« Les kadihines qui ne connait pas ce nom qui faisait peur à certains, et suscitait l’espoir pour d’autres. Ce mouvement a mobilisé des milliers des jeunes, des femmes, et des hommes de toutes nos nationalités et s’est incrusté dans le tissu social de notre pays pour un monde meilleur, « des lendemains qui chantent ».
Cette histoire intrinsèque de notre pays a été une école de la pensée et de l’action. Peut-être …de l’Utopie.
Elle est relatée par un homme qui a vécu et a pris part à ce rêve qui continue de nos jours à stimuler encore des générations de mauritaniens pour l’unité et la cohésion sociale de notre pays. »
Quelques séquences de l’histoire du MND
Soumeida un vrai militant kadihine
1ère partie
Le camarade Soumeida fut un vrai militant kadihine, au sens de son appartenance à part entière à la mouvance kadihine de l’époque. Est juste aussi ce qu’a rapporté du regretté défunt le ministre Mohamed Vall Bellal, en considérant l’impact qu’exerçaient sur lui ses premières sources d’inspiration idéologiques. Il s’agissait d’un mélange d’opinions nationalistes arabes gauchisantes, fortement influencées par le courant d’émancipation mondial dominant qui balayait le monde entier en ce moment-là, tel un volcan en pleine irruption (opinion de Beden O Abidine).
On peut en déduire que Soumeida pourrait ne pas être qualifié de kadihine, au sens d’appartenance formelle au parti des Kadihines, qui verra le jour bien après son décès, bien qu’il fasse partie des camarades ayant posé les premiers jalons du Mouvement National Démocratique (MND) à Tokomadji, en 1968. Il s’agit de :
– feu Sidi Mohameded Soumeida
– feu Mohamed El Moustafa O Bedredine
– le poète Ahmedou O Abdelkader
– Mohameden O Ichidou
– Mohamed Ainina O Ahamed El hadi
– Beden O Abidine
Rappelons que l’idée de kadihines (au sens de masses laborieuses) était apparue au lendemain des événements de 1966 et s’était ancrée davantage, suite à la répression des travailleurs de Zoueirat.
Rappelons également que le nom kadihine fut porté par le mouvement avant la création du Parti des Kadihines de Mauritanie (PKM). De même, le mouvement de gauche dans son ensemble fut influencé par le courant marxiste.
Notons ici que le marxisme avait fourni aux sciences sociales de précieux moyens d’analyse politique, économique et sociale, en se basant sur une approche académique.
Abdelkader O Mohamed rapporte qu’après avoir envoyé la liste du groupe de Tokomadji au camarade Beden Abidine, celui-ci lui avait fait parvenir la réponse suivante :
Cher frère Abdelkader Mohamed, concernant le congrès constitutif du Mouvement Démocratique, je confirme que tout ce que vous avez noté est entièrement vrai. Toutes les personnes dont les noms figurent dans votre écrit s’étaient bien réunies dans la maison de Mohamed Ainina ould Ahmed El hady au village de Tokomadji à 60 km de la ville de Kaédi, capitale de la wilaya du Gorgol, sur la rive droite du fleuve Sénégal.
Cette rencontre historique avait eu lieu probablement entre le 1er et le 3 avril 1968. Il était prévu que le camarade Mohamedou Nagi O Mohamed Ahmed se joigne aux participants, mais son éloignement arbitraire à l’extrême est du pays l’en avait empêché. Le régime de l’époque recourait fréquemment aux mesures coercitives contre ses opposants, y compris les mutations arbitraires dans des zones reculées du pays. Dans ce cadre, Mohamedou Naji avait été muté à Bousteyla, encore petite bourgade sur les frontières avec le Mali, à quelques 80km de l’arrondissement de Timbedra. Entravé par les difficultés d’un long voyage, il se trouvait encore à Kiffa au moment où ses camarades achevaient la rencontre de Tokomadji. Il sera amplement informé des décisions finales, notamment l’insistance des congressistes sur l’unité nationale et les détails de la nouvelle orientation. Il accompagnera, aux premières lignes, ses camarades dans la longue marche qu’ils allaient entamer ensemble à partir de cet instant.
Les mutations arbitraires dans les coins les plus reculés de notre vaste pays et leurs fâcheuses conséquences frappaient également les deux distingués camarades, feu Mohamed El moustafa O Bedredine et le poète Ahmedou O Abdelkader (à qui nous souhaitons prompt rétablissement), mais ceux-ci avaient rejoint à temps la réunion de Tokomadji. Le premier venait du village de Ghabou et le second de celui d’Ajar, là ou il avait écrit son célèbre poème : « Une nuit et un jour dans le musée de l’Histoire » (1). Les deux villages sont situés dans la wilaya du Guidimagha. Maître Mohameden O Ichidou, une autre célébrité du mouvement MND, avait regagné Tokomadji à partir de Kiffa, la capitale de la région de l’Assaba.
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(1) ليل ونهار في متحف التاريخ
2ème partie
Quel rapport le groupe fondateur de Tokomadji avait-il avec le courant nationaliste arabe et comment s’était opérée sa mutation en mouvement démocratique mauritanien ?
J’ai posé cette question au camarade Beden qui, comme nous l’avons déjà souligné ci-dessus, fut l’un des membres fondateurs de Tokomadji. Il a répondu comme suit :
« À l’époque, les nationalistes arabes, même en Égypte, étaient organisés dans des structures complètement clandestines. Ils considéraient l’Égypte et sa révolution comme la Kaaba de la liberté, en dépit des poursuites et de la répression féroce dont ils faisaient l’objet de la part de l’État nassériste égyptien.
Sur le plan idéologique, nous étions liés aux dirigeants de ce courant à travers un périodique intitulé « Elhouriya » installé à Beyrouth, en plus d’autres liaisons clandestines par l’intermédiaire des camarades, via le mouvement général des nationalistes arabes.
Cependant, nous menions notre activité militante intérieure en Mauritanie d’une façon indépendante, sans aucune ingérence de nos collègues du Proche Orient. Nous mettions l’accent sur la défense de l’arabité de « Bilad Chinguit » et la demande persistante de l’officialisation et l’élargissement de l’enseignement de la langue arabe par le régime du président Mokhtar O Daddah.
