La Mederdra de mon enfance (suite et fin)/Par Mohamed Abdallahi Bezeid

Non loin de là il y avait la modeste demeure de Dah Ould Madiguéne, un brave homme chez qui j’ai pris souvent du thé en compagnie d’un autre ami d’enfance Moloud Ould Dah qui a rejoint la cour des comptes.
A quelques centaines de mètres d’El Marrakchi vivait, presque en marge de la société, une dame répondant au nom de Bassine et à laquelle la population prêtait des pouvoirs surnaturels.
Il y avait enfin les commerces modestes, ceux d’Ahmedal Ould Babeddina, de Baba Ould Cheikh,  de Kheiratt  et les petites échoppes  tenues par mes défunts cousins : Mohamed Abdel Hay ould Nih (Nahay), Mohamed Lemine O. Béchar, Ammi ould Moutali, Mohamed Lemine Ould Moustapha et Dahoud Ould Moustapha.
Devant ces petites boutiques se rassemblaient souvent les braves manœuvres de l’époque : Djabel, Ambouha, Zayed Ould Brahim, Belkheir, Mboyrik Ould Abdout, Ebboyah, Dah et le reste du groupe.
C’est sur cette rue que se trouvait aussi le four de Alioune Ould Sabar, un four qui fabriquait un pain doré, croustillant et savoureux. J’en raffolais.
Premier de la Mauritanie
Comme moi, les mederdrois le préféraient de loin au pain de Monsieur Souéid et à celui fabriqué par un certain Sabar dans un four situé non loin de la boutique d’El Houssein Ould  Bilal Diouli.
Alioune Ould Sabar est le père d’un promotionnaire qui a fait carrière dans la gendarmerie nationale, Brahim.
Le nord du centre-ville était traversé par une artère parallèle à la rue principale. En bordure de celle-ci il, y avait une grande boutique tenue par un commerçant de l’Adrar, Ahmed Ould Dhmine.
L’incendie de sa boutique, intervenue alors que j’étais très jeune pour me rappeler des détails et des circonstances de ce sinistre, avait soulevé un grand élan de solidarité et de sympathie parmi les mederdrois.
Dans le quartier donnant sur cette rue vivaient trois familles de gardes forestiers : Ehel Chenane dont le fils, Moktar, un ami d’enfance robuste et courageux, a trouvé la mort dans la guerre du Sahara  –  Ehel Sid’Amed, une famille de l’Adrar, leur fille Salka, devenue par la suite propriétaire d’une grande auberge à Nouakchott est une promotionnaire ainsi que son frère Lemhaba – Ehel Mohamed Salem Ould Zein dont le fils, Mohamed Abdallahi, a honoré l’école Folanfant en obtenant, en 1965* le rang de premier de la Mauritanie aux épreuves du concours d’entrée en sixième.
Après des études  supérieures en économie, cet ami d’enfance chétif mais d’une étonnante témérité a travaillé dans les banques avant de se reconvertir dans le tiéb-tiéb.
J’ai réussi, non sans peine, à maintenir le contact avec cet imbécile.
A deux pas des forestiers vivait la famille d’Ehel Demba Dia dont le père était maçon, si mes souvenirs sont bons.
Le vieux Demba Dia était un homme généreux chez qui se réfugiaient Mohamed Ould Barka, Bayenni, Ennoummah, Deweiden et Mint Emmon’Ha, de pauvres hères sans défense qui sillonnaient les rues de Mederdra, à longueur de la journée, sans but précis**.
Lorsqu’ils n’en pouvaient plus de la traque acharnée et impitoyable des enfants les fugitifs se rendaient aussitôt chez Demba Dia où ils trouvaient protection, gîte et couvert.
Dans le même alignement se trouvait la grande concession des Tar Diop.
Je  ne me souviens pas du père des Tar Diop qui, dit-on, était un forestier, originaire de la vieille ville de Saint Louis du Sénégal mais je connais par contre les membres de sa famille : Ken Bouguel,  Kewa et feu Bay Diop.
Leur mère « Madame », c’est son nom, était une femme de petite taille, mince, débordante de joie et généreuse.
A l’heure du déjeuner, « Madame » avait l’habitude de servir à manger à toutes les personnes qui se trouvaient dans sa maison : des mendiants, des campagnards, des citadins, des voyageurs venus du Sénégal voisin et d’ailleurs.
Une aile de la maison des Tar Diop servait à la fois de bureau et de résidence au cadi de Mederdra, Monsieur Hamed Ould Bebaha.
Du seuil de leur maison les Tar Diop pouvaient voir le va-et-vient des femmes se rendant au marché tout proche.
Là les attendaient les bouchers Ahmed Salem Ould Sabar, Rayhana, Moloud Ould Amgheiratt  et l’unique vendeur de légumes Bilal Ould Diouéri.
Le sud du centre-ville était traversé par une autre rue étroite qui prenait naissance, à l’Est, au niveau de la maison d’une vieille dame vivant en bordure de la route de Rosso, Aicha Motiara, l’épouse d’un certain Mbarek Ould Bouhchicha.

