?
« Il y a un certain nombre d’obligations et de services mutuels qui est intrinsèque à cette dynamique de servilité. Par exemple, lors de cérémonies religieuses, ce sont ces personnes qui sont issues de catégories serviles qui vont faire le travail au domicile des nobles.
Ce sont elles qui vont faire la cuisine, qui vont chercher le bois, qui vont égorger les animaux et rendre les services mutuels. Il y a en même temps des obligations que les libres (nobles) doivent leur donner dans la société traditionnelle, c’est-à-dire des paiements en pagne ou tissu et des menus services qui sont fait en tant que tel », explique Ousmane Diallo.
« Je suis descendant d’esclave, et on sait que certains métiers comme le tissage, la forge, les griots sont l’apanage exclusif des castes et donc j’ai assumé mon statut et je pars dans les cérémonies de réjouissance pour battre mon tam-tam et faire l’éloge des nobles comme le faisait mon père », explique Hamadou Saley Toga. Ce Nigérien ne manque pas d’affirmer à la BBC qu’on lui rappelle souvent son statut d’Homme « inférieur. »
« Généralement, les castes sont considérées comme les chaussures des nobles pour ainsi qualifier notre infériorité », affirme-t-il.
Dans certaines communautés, on peut noter que les personnes qui sont descendantes de ces communautés, même si elles sont instruites religieusement, elles sont discriminées par rapport aux offices d’imam ou de chefs de Zawiya dans les communautés.
« On peut aussi noter une discrimination à l’accès à la terre, à l’éducation, mais on peut noter de grandes avancées à l’heure actuelle parce que l’éducation s’est un peu plus répandue dans les zones rurales », affirme le chercheur Ousmane Diallo.
Qu’est-il fait pour lutter contre la pratique de l’esclavage par ascendance ?
Officiellement, l’esclavage et la traite d’êtres humains ont déjà été abolis, sauf que comme nous l’avons vu, ces pratiques persistent malgré l’existence de textes au niveau régional et international qui les interdisent.
Cependant, les Etats Ouest-africains concernés par ces pratiques, se heurtent à la difficulté de faire appliquer les peines existantes.
Au Niger par exemple, Ousmane Mamane, directeur général de l ’agence nationale de lutte contre la traite des personnes (ANLTP) affirme que cette difficulté est grandement liée à l’absence de dénonciation.
« Pour condamner, pour poursuivre, il faut qu’il y ait des dénonciations. Le problème de l’esclavage est que c’est un cercle fermé. Ceux qui le pratiquent, sont ceux qui sont influents au niveau des localités », affirme M. Mamane.
« Souvent, ils refusent de comparaître devant des juridictions ou devant la police. Même s’ils arrivent à comparaître, ils s’entendent avec la victime. Souvent, les victimes retirent leurs plaintes », poursuit-il.
L’association Timidria du Niger utilise l’accès à l’éducation dans la lutte contre l’esclavage. Selon les responsables, cette stratégie commence à porter ses fruits sur le terrain.
« On crée des écoles surtout dans les zones de persistance esclavagiste. Aujourd’hui, l’une des principales armes pour combattre l’esclavage, c’est l’éducation. Par exemple, les élèves de l’école communautaire de Bankilaré comptent aujourd’hui des étudiants à l’université de Niamey. Et ce sont ces étudiants qui ont amené cette révolution sur la question de l’esclavage à Bankilaré. Aujourd’hui, ils sont arrivés à renverser la tendance », affirme Ali Bouzou.
Pour Ousmane Diallo, les Etats doivent s’employer à faire appliquer les lois voire de criminaliser la pratique de l’esclavage.
« Il n’est pas normal qu’elles [les lois] ne soient pas appliquées par respect à la tradition en sachant que cette tradition discrimine et opprime des personnes. Il y a des violences qui sont perpétrées à l’encontre des communautés particulières sur la base de ces traditions », affirme-t-il.
Papa Atou Diaw avec Au cœur de l’Actu
BBC Afrique