Pour atteindre cet objectif, on s’appuyait sur le syndicat des enseignants arabes, mené par feu Mohamed El moustafa O Bedredine, Mohamedou Naji O Mohamed Ahmed et le poète Ahmedou O Abdelkader. Ce dernier n’avait cessé d’illustrer et de graver dans les consciences nos objectifs, à travers les meilleures séquences de sa production littéraire.
Je me rappelle avoir lu dans le périodique « Elwaghiou » (réalité), publié par le syndicat arabe et dirigé avec grand talent à l’époque par le camarade Mohamedou Naji, une série de courts et passionnants récits écrits par le camarade Ahmedou Abdelkader. L’un de ces récits racontait l’histoire d’un diable, d’une apparence horrible et d’une voix terrifiante. Il volait dans les cieux à l’aide de deux gigantesques ailes. A chaque fois qu’il survolait une ville, il se mettait à écouter attentivement. S’il entendait les appels des muézins et le parler arabe, il manifestait une grande joie et restait le maximum de temps à planer au-dessus.
Dans le cas contraire, si ses oreilles étaient brouillées par le parler français, il se fâchait puis se pressait pour s’éloigner de cet espace indésirable, en comblant les habitants de la ville concernée d’invectives et d’insultes.
En ce temps, nous avions aussi un magazine du nom de « Mouritania Elvetat » (Jeune Mauritanie). Il était rédigé et édité par le camarade, l’homme de lettres et poète Mohameden O Ichidou. Sa ligne éditoriale était d’obédience nationaliste arabe. Une fois, dans une nuit d’été, j’ai visité avec Ichidou une maison en banco au toit en zinc, une bâtisse d’une modestie frappante et en même temps d’une valeur inégalée, puisqu’elle abritait un militant historique exemplaire : feu Bouyagui O Abidine. Nous étions entrés dans la maison par une porte ouverte tout le temps à tout visiteur, sans aucune discrimination. L’homme qui était connu pour sa remarquable hauteur morale nous reçut avec beaucoup d’égards.
Après les salutations d’usage, il nous informa que le lieu avait fait l’objet la nuit précédente d’un cambriolage systématique de la part de la police du régime néocolonial. « Ils ont volé », a-il dit, les appareils d’impression et de tirage qui se trouvaient dans le bâtiment. Bouyagui utilisait ce matériel pour imprimer son propre périodique du nom de « Saout Echaab » (la voix du peuple). Il s’en servait pour s’en prendre de façon acerbe aux rapports qu’entretenait le régime mauritanien avec l’ancienne puissance coloniale.
« Les pauvres, disait-il, « ne savent pas que je suis en mesure de compenser tout ce qu’ils ont volé en un clin d’œil, uniquement avec le prix de quelques-uns de mes nombreux moutons blancs ! ». Après avoir écouté de précieux conseils du regretté Bouyagui, nous lui avions demandé une machine de tirage pour la publication d’un numéro de notre « Mouritania Elvetat ». Il nous l’avait offerte aussitôt et avec grande joie.
Retournons au climat de la réunion de Tokomadji. Si je me rappelle bien, le Moyen Orient demeurait affecté par les conséquences destructrices de la déroute des pays arabes dans la guerre de 1967. Ce fut une catastrophe pour le courant nationaliste arabe. Partout dans le monde, de profondes révisions s’en suivirent. Sous l’influence du périodique militant « Elhouriya » on était plutôt plus proche des nationalistes arabes palestiniens.
L’intérieur du pays connaitra une recrudescence sans précédent des luttes des élèves, étudiants et travailleurs. L’ampleur du rôle de ces derniers sera couronnée par la grève générale à la société des mines de Mauritanie (MIFERMA). Grève qui fut noyée dans le sang à la fin de mai 1968, avec plus d’une dizaine de morts et de nombreux blessés.
A la mémoire des victimes, le poète Ahmedou Abdelkader composa son célèbre poème « Rissalet Elaajouz » ou lettre de la vieille femme. A l’aide d’une fibre romantique émouvante, Chaèr Ahmedou, décrit l’image de cette vielle femme, le cœur meurtri, pleurant son fils tué avec traitrise au cours de ce qu’il était désormais convenu d’appeler « les événements sanglants de Zoueirat » ou « le massacre de Zoueirat ». Une lettre que la vieille adressait au « chef suprême du pays », sans savoir si réellement elle aura une réponse appropriée à sa douloureuse question.
Peut-être la réponse allait-elle émerger au fil des démarches pressantes de concertations initiées par le groupe des fondateurs avec les divers groupes d’opposition au régime, en vue de réunifier l’ensemble des courants d’opposition nationale et les forces vives du pays. Le mot d’ordre consensuel sera : « Medou leydine lel kadihine » (tendez les mains aux militants du mouvement national naissant).
3ème partie
Début de la coordination avec les autres courants politiques
Certains commentateurs pensent que le camarade Beden n’a pas répondu à la question centrale soulevée dans la partie précédente, concernant l’attitude du groupe de Tokomadji vis-à-vis du nationalisme arabe. Je pense (et c’est peut-être le point de vue des kadihines) qu’il a brillamment répondu à la première partie de la question relative au rapport entre le groupe de Tokomadji, groupe fondateur du MND, et le courant nationaliste arabe. Il avait démontré l’influence de l’idéologie nationaliste de gauche sur l’ensemble des membres du groupe et leurs activités.
S’agissant du point de vue exprimé par son excellence le ministre Mohamed Vall O Bellal à propos de l’appartenance originelle du camarade Soumeydaa au courant nationaliste arabe, le camarade Beden Abidine y adhère entièrement. C’était au temps où l’appartenance se référait aux principes et non pas aux personnes.
Le ministre Bellal donne son témoignage sur les rapports si étroits qui existaient entre les camarades Beden et Soumeydaa, à partir d’une position privilégiée, puisqu’il avait cohabité pendant une longue période avec le camarade Soumeydaa à l’université de Dakar. Il en ressort que les deux militants du mouvement patriotique naissant furent parmi les premiers à mener une action de coordination entre les membres du groupe fondateur de Tokomadji et d’autres courants et personnalités patriotiques…
Le camarade Beden avait rappelé le contact établi par lui et Ould Ichidou avec Boyagui O Abidine, le chef du parti Nahda. Celui-ci constituait une référence historique pour le mouvement MND dans sa lutte patriotique. On pouvait facilement le constater dansà travers les traditions culturelles du mouvement à la fin des années 70.
