Le Règlement définitif du « Passif humanitaire » se fait toujours attendre. Les victimes des douloureux événements de 1989, de ceux qui les ont précédés et ceux qui les ont suivis attendent toujours que justice soit faite. Ce dossier à rebondissements a connu une évolution en dents de scie mais les tentatives répétées de le classer ont été vouées à l’échec. Les victimes crient toujours à tue-tête pour demander d’être rétablis dans leurs droits.
Dans les recommandations figurant dans l’accord politique du 20 octobre 2016 issue du dernier dialogue national, les participants se sont félicités des progrès réalisés pour le règlement du dossier du « Passif humanitaire »
Toutefois, ils ont demandé aux autorités publiques de « parachever le processus, de revoir notamment les cas qui n’ont pas été suffisamment traités et de leur accorder toute la diligence nécessaire. »
Contrairement à la thèse en vogue dans les milieux officiels, la question du passif humanitaire n’est pas entièrement réglée comme le souligne d’ailleurs l’accord politique qui préconise son parachèvement.
Il y a lieu de rappeler que la loi d’amnistie de 1993, votée par l’assemblée nationale à la veille de la réunion de Vienne sur les Droits de l’Homme, fut une loi scélérate qui avait plombé tout le processus.
En vertu de cette loi, aucune victime ne peut plus porter plainte.
Mais le règlement du dossier du « Passif humanitaire » avait commencé en 2007, avec l’initiative du président feu Sidi Ould Cheikh Abdalahi qui avait clairement reconnu la responsabilité de l’Etat dans tout ce qui s’est passé et avait enclenché le processus de retour des réfugiés alors installés au Sénégal.
A l’époque des journées de concertations (03 jours) avaient été organisées pour réfléchir sur la question dans son ensemble.
Par la suite, juste à la veille du putsch, une commission inclusive de 15 personnes avait été constituée. Elle regroupait des représentants de l’Etat, de la société civile et des victimes.
Il y a eu par la suite à l’avènement du président Aziz suite à un putsch, la création d’une autre commission qui regroupait des Oulémas et des représentants de la société civile. Cette commission a concocté un document dont ignore encore le contenu, un document qui a été présenté en catimini aux victimes pour le signer. Dans ce document il est également mentionné que les victimes ne peuvent plus porter plainte.
Le régime de Aziz n’a pas tenu ses promesses faîtes en 2011 et notamment le fait de cartographier les lieux où se trouvent les victimes des exactions extrajudiciaires (Sory Malé, Wothi, Azlat…) conformément à une loi promulguée dans ce sens par le ministère des affaires islamiques.
La même année le Commissaire aux Droits de l’Homme avait demandé à Banjul à la Commission Africaine des Droits de l’Homme de clore le dossier du passif humanitaire et celui de l’esclavage. Mais en vain.
Donc cette mise au frigo dont vous parlez ne date pas d’aujourd’hui et le régime actuel n’a encore montré aucun signe tendant à donner gain de cause aux victimes du passif humanitaires toujours très décidés et qui ont été durement réprimés le 28 novembre dernier à l’occasion d’une manifestation à Nouakchott.
C’est dire que le problème est toujours là et ce dossier pourrait être prochainement remis sur la table à l’occasion du dialogue politico-social en préparation.
Q:La question des haratines divise même les haratines. Partagés entre ceux qui veulent se détacher de la communauté maure et ceux qui pensent qu’il faut sauver cette union. Le rapprochement Birame Dah Abeid et le régime sera-t-il positif ou négatif pour l’union des haratines ?
La naissance de la conscience haratine est née avec le mouvement El Hor(l’Organisation de Libération et d’Emancipation des Haratine) qui fut durement réprimé par les militaires arrivés au pouvoir en 1978.
Ce mouvement avait regroupé les plus éminents cadres haratines de l’époque comme Messaoud Ould Boulkheir, Boidiel ould Houmeid, et bien d’autres comme Boubacar Messoud qui avait créé dans la foulée l’ONG S.O.S esclaves qui continue encore aujourd’hui à porter le flambeau.
En 1978 avec le regain de la contestation, des manifs éclatent un peu partout dans le pays, à Atar, à Zouerate, à Nouadhibou et à Nouakchott, des manifestations pour protester contre la vente d’une esclave.
