Ladji Traoré : J’ai participé, pour la première fois à cette cérémonie historique, à Paris avec les quelques étudiants et stagiaires Mauritaniens en France, invités par l’Ambassadeur de Mauritanie dans un café parisien hospitalier, où, parait – il, le président Moktar Ould Daddah venait souvent lorsqu’il était étudiant. Pour ma part, je venais de Toulouse où j’étais étudiant.
Soixante ans après, le monde a beaucoup changé ; l’Afrique, le monde Arabe et l’Asie sont encore en train de changer bien que dans un certain désordre.
La Mauritanie doit changer au profit de l’ensemble de ses communautés :
– Les éduquer de manières équitable et compétente
-Les administrer de manière compétente
– Mettre en valeur à leur profit toutes les ressources du pays : agricoles, pastorales, halieutiques et minérales dans l’égal accès à l’emploi à toutes les responsabilités et dans tous les secteurs.
Depuis cette année où l’unité nationale était très fragile :
– Groupes de politiciens (les originaires du Fleuve Sénégal) et des partisans du rattachement au Maroc se tiraillaient sur le plan politique et contre le régime en place
– Bien plus tard, un mouvement de démocrates patriotes dit Mouvement National Démocratique (MND) dont j’étais acteur et membre fondateur a contribué au renforcement de l’unité Nationale et imposé des réformes économiques et sociales : Création de la monnaie l’ouguiya, l’indigénisation du capital, et la nationalisation des sociétés minières : la MIFERMA devient SNIM (SEM), la MICUMA devient SAMIA.
– Un nouvel accord de pèche avec l’union européen est négocié.
Malheureusement dans la même période suite au partage du Sahara Occidental avec le royaume du Maroc éclata une guerre avec le Front Polisario qui eut pour conséquence le coup d’état du 10 juillet 1978.
Après de longues années sous régimes militaires jusqu’en 1991 après les accords de La Baule, le régime fut contraint d’instaurer un régime démocratique civil, avec comme résultat : multipartisme politique, le pluralisme syndical et l’émergence de la société civile mais désunie.
Malheureusement le passif humanitaire des années 89-92 n’est pas résolu, de même que la situation des déportés et émigrés rapatriés su Sénégal et du Mali et le sort des victimes civiles et militaires massacrées.
-La question de la résistance est revenue depuis quelques années sur le devant de la scène, suscitant une certaine polémique dans la presse. Est-elle connue cette résistance contre la colonisation ? Faudrait-il la réécrire, comme le suggèrent certains?
A ce propos je suis d’accord qu’il faut réécrire une autre histoire : d’abord l’opposition à l’occupation portugaise depuis le Banc d’Arguin, puis l’opposition aux occupations espagnole et hollandaise, surtout à la domination française considérée comme une agression d’étranges chrétiens. L’occupation est partie du sud de Saint Louis vers l’Est du pays puis le Nord.
Fouta et Guidimakha
La Guerre de résistance menée par Elhadj Oumar Tall et ses partisans fut poursuivie depuis le Fouta Toro jusqu’au Mali et sa disparition dans les falaises de Bandiagara avec des compagnons de toutes nos communautés y compris les maures (Idawali) notamment.
Au début du 20éme siècle (1902), un grand mouvement d’opposition de la communauté Soninké dirigé par Mamadou Lamine Dramé de Goundiorou fut mené de Gori à Koumba Ndaw et Diaguily avec l’appui de tous les marabouts de Guidimakha menant une résistance farouche.
Tagant
Sur instruction du marabout Chérif de Smara (Sahara Occidental actuel), un groupe s’est constitué et a réussi à assassiner Xavier Coppolani en juin 1905 à Tidjikdja
Adrar – Inchiri
De même de nombreuses tribus : smacid, Ideychili… en particulier sous l’autorité de Ould Aida ont mené aussi une véritable guerre contre l’occupation d’un régime étranger de surcroit chrétien, mais qui était soutenu par le marabout Cheikh Sidiya El kébir de Boutilimit.
Cette guerre a continué de l’Adrar jusqu’en Inchiri et même jusqu’au voisinage de Nouakchott par la bataille de Moutoumsi (1932) où les troupes coloniales et leurs alliés ont subi de grandes pertes dont la mort d’un officier supérieur français.
-Vous une des figures du mouvement syndical en Mauritanie. Pouvez-vous nous rappeler les grandes dates qui ont marqué cette lutte ? A votre avis, pourquoi les syndicats et ce qu’on appelle la Société civile ne sont plus de véritables moyens de pression, ils sont très peu influents sur le terrain ?