Probablement, le contact entre Boyagui et Ichidou-Beden avait marqué une sorte de tournant, un point de rupture avec le courant nationaliste arabe et la naissance, sous divers facteurs endogènes et exogènes, d’un nouveau courant de pensée qui portera le nom de Mouvement National Démocratique (MND).
On peut considérer que le MND a été le produit d’un certain nombre de facteurs conjugués, notamment l’impact des événements raciaux de 1966, la défaite militaire des armées arabes en 1967 et la répression sanglante de la grève des ouvriers des mines à Zoueirat en 1968. Juste après la réunion de Tokomadji, le mouvement était parvenu à la conclusion qu’il fallait se mettre immédiatement à l’œuvre et prendre contact avec tous les courants d’opposition au régime pour constituer le front le plus large.
La première cellule de concertation fut constituée des camarades :
– Ladji Traoré du Parti de Travail de Mauritanie (PTM), ayant pour adjoint Bâ Abdoul Ismaila ;
– Feu Youba O Cheikh Elbenani pour le groupe Libération, secondé par Dr Moustafa Sidatt ;
– Beden O Abidine, représentant du groupe de Tokomadji, en coordination avec d’autres groupes.
Cette concertation aboutira peu après à l’intégration des deux premiers groupes au Parti des Kadihines de Mauritanie (PKM).
Cette fusion au sein du PKM, avait été précédée de multiples formes de lutte coordonnée et de coopération entre les différents groupes partenaires, tant au niveau syndical, scolaire et estudiantin qu’au niveau populaire.
Très tôt, des structures mixtes d’action régionale et sectorielle avaient vu le jour. Elles s’occupaient au quotidien de l’encadrement et de l’orientation des luttes sur le terrain : grèves, manifestations, distribution de tracts et de publications, ainsi que les graffitis et inscriptions murales.
Parmi ces structures, on peut citer le Comité d’Action Révolutionnaire Local (CARL) à Nouakchott, avec des instances équivalentes couvrant l’ensemble des régions du pays, à l’exemple du Comité d’Action Révolutionnaire du Nord (CARN) pour les quatre régions du nord : Nouadhibou, Tiris Zemmour, Adrar et Inchiri.
4ème partie
Début de la coordination avec les autres courants politiques
Certains commentateurs pensent que je n’ai pas répondu à la question centrale soulevée dans la partie précédente, concernant l’attitude du groupe de Tokomadji vis-à-vis du nationalisme arabe. Je pense (et c’est peut-être le point de vue des kadihines) que j’ai bien répondu à la première partie de la question relative au rapport entre le groupe de Tokomadji, groupe fondateur du MND, et le courant nationaliste arabe. J’ai démontré l’influence de l’idéologie nationaliste de gauche sur l’ensemble des membres du groupe et leurs activités.
S’agissant du point de vue exprimé par son excellence le ministre Mohamed Vall Ould Bellal à propos de l’appartenance originelle du camarade Soumeydaa au courant nationaliste arabe, j’y adhère entièrement. C’était au temps où l’appartenance se référait aux principes et non pas aux personnes.
Le ministre Bellal donne son témoignage sur les rapports si étroits qui existaient entre moi et feu Soumeydaa, à partir d’une position privilégiée, puisqu’il avait cohabité pendant une longue période avec ce dernier à l’université de Dakar. Il en ressort que les deux militants du mouvement patriotique naissant furent parmi les premiers à mener une action de coordination entre les membres du groupe fondateur de Tokomadji et d’autres courants et personnalités patriotiques…
J’avais rappelé le contact établi par Ould Ichidou et moi avec Bouyagui Ould Abidine, le chef du parti Nahda. Celui-ci constituait une référence historique pour le mouvement MND dans sa lutte patriotique. On pouvait facilement le constater à travers les traditions culturelles du mouvement à la fin des années 70.
Probablement, le contact entre Bouyagui, Ichidou et moi avait marqué une sorte de tournant, un point de rupture avec le courant nationaliste arabe et la naissance, sous divers facteurs endogènes et exogènes, d’un nouveau courant de pensée qui portera le nom de Mouvement National Démocratique (MND).
On peut considérer que le MND a été le produit d’un certain nombre de facteurs conjugués, notamment l’impact des événements raciaux de 1966, la défaite militaire des armées arabes en 1967 et la répression sanglante de la grève des ouvriers des mines à Zoueirat en 1968. Juste après la réunion de Tokomadji, le mouvement était parvenu à la conclusion qu’il fallait se mettre immédiatement à l’œuvre et prendre contact avec tous les courants d’opposition au régime pour constituer le front le plus large.
La première cellule de concertation fut constituée des camarades :
– Ladji Traoré du Parti de Travail de Mauritanie (PTM), ayant pour adjoint Bâ Abdoul Ismaila ;
– Feu Youba O Cheikh Elbenani (paix à son âme) pour le groupe Libération, secondé par Dr Moustafa Sidatt ;
– Beden O Abidine, représentant du groupe de Tokomadji.
Cette concertation aboutira peu après à l’intégration des deux premiers groupes au Parti des Kadihines de Mauritanie (PKM).
Cette fusion au sein du PKM, avait été précédée de multiples formes de lutte coordonnée et de coopération entre les différents groupes partenaires, tant au niveau syndical, scolaire et estudiantin qu’au niveau populaire.
Très tôt, des structures mixtes d’action régionale et sectorielle avaient vu le jour. Elles s’occupaient au quotidien de l’encadrement et de l’orientation des luttes sur le terrain : grèves, manifestations, distribution de tracts et de publications, ainsi que les graffitis et inscriptions murales.
Parmi ces structures, on peut citer le Comité d’Action Révolutionnaire Local (CARL) à Nouakchott, avec des instances équivalentes couvrant l’ensemble des régions du pays, à l’exemple du Comité d’Action Révolutionnaire du Nord (CARN) pour les quatre régions du nord : Nouadhibou, Tiris Zemmourde l’inchiri et le CAR de Rosso.
Sayhat El Madhloum
Il apparaissait de plus en plus pressant d’éditer, au plus vite, une publication qui couvre l’ensemble de nos préoccupations pour servir de porte-parole rassembleur des Kadihines, dès lors que le mouvement prenait de l’ampleur et devenait incontournable sur la scène nationale.