Le pouvoir procédera à plusieurs arrestations et les auteurs, des dirigeants d’El Hor seront jugés et condamnés par la Cour Spéciale de Justice, un tribunal militaire siégeant en session foraine à Rosso.
Mais avec ces événements, le pouvoir semble avoir bien déchiffré le message car deux semaines seulement après le verdict de Rosso l’abolition de l’esclavage a été officiellement décrété le 5 juillet 1980, par le Comité Militaire de salut National et le 9 novembre 1981 est promulguée l’ordonnance N°81 234 portant sur l’abolition de l’esclavage sur toutes ses formes.
A souligner que le mouvement El Hor était un mouvement élitiste et il sera plus ou moins neutralisé au fil du temps par les autorités en cooptant tour à tour la quasi-totalité de ses membres actifs. Ainsi l’Administrateur Civil Messaoud Ould Boulkheir figurera dans le premier gouvernement de Ould Taya et il finira par atterrir à l’Assemblée Nationale comme président en vertu d’un accord politique, Boidiel sera l’un des piliers des pouvoirs successifs de Taya à Aziz en passant par Feu Sidi Ould Cheikh Abdallahi.
Boubakar Ould Messoud fera un passage à la tête de la SOCOGIM, Feu Mohamed Lemine Ould Ahmed dirigera le premier ministère pour la lutte contre l’analphabétisme très cher à Taya, du moins en apparence, Bila Ould Weerzeg accèdera au cercle fermé du corps diplomatique.
Ainsi le mouvement haratine sera phagocyté et noyé dans le système féodalo-ethnico-tribal en place.
Et il aura fallu attendre l’année 2008 pour que ce mouvement retrouve un nouveau souffle avec l’arrivée du tonitruant Birame Dah Abeid, un iconoclaste qui a bouleversé tous les codes.
En 2008 Birame a créé l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA-Mauritanie).
L’homme a ouvert un nouveau front de la lutte contre l’esclavage avec des méthodes qui sortent des sentiers battus et qui sont d’une redoutable efficacité. Ainsi en l’espace de quelques années seulement, l’homme a fait bouger les lignes et semé la terreur dans les rangs des esclavagistes.
Son objectif affiché : opérer une déstructuration du système en place.
Birame est coriace et ne recule derrière rien. Cette témérité lui permettra de plier un dur parmi les durs, l’ex président Mohamed Ould Abdel Aziz qui la envoyé au bagne régulièrement au cours des dix dernières années.
Entre temps Birame qui a acquis une stature internationale a concentré autour de sa personne toutes les amours et toutes les haines mais aussi toutes les convoitises.
Parallèlement sa popularité allait crescendo et en se présentant à l’élection présidentielle en 2014 il a réalisé un score qui surpasse celui des candidats issus des grands partis nationaux.
Cette tendance va se confirmer en 2019 où non seulement il réalisera la prouesse d’être élu député alors qu’il croupissait en prison, une première en Mauritanie, mais il se représentera à l’élection présidentielle où il arrivera en deuxième position avec un score frisant les 20%. Ainsi Birame s’est définitivement imposé comme étant le porte-étendard de la lutte contre l’esclavage en Mauritanie.
Son parcours du combattant entre dans une période décisive avec le début de la valse d’emprisonnement qui a débuté en 2011.
En avril 2012,Birame franchit un nouveau palier en brûlant publiquement des livres Malékites considérées comme étant des supports pour la vulgarisation d’idées esclavagistes.
Bien vrai que le mouvement IRA a connu beaucoup de défections et autres retournements commandités par le pouvoir. On a assisté à la création d’organisations et de partis politiques dissidents comme la Fondation du Sahel et le parti Ribat où on trouve d’anciens dirigeants du mouvement IRA.
Les haratines sont loin de constituer une entité à part. La question de leur identité constitue un enjeu majeur et déchaîne les passions. A priori les haratines sont assimilés à la société maure dont ils épousent la culture. Sur cette question il y a pratiquement une unanimité et les chefs historiques du mouvement El Hor comme Messaoud et Boidiel revendiquent haut et fort leur appartenance à l’ensemble maure avec ses deux composantes noire et blanche.
Et même dans le camp des faucons dirigé par Birame on ne remet pas en cause cette appartenance mais en revanche, on met en avant les inégalités criantes entre ces deux composantes censées n’en faire qu’une en mettant en exergue l’injustice historique que constitue la pratique de l’esclavage.