Vieilles familles
Etaient construites en bordure de cette rue des habitations appartenant à de vieilles  familles de la ville : Ehel Dahabou, le facteur dont j’ai déjà parlé – Ehel Maaouiya, des cousins dont le père, feu Ahmedou Yeslem a enseigné dans l’extrême Est du pays puis à Mederdra et à Boér Toress avant d’être promu économe du lycée de Rosso.
C’est le père de l’administrateur et ancien ministre de l’intérieur Mohamed Ould Maaouiya.
Les Ehel Maaouiya avaient pour voisins un saint homme, le vieux Hmada, une personnalité de Nievrar et Ehel Baba Samaké dont le fils Omar Sy, un diplomate disparu, était un ami agréable et un promotionnaire.
Je me souviens de sa mère Khadijetou, de son oncle, le géant Sidibé, l’homme avec qui nous avions l’habitude de marchander la confection de redoutables lance-pierres, de ses tantes : Zeinebou, devenue par la suite aide infirmière au poste de santé de Mederdra et Foyta Samaké, l’épouse du docteur Ethmane Ould Yali.
A cent mètres de là habitaient les Ehel Mohamed Ould Chedad, la vieille Salma mint Amar, Zeinebou, la mère de mes amis Maham et Ennine, Naha, Ahmed, le boucher farceur, Dah, leur demi-frère, l’un des rares amis d’enfance avec qui j’ai gardé le contact et qui a fait carrière dans la douane.
Suivait ensuite le vaste domaine d’Ehel Ahmed Ould Abdallahi dont le père tenait une boutique sur la rue.
Son fils, Ethmane, Esseyver pour les intimes, est un promotionnaire que j’ai perdu de vue. Il avait des sœurs et des frères : Ellout, l’épouse d’Ahmed Ould Brahim Vall, Monnah qui n’est plus, Abdallahi, Khadijetou et un grand frère répondant, si je ne me trompe, au nom de Mohamed.
Un peu plus loin vivait, dans une petite maison, un maçon chevronné et sans histoire: Mohamed Ould Gdala dont la fille, Fatimetou, a fini par travailler au trésor public.
Les voisins de ce maçon étaient Ehel Meidah : le vieux et sage Mhamed, sa femme dont j’ai oublié le nom et ses filles : Aicha et Mroum qui ont épousé de grandes personnalités de l’Est mauritanien, Mama, qui a fait sa carrière à Radio Mauritanie, Fou et Malouma qui ont fréquenté l’école Folanfant.
De l’autre côté de la rue vivaient leurs cousins, Ehel Ahmedou Ould Meidah : la mère, Mint Ebnou et les enfants : Mohamed, Kahlouch pour les intimes, un parfait musicien et ami de longue date avec lequel j’ai partagé des moments agréables et des aventures inouïes, Loubaba, Mechalem et Doueina que j’ai vu grandir sous la bienveillance  de leurs oncles : Mohamed et Doudou.
Dans ce même quartier résidaient en permanence les familles de deux amis d’enfance Ramdhan Ould Tahman, devenu infirmier d’Etat et que j’ai eu le plaisir de revoir et Yargouma Ould Ambouha que j’ai revu à de rares occasions.
Les grands-mères de ces derniers sont des dames qu’aucun mederdrois de ma génération ne peut oublier : Vatma mint Stoula ***, une femme adorable dont on disait qu’elle préparait le meilleur gâteau du Trarza, Moimana, une grand-mère gaie et charitable dont les beignets, de forme arrondie et soigneusement saupoudrés de sucre fin,  étaient le  plus beau cadeau que l’on pouvait offrir à un enfant.
Une autre mederdroise non moins célèbre vivait dans ce quartier : Emmachen, une dame dont le tam-tam envoûtant et les longues tirades narratives étaient de toutes les cérémonies.
Dans le prolongement d’Ehel Ahmedou Ould Meidah vivaient Ehel Jreivine : Mohamed et sa fille Marieme –- Ehel Ely Ould Meidah, leur père Ely était le seul mederdrois à traverser la ville à dos de cheval – Ehel Sid Ahmed  et j’en oublie d’autres.
A la limite sud de ce quartier peuplé se trouvait la petite concession d’Ehel Bilal Diouli : l’inoubliable et douce Salma, leur mère qui a vu défiler de nombreuses générations d’élèves internes, sa fille El Hachmiya qui lui a succédé, ses grands fils El Hassène et El Housseine.
Le quartier Sud-Ouest était le fief de grandes familles de Mederdra tout aussi réputées que les premières: Ehel Haham dont les fils Beibah et Jeyid étaient de grands amis.
J’ai connu aussi leur grand frère Bedde, un érudit de santé fragile hélas disparu et leur jeune frère Mohameden Baba Ould Etfagha, le talentueux journaliste d’Aljazeera, plus connu localement sous son pseudonyme Emmeni –  Ehel Ahmed Ould Meidah, le vieux Ahmed, le père de mes amis d’enfance : Rajala, celui-là même que Abdallahi Diallo taxait de faire le gros dos et le très sérieux et raisonnable Mohamed.
 