L’urgence d’une telle initiative fut aussi dictée par la disparition subite de notre très cher militant d’avant-garde, le camarade Soumeydaa. Avec sa disparition s’éteignait aussi sa publication « Elkivah » (le combat) qu’il n’avait cessé de dispatcher sur tout le territoire national, à partir de sa chambre à l’université de Dakar, au Sénégal. Les idées progressistes du mouvement essaimaient avec une rapidité vertigineuse au sein des différentes couches de notre peuple, notamment les segments les plus sensibles comme les jeunes, les femmes et tous ceux qui avaient souffert ou souffraient encore de l’esclavage.
La publication envisagée devait servir d’espace d’information et d’échange sur les succès continus remportés par la lutte de notre peuple. Elle devait également mettre en valeur le courage dont faisait preuve sa jeunesse militante face à la machine de torture et de répression du régime de l’époque.
C’était ainsi que le 7 janvier, date de la disparition du regretté Soumeydaa, et le 29 mai, date du massacre des ouvriers de Zoueirat, furent proclamées par le mouvement fêtes nationales. A chaque fois, au niveau national et régional, les autorités étaient assaillies par des manifestations multiples. Le premier comité de rédaction de Sayhat El Madhloum fut constitué d’une élite d’avant-garde composée des camarades suivants :
– le poète Ahmedou Abdelkader (à qui nous souhaitons prompt rétablissement)
– Yeslem Ebnou Abdem (à qui nous souhaitons également prompt rétablissement)
– Mokhtar O Haye (à l’époque rédacteur au journal officiel Echaab, organe du Parti du Peuple Mauritanien au pouvoir).
Après la publication du premier numéro, un homme de lettres et plume de qualité était venu renforcer l’équipe de rédaction. Il s’agissait de Vadel Ould Dah, futur ministre.
Le mensuel Sayhat El Madhloum abordait tous les sujets d’intérêt national, surtout ceux en rapport avec les conditions de vie des populations. Il dénonçait toutes les formes de répression et de torture qui frappaient les militants et sympathisants du mouvement, ou toute autre victime de l’arbitraire du régime.
Parmi les toutes premières publications de S E M, je me rappelle toujours d’un article que je n’arrive jamais à effacer de ma mémoire, son titre : un ministre négrier (nakhass) qui veut dire en langue arabe : vendeur de bêtes et d’esclaves ! Il s’agit d’un récit poignant se rapportant à l’achat, au vu et au su de tous, d’une belle jeune esclave par un ministre du gouvernement de l’époque, alors que la constitution de notre pays interdisait déjà l’esclavage et par conséquent le commerce des esclaves. Le sujet de l’esclavage et la nécessité de traiter tous nos citoyens sur un pied d’égalité était très présent dans notre action quotidienne. Feu le grand militant de première heure, Me Mohamed Cheine O Mouhamadou(paix à son âme), ne cessait de chanter des thèmes illustrant parfaitement cette orientation. « Ana guidak ounta guidi mani abdek oulanak abdi », littéralement : nous sommes tous les deux égaux, tu n’es pas mon esclave et je ne suis pas ton esclave ! Ainsi chantait souvent feu Med Cheine !
La publication des premiers numéros de Sayhat El Madhloum s’était déroulée dans des conditions extrêmement difficiles. Avec son effectif si réduit, le comité de rédaction, animé d’une volonté inébranlable, avait réussi à assurer à la fois la rédaction du journal, son impression, son tirage, sa reliure, son transport et sa distribution sur tout l’immense territoire national !
Pour mémoire, et par fidélité au devoir et à l’histoire, je tiens à rappeler ici le rôle combien précieux, inestimable, d’un certain nombre de camarades, de vrais soldats inconnus, des héros de grande valeur, dont certains sont décédés. Parmi les regrettés disparus citons : feus Isselmou Ould Sidi Hamoud, Yahya Ould Omar et Elkhalil Sidi Mhamed (l’ancien dirigeant au Polisario (paix à leurs âmes)
Ensemble, ils fournissaient un appui indispensable au comité de rédaction. Puis, petit à petit, leur mission s’élargissait en une structure aux tâches multiples : assurer la sécurité des réunions des instances dirigeantes du mouvement, offrir des cachettes sécurisées aux militants poursuivis par la police, en plus de la distribution du courrier. Il leur revenait également le rôle de garantir la diffusion régulière de Sayhat El Madhloum.
Pas une seule fois, un numéro du journal ni l’une de ses planques, n’était tombé entre les mains de la police, jusqu’à son arrêt volontaire, décidé dans le cadre d’un accord avec le régime du président Mokhtar paix à son âme. Ce sera le sujet d’un autre récit, avec ses tenants et aboutissants.
16ème partie
Cette fois-ci nous vous présentons quelques souvenirs exceptionnels de l’un des dirigeants de notre mouvement qui avait tout donné, ayant sacrifié la prime de sa jeunesse à la cause des plus démunis. Ahmed Salem Elmoctar-Cheddad, bravant les privations de toutes sortes et l’exclusion presque délibérée de tous les régimes qui se sont succédé sur notre pays, il n’a cessé de défendre scrupuleusement les principes fondamentaux le plaçant en permanence du côté des plus nécessiteux, toujours attentif et à l’écoute des cris des opprimés.
Son livre, publié en arabe et en français, sous deux titres évocateurs (« ce que je pense avant de tout oublier » en français et « avant d’être submergé par l’oubli » : littéralement en arabe), traduit parfaitement, à travers les nombreux souvenirs relatés, cet attachement quasi grégaire aux intérêts des masses laborieuses, les masses des kadihines de condition et de situation.
On peut être d’accord ou non avec les idées et informations évoquées par l’auteur, il n’en demeure pas moins que celui-ci a apporté une contribution substantielle à l’histoire et au patrimoine culturel de notre pays et de son peuple.
Après lecture attentive on se rendra compte rapidement que c’est un ajout appréciable à l’interrogation des événements contemporains dans ce pays.
Passons sans tarder à l’un des précieux témoignages du camarade Ched.
(Beden O Abidine)
En 1972
Comment échapper de justesse aux griffes de la police après les griefs du régime
Après un renvoi définitif pour fait de grève la vie scolaire s’arrêta net pour moi. Une nouvelle ère commença : l’ère du professionnalisme politique. Juste après mon renvoi on me conseilla d’aller au nord comme appui aux ouvriers, notamment ceux de la MIFERMA à Zoueiratt et Nouadhibou.