Mais toujours est-il que la confusion savamment entretenue de l’appartenance originelle instaure un doute permanent qui constitue un barrage contre l’unité haratine qui si elle se réalisait aboutira inéluctablement à un bouleversement historique dans le pays.
S’agissant du rapprochement de Birame avec le régime actuel c’est un acte courageux, un acte de Realpolitik qui fait suite à la main tendue du pouvoir et à l’apaisement de la scène politique.
Cela va sans doute renforcer la position de l’homme qui avance ses pions avec une dextérité digne d’un disciple de Machiavel. Ce rapprochement est positif à tous points de vue.
Cette nouvelle position du leader anti-esclavagiste va effectivement dans le sens de la convergence de points de vue et de l’unité de l’élite haratine qui affiche ses ambitions sans complexe.
Birame a bien compris le parti qu’il peut tirer d’un compagnonnage apaisé avec le pouvoir à qui il demande d’assainir le cadre politique et institutionnel : dialogue autour de la CENI, du code et de la liste électoraux, du découpage électoral, du Conseil Constitutionnel, une intégration des cadres de l’opposition dans l’administration. De tels changements si jamais ils se réalisaient bouleverseraient à n’en pas douter la carte politique du pays. C’est justement sur ce pari là que mise Birame pour faire des haratines des acteurs majeurs.
Q:Certains pensent que la Covid 19 a été un prétexte pour mettre en place un système de corruption généralisé. Est-ce vrai selon vous ?
Sur les questions liées à la gabegie et aux détournements des deniers publics nous avons aujourd’hui en Mauritanie un document de référence c’est le rapport de la Commission d’Enquête Parlementaire (CEP) qui met en exergue les tenants et les aboutissants d’une stratégie inouïe pour le pillage des richesses nationales ; des milliards se sont ainsi volatilisés du fait de la mauvaise gestion, de l’octroi opaque des grands marchés publics et l’usage immodéré des biens publics.
Parmi les constats fait des enquêteurs de la CEP on peut noter le non-respect de plusieurs dispositions légales et réglementaires ; les dysfonctionnements et les carences de l’administration étatique et des organes de contrôle ; les carences des organes de contrôle et de régulation en matière d’achat public et les carences de l’Etat dans le contrôle des sociétés du secteur public
Ainsi en guise d’exemple comme cela a été relevé en particulier dans le dossier « infrastructures », 109 contrats ont été recensés par la Commission d’Enquête Parlementaire, pour un montant total de 430 milliards MRO.
L’Etat ne pouvait pas ignorer l’ampleur des illégalités commises dès lors que plus de 89% des marchés ont été passés par entente directe.
Donc comme on le voit bien nous avons en Mauritanie des problèmes structurels dans le mode de gestion des structures étatiques et des deniers publics.
Et il va falloir du temps pour les nouvelles autorités de changer toutes les mauvaises habitudes qui sous-tendent la délinquance financière.
Le nouveau pouvoir a été immédiatement crucifié par la pandémie de la Covid qui en plus d’être un frein pour toute initiative de développement a été une aubaine, un refuge, un prétexte de choix pour justifier tous les manquements et tous les échecs.
N’oublions pas que c’est en temps de crise que les affaires en or se concluent. Donc il convient de se rendre à l’évidence, les mauritaniens ne sont pas des saints, et à l’instar de biens d’autres pays certains hauts responsables seront forcément tentés par le profit qu’ils pourraient tirer de la situation.
A ce sujet, le dernier rapport de Transparency international publié récemment classe la Mauritanie à la 134ème place ça en dit long. On n’a incriminé la gestion opaque du Fonds Covid qui avait été bien renfloué. Un audit s’impose pour nous édifier davantage de l’utilisation des fonds.
Et pendant toute cette période les marchés de gré à gré sont devenus la règle. On invoque l’urgence de la situation mais on sait bien que cette procédure est là le moyen le plus sur pour les opérations frauduleuses.
Avec la pandémie les aides ont afflué de toutes parts, des aides en liquide comme en nature et pourtant beaucoup de citoyens n’ont pas pu profiter des aides et notamment celles distribuées par l’agence Taazour qui brasse des milliards.
Propos recueillis par Chighali Mohamed