Mauritanie : une Ceni « arrangée » en prélude aux élections générales de 2023

En Mauritanie, le premier round des prochaines élections générales vient de se jouer avec la mise en place d’une nouvelle Ceni «arrangée».
Les onze nouveaux membres (6 de la majorité et 5 de l’opposition) de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) ont été choisis, fin octobre, par le président de la République dans une short list de 22 personnalités que les partis ayant « traités » avec le ministère de l’Intérieur et de la Décentralisation avaient proposés, au détriment des dizaines de formations politiques n’ayant pas participé à des «concertations» politiques aujourd’hui contestées.

La représentativité au sein de la Ceni est jugée «partisane» parce qu’il s’agit d’un accord politique, d’un compromis que le président de l’Initiative pour la Résurgence d’un mouvement Abolitionniste -(IRA), Biram Dah Abeid, arrivé second aux élections présidentielles de 2014 et de 2019, qualifie de compromission.

Pour BDA, l’accord ayant conduit à la mise en place de la Ceni n’est rien d’autre qu’une énième tentative de sa mise à mort politique, en cherchant à l’empêcher d’être de la partie (présidentielle de 2024) en s’appuyant cette fois-ci sur son propre…parti : Parti pour la Réforme et l’Action Globale (RAG), toujours en attente de reconnaissance dans l’antichambre du ministère de l’Intérieur et de la Décentralisation. Un « mauvais sort » que la formation de Biram Dah Abeid partage avec leurs compagnons d’infortune (politique), les FPC (Forces progressistes du Changement, ex Flam) de Samba Thiam.

L’accord n’est, ni plus ni moins, que la reconduction de l’arrangement de 2019 entre le pouvoir et les formations politiques les mieux cotées à l’Assemblée nationale : Tawassoul (islamistes), l’Alliance populaire progressiste de Messaoud Ould Boulkheir, ancien président de l’Assemblée nationale, le RFD d’Ahmed Ould Daddah que d’aucuns qualifient «d’opposant historique», pour s’être dressé contre tous les présidents depuis l’avènement de la «Démocratie» en Mauritanie (1992), si l’on oublie le court intermède de flirt politique avec l’ancien président Aziz, peu après le coup d’état contre Sidi Mohamed Ould Cheikh Abdallahi.

L’indépendance de la Ceni se dilue dans le choix de ses membres, issus des rangs de ces formations politiques, de la majorité et de l’opposition, alors que certains plaidaient pour la cooptation de personnalités indépendantes, comme lors de la transition de 2005. L’argument évoqué par Diallo Mamadou Bathia, le président du Conseil constitutionnel, affirmant, lors de la prestation de serment des 11 nouveaux membres du Comité directeur de la Ceni, qu’une fois désignées, ces personnalités s’affranchissent de la tutelle politique de leurs partis, prête à sourire quand on sait combien il est difficile pour un ancien ministre de l’Intérieur, un ancien directeur de cabinet du président de la République ou un ancien ambassadeur de résister à la tentation !

La faute à l’opposition

Mais il faut bien reconnaître aussi que l’opposition mauritanienne creuse sa tombe avec ses propres dents depuis le jour où elle a goûté aux délices du compagnonnage politique avec un pouvoir qui, malgré ses différentes mues (de Maaouya à Ely et d’Aziz à Ghazouani) ne se départit jamais des fondamentaux de sa stratégie de containment d’une opposition aujourd’hui éclatée en mille morceaux.

L’impossibilité pour cette opposition de trouver un consensus sur le choix de ses représentants dans une Ceni finalement vue comme une entrée, à goûter sans modération, laisse présager des lendemains qui déchantent quant à cette vaine tentative de certains de ses leaders de constituer un front face à une majorité politiquement plus homogène et ne jurant que par le nom du président Ghazouani.

Face à l’Insaf, parti au pouvoir déjà à l’œuvre pour s’assurer la conservation d’une majorité confortable à l’Assemblée nationale (102 députés sur 157), aux conseils régionaux (13 sur 13) et aux conseils municipaux (plus de 200 des 116 que compte le pays), une opposition qui est en décélération depuis l’élection du président Ghazouani, en juin 2019. Et ce n’est pas cette histoire de Ceni reconstituée avec les mêmes protagonistes (partis), avec un simple changement de nom des heureux élus pour une fin de mois moins difficile qui arrangera les affaires d’une opposition qui se cherche.

Pourtant, la conjoncture socioéconomique actuelle ne sert pas vraiment un gouvernement qui se bat sur plusieurs fronts : contenir un malaise social exacerbé par une détérioration sans précédent du pouvoir d’achat, retour insidieux de personnalités de l’Ancien régime, mise au placard- ou presque- du dossier de la décennie impliquant l’ex-président Aziz et plusieurs barons de son régime dans une ténébreuse affaire de détournement portant sur des dizaines de milliards d’ouguiyas.

Mais rien de vraiment inquiétant pour un pouvoir qui ne s’est jamais départi d’un surplus de sérénité qui tranche nettement avec la normalité de la crise sous le «règne» d’Aziz entre 2009 et 2019. La seule crainte pour le président Ghazouani et pour le parti au pouvoir viendrait d’une «guerre» entre clans rivaux au sein de la majorité alors qu’on commence déjà à affûter les armes pour engager la bataille des candidatures aux élections communales, régionales et législatives.

Par Mohamed Sneïba, Correspondant permanent – Nouakchott

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