L’embarquement immédiat
Après quelques heures de divagation à Zoueirat, j’embarquai sur un wagon plein de minerai en direction de Nouadhibou. Je n’étais pas seul dans ce périple pas comme les autres. Je n’étais pas non plus seul sur le dos du plus long et plus lourd train du monde, comme nos enseignants nous avaient appris.. Malheureusement ce qu’ils ne nous ont pas appris était que l’objectif derrière la conception pour notre pays d’un train si exceptionnel n’était autre que le pillage systématique et dans les meilleurs délais de notre montagne de fer..
Des centaines de voyageurs, hommes et femmes et même des enfants de tous âges, se bousculaient avec des milliers d’animaux domestiques notamment les ovins et caprins venant des points les plus reculés du pays. Ils transportaient des centaines de tonnes de marchandises et de matériel divers. Tous se rassemblaient dans les rares points destinés à des escales techniques du fameux train de la nation.
Le conducteur, se trouvant à un à deux quelques kilomètres des lieux d’attroupement, n’est point au courant de ce qui se passe derrière lui. Juste à chaque point de l’arrêt pour l’escale technique le train se voit pris d’assaut par des passagers non programmés, leurs bêtes et leurs bagages. On se presse à escalader les wagons bombés du minerai brut et poussiéreux. Le plus chanceux réussit le premier à monter dessus avec tous ses biens.
Le malheureux est celui qui réussit son ascension en laissant derrière lui une partie ou tout ce qu’il possédait, que quelqu’un d’autre devrait lui les livrer à bord. Il arrive que le train démarre alors que celui-là ou celle-là laissa derrière elle ses biens et parfois son ou ses enfants ou l’inverse : des biens ou des enfants à bord alors que leurs parents sont restés au point d’embarquement.
Ce bolide entièrement en acier comme sa cargaison n’est point au courant de ce qui se passe sur son dos. Son retour vide de Nouadhibou est généralement plus éprouvant. Les gens, leurs animaux et leurs biens et parfois leurs repas et leurs matériel de thé sur leurs réchauds à gaz, le tout s’emballait dans tous les sens du wagon, sens dessus ou dessous. Le grand champion serait celui qui réussit à garder son repas ou son thé indemne au moment où lui-même est complètement renversé sur sa tête ou sur son dos. A l’allée et au retour le voyage prend pas moins de 12 heures de temps.
La retrouvaille
A Nouadhibou je retrouvai mon ami Mohamed O. Mohamed Lemine dit Nnami et des parents, anciens commerçants au Sénégal, à la recherche du travail. Ils logeaient chez feu Elemine O. Ssalem, le seul parent travaillant à la Miferma. Parmi eux son ami intime feu Bani, futur sous-officier de la garde. J’habite avec Nnami dans une baraque au milieu d’un bidonville s’étendant le long du chemin de fer dans le quartier Elghirane. Nnami travaillait à la Samma au port de commerce de Nouadhibou.
J’aime lui rendre visite sur le lieu de travail. J’en profitais souvent pour consommer avec lui quelques bouteilles de lait importé dans les entrepôts de la société. Une forme de vol à peine camouflée. Déjà on considérait les biens des bourgeois comme étant volés au peuple. « La propriété c’est le vol », disait le philosophe français Proudhon au début de l’ère industrielle. Mon séjour à Nouadhibou sera de courte durée. Je cherchais timidement du travail. Je me suis surtout mis à organiser les jeunes chômeurs.
La rafle
Une fois, on m’arrêta avec une dizaine d’entre eux. Je présidais une réunion dans une chambre lorsque la police nous rafla.
Arrivé au commissariat, on nous présenta un à un au commissaire Sarr Demba dans son bureau. Celui-ci affichait beaucoup de souplesse à mon égard, alors qu’il était dur dans l’interrogatoire de mes amis. Tout indique qu’il me prenait pour le meneur du groupe. Mon statut d’ancien élève renvoyé pour fait de grève le renforcerait dans cette conviction. Les noms et les identités des élèves renvoyés furent distribués à tous les commissariats de police et brigades de gendarmerie du pays, ainsi qu’aux personnels des principales entreprises avec consigne de ne pas les embaucher.
On nous délivra des certificats de scolarité cachetés à l’encre rouge comme consigne pour nous barrer la route du travail. Sans s’en rendre compte on nous livrait ainsi corps et âme à l’opposition politique la plus radicale
A l’époque on aimait citer un proverbe tiré de la littérature révolutionnaire chinoise qui dit que « certains réactionnaires se comportaient comme des idiots : ils soulèvent des pierres pour les laisser tomber sur les pieds ». La même pratique idiote demeure aujourd’hui chez la plupart de nos gouvernants.
La décision
Je pris la décision de fuir. Au commissariat on enleva à chacun de nous l’un de ses principaux habits, souvent le boubou ou le pantalon. On m’enleva ce dernier. On vida aussi la poche de chacun. De même on nous confisqua nos montres lorsqu’on en avait une. C’était mon cas.
Dans le PV on notait tout ce qu’on nous prenait. Pour mettre en confiance les policiers chargés de nous surveiller, je les ai habitués à aller et revenir des toilettes sans surveillance. Celles-ci sont situées juste près de la porte d’entrée. Un policier du nom de Sidi Ould Yahi, célèbre dans la répression à Nouakchott, passa la journée à réparer sa voiture devant la porte d’entrée du commissariat. Sa présence constituait la principale difficulté pour mon projet d’exécuter ma décision de fuir. On nous amena un bon déjeuner. Je ne me rappelle plus d’où. On le partagea avec les policiers.
Ould Yahi resta près de sa voiture jusqu’à l’après-midi, le retour des policiers qui profitaient de la journée de travail encore discontinue pour se reposer chez eux. Les gens ayant des problèmes à régler au commissariat furent aussi de retour. Je changeais de tactique.
Il fallait profiter de la confusion provoquée par les va-et-vient permanent de personnes pour prendre le large. Ce que je fis : je sortis le plus normalement, je pressai le pas pour contourner le bâtiment du commissariat. Je m’engouffrai entre un groupe de maisons pour disparaître.
Je rentrai derrière la ligne de chemin de fer située à quelques mètres de la frontière avec le Sahara espagnol. Aucun policier mauritanien n’osait s’aventurer ici. La nuit venue je me faufilais entre les baraques jusqu’à chez Nnami. Sa baraque, on l’appelait Hondat, du nom d’un gite clandestin dans les récits vietnamiens très en vogue en ces moments.