Retour au terroir
Dans le voisinage immédiat d’Ehel Ahmed Ould Meidah vivaient le vieux Diouéri, un agriculteur – Ehel Yargueit : Mohamed, le commerçant, Jiddou,  l’aide infirmier, Mohamedhen, le technicien de Radio et le reste de la famille – Ehel Taleb Jiddou – Ehel Zeidoune – Ehel Sellahi – Ehel Ely Warakane : Mohamed, son épouse Marième, une femme d’une remarquable piété et leur fillette, la toute petite  Koumbane.
A quelques encablures d’Ehel Ely Warakane se trouvait le domaine d’Ehel Enemray dont le père Enemray, un grand homme débordant d’énergie et de vitalité était le coiffeur attitré de Mederdra, le propriétaire du plus beau jardin de la ville, le muezzin de la mosquée et le technicien en charge du sondage****.

Plus au sud étaient installés Ehel Bowah dont le père Dah a servi de longues années comme surveillant à l’école Folanfant et dont le fils Diyah est devenu plus tard un officier de l’armée nationale   – Ehel Emmène dont le fils Haddou, qui n’est plus de ce monde, était un ami et un promotionnaire.
Le Gowd ou la vallée, cette dépression qui sépare la ville des légendaires dunes blanches de Mederdra, abritait le service des eaux et forêts et celui de l’élevage, l’abattoir, le sondage, les puits : celui de la ville, le puits des eaux et forêts (hassi Ehel Esdar) et le puits de Bedioura.
C’est dans le Gowd que résidait l’un de mes amis d’enfance que j’ai perdu de vue, Ibnou Ndiaye, le fils d’un vétérinaire qui a servi à Mederdra au début des années soixante.
Les enfants de son successeur, Monsieur Ould Haibelti, un vétérinaire originaire du Brakna, ont fréquenté en même temps que moi l’école Folanfant.
Le Gowd était enfin le domaine d’Ehel Mbarek Ellawssay, d’Ehel El Alem et d’une famille originaire de Boutilimitt,  Ehel Mamady dont le père, Ahmed, était puisatier.
Son fils Brahim est un promotionnaire et ami d’enfance que j’ai revu deux ou trois fois à Nouakchott au milieu des années quatre-vingt.
Sans aucune préparation et sans raison valable je suis retourné à Mederdra au début du mois d’octobre 2010.
J’ai flâné sans but précis dans les ruelles, exactement comme le faisaient chaque jour Mohamed Ould Barka, Bayenni, Ennoummah, Deweiden et Mint Emmon’Ha. Comme eux, j’ai sillonné la ville de long en large.
Pendant ma traversée, je me suis mis à guetter le moindre signe familier : le vrombissement d’un camion T46, le brouhaha des enfants se rendant à la maison de Lechyakh, le tintement de la cloche de l’école Folanfant, le hennissement du cheval d’Ely Ould Meidah, le battement du tam-tam de Emmachen, l’appel à la prière d’Enemray…Peine perdue.
La Mederdra qui s’étendait à mes pieds m’était complètement étrangère.
Le visage ratatiné que me renvoyait le rétroviseur intérieur de mon véhicule n’était pas le mien non plus.
Quelque chose de profond s’était produit avec le passage du temps : Mederdra a beaucoup changé. Moi aussi.
Désemparé et secoué dans mon for intérieur, j’ai fait demi-tour et suis rentré précipitamment à Nouakchott.
Comme consolation il me reste une chose : préserver jalousement, intacte, l’image vivante et joyeuse de la Mederdra que je porte dans mon cœur, l’image de la Mederdra de mon enfance.

 

Notes

*A en croire le Docteur Abdallahi O. Kerim  qui faisait partie de notre promotion le concours en question  a eu lieu en 1967-1968. Ont passé le concours avec nous Toutou mint cheikh Ahmed Lelvalli,  Nounou mint El Hassène et  Salka mint Sid’Ahmed.

** A en croire mon ami Rajala ces personnages avaient l’habitude de prendre leurs repas chez les Tar Diop et non chez le vieux Demba Dia.

*** le vrai nom de Mint  Stoula est Messouda et non Vatma, une précieuse mise au point de Rajala O. Meiddah.

****Enemray était infirmier vétérinaire de profession. Il était coiffeur, jardinier et muezzin mais n’avait pas en charge l’exploitation du sondage.

                                               Mohamed Abdallahi Bazeid