L’histoire du mouvement syndical mauritanien doit s’analyser essentiellement en trois périodes :
-Sous le régime colonial, quelques organisations étaient unies contre l’occupation coloniale étrangère et les droits des travailleurs (UGTAN section Mauritanie) ;
– Intégration des syndicats au parti unique (PPM, Parti du peuple Mauritanien) à partir de 1964 pour donner naissance à une centrale intitulée Union des travailleurs de Mauritanie (UTM) avec ses crises en particulier 1969 et après le massacre des ouvriers de MIFERMA en juin 1968 ;
– Avènement du pluralisme syndical avec ses conséquences catastrophiques ;
– Absence de respect de la législation du travail par l’Etat et les employeurs ;
– Non respect de la priorité du recrutement des nationaux compétents, absence de reclassement et de révision de l’échelle des salaires …
– Mais surtout l’incapacité des syndicats à organiser des grèves solidaires et fortes pour satisfaire les légitimes revendications des travailleurs du public et du privé.
-Que pensez-vous, de l’unité nationale et du vivre ensemble dans le pays, de l’indépendance à nos jours ? Quel rôle pourrait jouer, selon vous, l’école républicaine que le gouvernement voudrait édifier ?
-Pour qu’il y ait une unité nationale véritable, il faut effectivement connaitre notre vraie histoire, reconnaitre et respecter notre diversité culturelle et linguistique.
Le monde a changé, l’Afrique est entrain de changer ; la Mauritanie doit changer et bannir toute forme d’inégalité basée sur la race, la culture et le statut social. Et respecter des droits de tous à la liberté, l’égalité et les mêmes droits et devoirs pour tous.
Officialiser les langues nationales pulaar, sooninke et wolof et les réintroduire dans le système éducatif, et en faire de langues de travail et de communication. Nous espérons que le Gouvernement pratiquera une politique effective dans ce sens, ce qui exige une reforme profonde de notre système éducatif. Ainsi cette école républicaine sera la véritable ossature et la racine solide de notre Unité Nationale.
– On assiste depuis quelques jours à une recrudescence des cas de COVID dans notre pays. Que pensez-vous de la gestion de cette pandémie par le gouvernement qui a d’abord mis en place un plan de riposte puis un programme de relance économique de plusieurs milliards d’Ouguiyas ? Ces fonds ont-ils impacté sur la vie des populations dont certaines avaient perdu leur gagne-pain ?
– La covid 19 est une véritable pandémie (une épidémie universelle) encore totalement inconnue bien que certains laboratoires proposent déjà des vaccins, dont l’efficacité reste encore à confirmer. Cependant il faut reconnaitre très sincèrement que le système de barrière mis en place par notre gouvernement, bien que médiocrement respecté malheureusement, est à féliciter, comme une des premières mesures adoptées dans la sous-région.
Le plan économique mis en place est pour le moment très mal appliqué et dans une totale opacité à la surprise générale même de tous les acteurs qui ont préconisé sa mise en œuvre. Votre Journal m’offre l’opportunité de dénoncer cette gestion obscure, qui risque comme d’habitude d’être une source de détournement au profit de certains lobbies au détriment des plus pauvres dont le parti Alliance Populaire Progressiste à largement contribué au recensement dans les différentes wilayas de notre pays sous la supervision de nos coordinations.
-En tant que député, êtes-vous satisfait du travail de la CEP mise en place par l’Assemblée Nationale, du déroulement des enquêtes par la police des délits économiques ? Partagez-vous l’avis de certains mauritaniens qui estiment le dossier avance très lentement et suspectent le pouvoir de vouloir même l’enterrer ?
– En tant que député et comme de nombreux acteurs et cadres informés, je suis satisfait du rapport de la Commission, d’enquête parlementaire qui a été transmis dans des délais raisonnables au pouvoir exécutif qui, à son tour, l’a transmis aux autorités judicaires concernées.
Etant donné l’étendue et la gravité de détournements et de la mauvaise gestion qui ont pratiquement dénaturé tout le système de gestion des biens publics et dans tous les domaines (sociétés, foncier), le gouvernement mauritanien fait face à un vrai défi qu’il faut relever à tout prix pour restaurer sa crédibilité et couper court aux spéculations et aux rumeurs qui circulent déjà y compris dans certains media.
-La rupture ou dégradation des rapports entre l’ancien président, Ould Abdel Aziz et son successeur Ould Ghazwani vous a-t-elle surpris ? Auraient-ils atteint le point de non retour ?
– En ce qui concerne la rupture ou la dégradation des rapports entre l’ancien président Mohamed Ould Abdel Aziz et son successeur Mohamed Ould Cheikh El Ghazouani, il serait peu sage de ma part de ne prononcer n’étant personnellement un proche ni de l’un ni de l’autre ; mais je me rappelle le climat de tension qui a entouré cette succession, ce qui augure d’une véritable crise à laquelle un collège de l’élite de la caste des officiers supérieurs des forces armées et de sécurité a trouvé une solution discrète et étonnante.