La débandade policière
Tout Nouadhibou se mit en branle, depuis que la police avait signalé ma disparition. Les policiers furent aidés par un faux parent qui déclara à la police que j’étais son esclave et qu’il s’engageait à les accompagner jusqu’à mettre la main sur moi. Les policiers fouillaient partout, notamment chez le parent Elemine, à la cité Cansado, qui pour l’occasion admonesta le faux parent pour son forfait. Celui-ci va orienter la police chez Nnami à la Samma.
Ce dernier eut juste le temps de disparaître avant la descente policière. Il perdra pour de bon son emploi. Je le retrouvais devant moi à Hondat. La ville est quadrillée. La gare routière, l’aéroport et le train minéralier furent strictement surveillés. Les bus et les taxis sont arrêtés et minutieusement fouillés.
Pour passer entre les mailles du filet il fallait attendre une semaine sous la protection de Mohamed O. Salek dit Baypekha, nom d’un comédien Sénégalais. À l’aide de ce fidèle et particulièrement amusant ami, habillé en convoyeur, je réussis à emprunter le train minéralier jusqu’à Choum. Je regagnais Nouakchott sans difficultés.
Nnami et moi, nous serons condamnés par contumace par le tribunal de Nouadhibou pour deux mois de prison ferme. Ce délai sera réduit d’un quart suite à une réduction officielle de peines proclamée au cours de l’une des célébrations de l’anniversaire de l’indépendance nationale. Le reste sera totalement épongé après l’amnistie politique de 1975.
En 1976, habitant la Medina(3), où j’étais en famille, de petits événements me rappelèrent l’incident du Commissariat de Nouadhibou. Chez moi, constituait un lieu de rendez vous de nombreux jeunes, une sorte de Mecque de la jeunesse Nouakchottoise.
Sans exagérations, on discutait, autour du thé, vingt quatre heures sur vingt quatre, sans interruption. Il m’arrive de me dérober tard dans la nuit pour dormir le reste de la nuit chez mon ami Mohamed Lemine O. Heyine à la Medina G. Souvent on débordait sur d’autres sujets de l’actualité politique. Mais des fois, aussi on discutait d’autres sujets. Une fois on se mit à exhiber les montres.
La Seiko 5
Un jeune inconnu, accompagnant un ami, leva son bras pour nous montrer sa montre : une vieille Seiko 5, mais demeurant en bon état. Je reconnus aussitôt ma montre confisquée par la police de Nouadhibou en 1972. Je lui demandai de me dire franchement comment il s’était procuré cette montre. Il me dit que c’était son grand frère policier qui servait à Nouadhibou qui la lui avait donnée.
Je lui ai alors rappelé ma mésaventure de Nouadhibou avant de le rassurer et de lui dire que du moment qu’elle m’appartenait toujours, je lui en faisais don. Elle m’était offerte par mon oncle Deyna, lors de l’une de mes visites au Sénégal.
Une autre fois je me suis trouvé en face du brigadier de police qui était chargé de nous surveiller à Nouadhibou. C’était dans une rue, en plein jour, toujours à la Medina (3).
Je me trouvai face à face avec Mohamed Salem ou Mouhaimed Salem (le diminutif de son nom) ainsi l’appelaient les gens de Nouadhibou. Il me dévisagea avec une attention particulière comme s’il venait de découvrir son père qui serait décédé depuis. Je le regardai à mon tour sans le quitter du regard. Il baissa les yeux avant de disparaître. C’était presque deux ans après l’amnistie totale dont j’avais bénéficié.
De l’histoire des kadihines
18ème partie
Par Ahmed Salem Elmoktar Chedad
L’aventure d’Akjoujt (suite)
L’arrestation de notre dernier agitateur
L’arrestation de Salek Elhaj Mokhtar, bien qu’il vive en clandestin, nous posait de sérieux problèmes dont principalement des problèmes d’encadrement de nos structures. J’aurai à assumer seul cette tâche. J’aurais aussi à assurer seul la rédaction de notre publication locale, Jeunesse Ouvrière « J.O.) ». Ce genre de publications fut recommandé par la direction. Il consiste en une série d’articles écrits à la main sur papier journal sous forme d’un périodique, généralement un hebdomadaire ou un mensuel. La mise en forme finale est confiée au jeune Elboukhari O Elmouemel tenant compte de la forme de sa belle écriture, . Il en existait dans presque toutes les grandes villes. Des militants du mouvement ont initié des publications pareilles dans de nombreuses zones rurales.
L’arrestation et le transfert d’Elboukhari à la prison de Beyla eut lieu juste après. Elle nous crée notre plus grand problème. Elboukhari est, en effet, notre dernier activiste en mesure de prendre la parole dans les meetings initiés par les autorités destinés à fustiger le mouvement.
Ces meetings servent en réalité de guet-à-pens pour inciter nos meilleurs éléments à s’exprimer afin de les arrêter pour enfin les incarcérer à Beyla conformément au plan du ministère de l’intérieur. Notre tactique était : en aucun cas on ne devait leur laisser le champ libre pour leur propagande contre nous. La confrontation était donc inévitable. Tout le pays vivait une situation critique.
Une solution ultime de sauvetage
Après Elboukhari, on fut complètement désarmé. Pour tester peut être nos moyens, au lendemain de son arrestation, les autorités d’Akjoujt, programmèrent un nouveau meeting. Il a fallu se creuser immédiatement les méninges pour trouver rapidement une solution de rechange. Je convoquai le jeune feu Ahmed O Sidi, cousin proche d’Elboukhari.
Je lui brossai en quelques mots la situation dramatique que nous vivions. Aussi bien lui, que son très jeune cousin Taleb Khyar, leur courage est déjà mis à l’épreuve. Taleb Khyar, 12 ans à 13 ans, à peine et Ahmed O. Sidi, aux environs de 15 ans ; une fois on les arrêta au cours d’une opération de graffitis. On les amena à Nouakchott pour les soumettre à des tortures inhumaines. Ahmed O. Sidi s’était vu arracher les ongles à l’aide d’une pince. Taleb Khyar fut le plus jeune détenu.
Amnesty International, qui venait de voir le jour à Londres, au cours d’une visite à Nouakchott, soulignera leur cas dans plusieurs déclarations condamnant les tortures dans les geôles mauritaniennes. Le jeune Ahmed O. Sidi sera emporté un peu après par un cancer dont la survenue ne serait peut-être pas étrangère aux tortures subies. Il était élève en première année à l’ENI de Nouakchott.
J’avais détaillé à Ahmed O. Sidi mon plan d’action visant à garder l’initiative des événements entre nos mains. Je lui avais expliqué d’abord qu’on n’avait pas besoin de lui dans la clandestinité. Qu’il devait se préparer pour dormir à Beyla dans les 24 heures qui suivent. Le meeting au cours duquel il fut convié à parler était organisé par un célèbre notable dont le rôle dans la gestion des affaires politiques venait en deuxième position après celui du Hakem (bien avant celui du Hakem et même celui du représentant du parti PPM.
La sagesse d’un notable
Il s’agissait de Mohamed O. Mohamed Vall(à qui nous souhaitons longue vie) appelé couramment Azram, nom d’esclave noir, pour son teint noir foncé, malgré son appartenance à une grande famille Kounta. Azram, en plus de son titre de chef des milices, est aussi chef de la section du PPM à Adabaye, le principal quartier traditionnel d’Akjoujt. Le meeting était programmé à 17 heures devant sa maison au cœur d’ Adabaye.
J’expliquai à Ould Sidi qu’il devait faire l’impossible pour surmonter sa timidité et surprendre tout le monde par un vrai « Discours de la méthode ». « Il faut faire remuer Descartes dans sa tombe », lui recommandai-je. Le succès de cette phase permettra d’exécuter facilement la phase suivante. Je lui ai précisé : « Si tu réussis à attirer la sympathie du public présent et à le retourner contre les autorités, il sera difficile à celles-ci de t’arrêter sur le champ ».
Il faut profiter du temps des interventions qui suivront pour disparaître », concluais-je. Je prévoyais qu’après un tel succès, il était peu probable que les autorités donnent l’ordre pour son arrestation en plein meeting, dans le cas où on avait réussi à retourner le public en notre faveur. Comme je suis publiquement inconnu, j’ai assisté à ce fameux meeting de Azram.
Ce fut parfait : les choses se déroulèrent sans faute. Ces différentes phases réussies, nous passâmes à la phase supérieure. Après un début d’approbation du discours officiel, avec l’intervention d’Ahmed, le meeting se transforma en rassemblement de l’opposition. La phase suivante consista à ce qu’Ahmed O. Sidi, qui serait déjà follement recherché, rende visite à Azram chez lui !
Ici, je lui explique que cet Azram là, ne connaît absolument rien de nous. Je suis convaincu, précisai-je, qu’il croit profondément au discours officiel qui nous est hostile.
« Ta visite a pour but, non pas de le convaincre, mais uniquement de le démobiliser, même provisoirement » ajoutai-je à Ahmed : « d’abord par l’effet de surprise provoqué par la visite, ensuite par lui présenter une image de nous radicalement différente de celle véhiculée par les agents du régime », lui dis-je. Je lui détaillais le plan du discours.
Le mouvement MND prônait en ce moment une politique de dialogue sous forme d’un programme en cinq points. Le jeune était déjà largement imprégné de ça. Il était axé sur les libertés politiques, les réformes économiques, la réforme de l’enseignement et le soutien au peuple Sahraoui dans sa guerre de libération de la colonisation espagnole. Il devrait aussi informer Azram, que notre mouvement bénéficiait d’un très large soutien, national et international.
De grands érudits, d’éminentes personnalités religieuses, comme elmarhoum Mohamed Salem Ould Addoud, comptent parmi ses sympathisants. Ce dernier refusant toujours de prendre position contre nous. Ahmed Ould Sidi devrait faire peau neuve. Ahmed devrait, pour l’occasion, se raser, se baigner et s’habiller plus correctement.
Je lui expliquais enfin que nous serions confrontés à deux éventualités. La première, était la moins probable pour moi, était qu’Azram le dénonce et procède de lui-même à son arrestation. Dans ce cas de figure, il commettrait une gaffe en arrêtant quelqu’un de surcroit natif du lieu qui était venu chez lui demander tout simplement à discuter avec lui sur les affaires de leur pays commun.
Je lui ai rappelé alors qu’il était aussi peu probable qu’Azram, agisse de la sorte, considérant son appartenance à une grande tribu, les Kounta, connue pour leur grand sens de l’honneur et leur grand orgueil. Azram ne pouvait surtout pas ignorer que le jeune Ahmed est profondément enraciné dans la population et le terroire akjoujoutois. Ses parents habitent d’ailleurs dans le même quartier Adabay non loin de chez lui.
Nous avons déjà appris que la ville, à commencer par la maison des parents d’Ahmed, où il va rarement d’habitude, a été soumise à une fouille systématique de la police à sa recherche.
Le face à face exceptionnel
J’avais confié à quelqu’un la tâche de surveiller la scène et de me rendre compte au moindre développement. C’était je crois Taleb Khyar ou un cousin à lui du nom de Mohamed Ould Khirchi. En allant chez les Heyine, mes correspondants à Adabaye, j’avais l’habitude de passer tout près de la maison d’Azram. Il rate rarement le thé du crépuscule après la prière du Maghreb. Sa bouilloire chauffe souvent devant sur un fourneau africain.
Encore une fois les choses se déroulèrent exactement comme prévues. Lorsqu’Ahmed se présenta à la porte du salon, Azram regardait en bas, pensif, tenant la tête entre ses deux mains. Manifestement la disparition d’Ahmed le préoccupait au plus haut degré. « Assalamou Alaikoum », déclara l’honorable visiteur. Azram souleva brusquement la tête. Il répondit aux salutations.
Puis il demanda à Ahmed qui était-il et quel était l’objet de sa visite. Tous ses détails là étaient prévus et programmés. Ahmed déclina son identité, en ajoutant : « C’est moi qui avait parlé au meeting et on m’a dit que vous me cherchiez : je veux savoir pourquoi ? ».
Sans quitter Azram des yeux, il attendit la réponse. Azram fut assommé par la surprise. Il se tut un bon moment avant de dire avec difficulté sous l’effet de l’émotion : « Mon fils tu es le bienvenu chez moi ! », puis : « Je t’informe que les autorités, le Hakem notamment, m’intiment de ne pas dormir ce soir avant de te dénicher et procéder à ton arrestation. Je te dis franchement que rien que ton courage de passer directement dans la gueule du loup, changera complètement mon opinion sur tes amis ». « Mon cher fils, prends place, le temps de partager le thé avec nous », conclut-il.