Mais je suis d’autant moins surpris qu’en matière de pouvoir, les intérêts et les ambitions priment sur toute autre considération. Pour le reste, je demeure un observateur vigilant
– Pensez-vous que la mise en œuvre des recommandations de la CEP et la traduction devant les tribunaux des personnes épinglées dissuaderaient désormais tous ceux qui ont en charge la gestion de deniers publics?
– En ma qualité de parlementaire patriote, j’attends avec beaucoup d’attention un jugement historique ferme des crimes économiques connus et dénoncés dans le rapport de la commission d’enquête parlementaire et tous leurs auteurs et complices. Seul un tel jugement mettrait fin à la culture de fraudes et de crimes économiques qui n’a que trop perduré, et qu’il faut définitivement bannir des pratiques de notre administration publique et de nos dirigeants à tous les niveaux qui ont la charge de la gestion des biens de notre peuple.
-L’esclavage et ses séquelles et le passif humanitaire demeurent des dossiers épineux pour le pays. Avez-vous l’impression que le gouvernement de Ghazwani est décidé à les régler ?
– L’esclavage et ses séquelles sont malheureusement une composante pernicieuse et enracinée dans la culture de nos composantes nationales bien qu’à des degrés divers. Pour la première fois, un procès contre des pratiques esclavagistes est programmé au tribunal de Nouakchott Ouest le 07 décembre prochain. Les proches des victimes ont constitué des avocats compétents, l’opinion attend avec beaucoup d’attention le verdict de ce procès, espérant que ce sera un exemple.
Quant aux dossiers épineux du passif humanitaire qui n’ont que trop duré, je suis de ceux qui pensent qu’il faut un tribunal alternatif sérieux, nécessitant vérité et justice et le dédommagement des victimes préalables à toute réconciliation veritable attendue par le peuple mauritanien dans sa totalité
-Le président Ghazwani vient d’effectuer une visite chez vous au Guidimakha. Quelle impact peut avoir de tels déplacements qui mobilisent toute la République, vident l’administration… ? Quelles étaient les principales doléances des guidimakhanké, en particulier de la capitale Sélibaby ? Ont-elles été satisfaites ou reçu des promesses fermes de la part du chef de l’Etat ?
– Je fais partie des élus qui se sont rendus sur le terrain pour accueillir le président de la République. Vous savez certainement la culture d’hospitalité chaleureuse de notre communauté sooninké. Les populations du Guidimakha se sont toute mobilisées pour un accueil chaleureux à leur hôte honorable.
Par ailleurs les populations du Guidimakha, toutes communautés confondues, leurs cadres, leurs élus locaux et responsables traditionnels ont dénoncé avec une force quelque peu surprenante : l’exclusion, l’enclavement de leur wilaya et ses localités importantes. C’est ainsi qu’un terrain d’aviation neuf est abandonné depuis une dizaine d’années alors que l’aéroport de Sélibaby est un veritable hub pour l’ouest du Mali voisin et le nord du Sénégal.
Depuis toujours l’absence d’ouvrages de retenue d’eau sur les grandes vallées de cette zone agricole et d’élevage, la plus arrosée du pays, constitue un autre grand problème.
En plus de l’absence d’écoles, de centres de santé mal entretenus ou mal équipés et dépourvus de personnel compétent. Les populations espérant que le Président, les ayant bien écoutés avec beaucoup d’attention, répondra rapidement à leurs demandes clairement exprimées durant toute une soirée de débats sincères et fermes.
-APP prépare une campagne de réimplantation. Où est êtes vous avec les préparatifs après la tournée du président Messaoud?
– L’Alliance Populaire Progressiste terminera sa campagne de sensibilisation pour son Implantation et l’Organisation de son Congrès National tant attendu, après pour une fin de tournée dans les trois (3) wilaya de Nouakchott la semaine prochaine pour engager ensuite sa campagne d’adhésion et de renouvellement de ses structures de base pour tenir son congres qui aura pour tache fondamentale le renouvellement des instances de la Direction Nationale du parti, des mouvements des Femmes et des Jeunes et poursuivre son noble combat pacifique pour enraciner une démocratie véritable, les changements sociaux et culturels y compris l’officialisation des langues nationales, Pulaar, sooninké et wolof et leurs réintroduction dans le système éducatif ; poursuivre la lutte pour la sécurité contre le terrorisme jihadiste violent qui perdure dans toute notre zone sahélo-saharienne comme préalables à tout veritable développement et à une répartition équitable de nos nombreuses ressources nationales et mettre ainsi fin à la pauvreté de toutes nos populations rurales et urbaines.
Propos recueillis par Dalay Lam