La discussion fut aussitôt enclenchée. Azram ne cessait de poser des questions d’information sur le phénomène Kadihines et Ahmed répondit avec une grande aisance. Ahmed concluait ses propos par la demande de dialogue entre les fils de ce pays pour régler ensemble, dans un climat de paix civile et de concorde nationale, ses nombreux problèmes, conformément à la plateforme confectionnée et défendue par le mouvement.
Azram donna son accord à cette conclusion. La discussion prit fin tard dans la nuit. Avant de se séparer, Azram demanda à Ahmed de ne pas rentrer directement chez lui, de lui donner le temps de voir le Hakem. Je devais lui expliquer la nouvelle donne et lui conseiller d’annihiler toute intention visant à t’arrêter.
Le lendemain, comme prévu, les effets de la bombe politique feront tache d’huile et ils seront largement amplifiés et commentés à notre profit. Et c’est ainsi que la campagne répressive du ministére de l’intérieur subira son premier revers à Akjoujt. Le mensuel « Sayhat Elmadhloum » nous décerna le prix de « meilleure exploitation des contradictions du régime », un volet important de notre stratégie politique.
[1] Wali, Hakem et autres appellations administratives en arabe auraient été inspirées des Algériens, après la révision des accords de coopération néo-coloniale avec la France.
19ème partie
Mission urgente à Rosso,
Parmi les missions d’urgence dont je me souviens encore, un aller-retour hardi et périlleux Nouakchott-Rosso-Nouakchott.
Je me souviens avoir réuni dans la nuit les camarades Mahmoud Riad, Boba O. Tyeb, et Dah O. Sidi Lemine réputés être parmi les militants les plus endurcis des TS.
L’objet de la rencontre était de fixer l’objet de la mission, et de discuter des modalités de son exécution. Il s’agissait de transporter des malles et mallettes en fer contenant des stocks de documents classés « top secret » de Rosso jusqu’aux planques sécurisées du mouvement dans les « kebba » de Nouakchott. Nous étions quatre désignés pour accomplir cette mission à haut risque.
Boba était un jeune au printemps de l’âge, dynamique, courageux, endurant, et conducteur de véhicule chevronné. Son engagement et sa détermination sans faille au service des masses opprimées lui valaient déjà une très grande réputation. Il prit la parole et dit : « Je me charge d’arranger le problème de la voiture. Je demanderai à mon parent Ghaithi O. Abdel Hay, paix à son âme, de me prêter la voiture de son domicile, et je suis sûr qu’il le fera.
Nous accomplirons notre mission et je la rendrai à l’aube ». Feu Ghaithi O. Abdel Hay était un membre du Bureau Politique National du Parti du Peuple Mauritanien ; un homme généreux, clairvoyant, et sage.
À son tour, Mahmoud Riad prit la parole et donna son avis. Lui aussi était un militant distingué des TS, un jeune dévoué au service du peuple, plein de courage et d’abnégation.
Le troisième du groupe était le camarade Dah O. Sidi Lemine dont j’ai déjà parlé dans le cadre de cette série consacrée à l’histoire des Kadihines (article 9). Durant les chaudes années de braise, le succès n’a jamais été facile, mais Dah a toujours réussi. Sa persévérance et son audace l’ont toujours conduit au succès tout au long de son parcours de militant. C’est à lui que je répondais dans un article précédent écrit dans le cadre de cette série sur « l’histoire des Kadihines » :
« Mon cher frère Dah Sidi Elemine, Permettez-moi de vous exprimer mes salutations distinguées et mes sincères compliments pour tous les services rendus à la patrie lorsque vous étiez militant des TS.
Je témoigne devant Allah et devant l’Histoire de votre bravoure, votre courage, et votre dévouement sans limite. À l’heure de vérité du militant, dans les pires moments de répression, dans le fracas du bruit des bottes, quand les patrouilles se resserrent, quand la peur est un étau, quand tout devrait pousser à renoncer ou à reculer ; vous êtes toujours resté présent, debout, ferme, prêt à accomplir avec succès les missions les plus difficiles. Vous avez tout donné et sacrifié au service du peuple ». J’en suis personnellement témoin.
Après échange, discussion, et accord sur le plan d’action ; nous nous mettions au travail avec la ferme résolution de vaincre.
Nous prenons immédiatement la route pour Rosso à laquelle nous arrivons après deux heures de route environ. Le voyage s’est déroulé dans le calme. Les postes de contrôle sont passés un à un, sans difficulté, ni obstacle. Sur place à Rosso, le chargement du lourd fardeau prit assez de temps. Au-dessus des malles et des mallettes, nous fîmes embarquer des chèvres et des cabris. Le camouflage était parfait.
En sortant de la ville, une brigade de police nous arrête au carrefour du grand marché, et pointe des projecteurs puissants sur notre cargaison. Sans hésiter, je leur lance : « Nous avons préféré sortir tard dans la nuit pour éviter la chaleur du jour » ! Sans insister, ils nous laissent passer. Rien de véritablement suspect au vu de ces petits ruminants détendus et calmes. Aucun soupçon, il ne peut s’agir que d’un déménagement comme tout autre dans ce pays nomade !
Sur le chemin de Nouakchott, tout s’est bien passé avec les postes fixes de contrôle. Aucune inquiétude jusqu’à l’entrée sud de la capitale où nous avons décidé de ralentir et d’avancer tous feux éteints afin de pouvoir décharger directement nos bagages à l’abri sécurisé le plus proche. Avançant ainsi dans l’obscurité totale et le silence pesant de la nuit, nous fûmes surpris par des phares éblouissants projetés par deux motos de la gendarmerie embusquées dans un coin de rue.
Je m’adresse aussitôt au gendarme le plus proche : « S’il vous plaît, pourriez-vous nous donner un peu de carburant (essence) ? Nous risquons la panne sèche, et c’est pourquoi nous éteignons les feux pour économiser le peu qui nous en reste ! ». Maigre échappatoire et alibi fallacieux, s’il en fût !
Le gendarme acquiesça et dit : « Désolé, nos motos utilisent du mélange huile-essence ». Nous autorisant à passer, notre démarrage fut instantané, et pour cause ! J’entendis son collègue, de l’autre côté de la rue, dire consterné et ébahi « Mais, c’est étrange ! Quelle relation y’a t-il entre allumer les phares et manquer d’essence ? ». À vrai dire, il avait raison ; mais c’était trop tard. Nous avions déjà déchargé en lieu sûr notre formidable cargaison, et rejoint nos bases sains et saufs.
Par Bedine Abidine (A SUIVRE)