Dimanche 27 septembre une fois encore, la police des crimes économiques et financiers a convoqué l’ancien président Mohamed Ould Abdel Aziz pour l’entendre. Sauf que cette fois, elle souhaitait l’entendre pour confirmer ou infirmer ce que les coaccusés avaient déclaré en son absence.
Interrogés par les policiers de la criminelle économique, un à un, Yahya Ould Hademine, Mohamed Abdellah Ould Oudaa, Moctar Ould Diaye, Hacen Ould Ely, Mourtaji Ould Wavi, sont revenus sur le passif de leur gestion des affaires quand, chacun, à une époque donnée et en ce qui le concerne était responsable investi de pouvoir de décision.
Une fois encore, l’ancien président a rappelé, aussi bien aux enquêteurs qu’aux accusés sur lesquels pèsent de lourds soupçons qu’ils perdent leur temps. Par son refus de « valider » ou d’« invalider » ce qu’ont affirmé tous ceux qui ont servi sous son autorité avec dévouement et respect, Ould Abdel Aziz, l’homme puissant qu’il était onze ans durant, a réduit considérablement « sa taille » aux yeux de ceux qui l’ont toujours considéré comme un « grand ».
Son silence, certainement conseillé par ses avocats (qui ne contribuent pas à lui rendre la vie facile), nous renvoie à cet article 93 de la constitution qu’Ould Abdel Aziz utilise comme bouclier. Ould Abdel Aziz, un homme qui a la baraka.
La constitution mauritanienne prend naissance juridique le 22 mars 1959. Elle a été recadrée par la 60.193 du 26 novembre 1960, deux jours seulement avant la date de la proclamation de l’indépendance de notre pays. Ce recadrage avait basculé le pays d’un régime parlementaire à un régime présidentiel en accordant au premier ministre du pays les prérogatives de chef de l’État.
Par la suite cette constitution s’est développée avec le vote de la loi du 20 mai 1961, présentée comme étant la révision générale de la Constitution de 1959 pour la mettre sous sa forme de Constitution parachevée.
En 1991, la loi 2012-015 apporte une nouvelle révision à Constitution. Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya est au pouvoir. La révision intervient 50 jours seulement après le déclenchement des événements sanglants de 89, devenus « passif humanitaire » dont le règlement patine encore de nos jours.
Ould Taya, considéré comme le commanditaire des crimes et délits commis est indexé comme génocidaire pour sa gestion de la crise. Lui et les militaires qui lui ont servi de bras armés, se sont rendus compte des risques qu’ils courent s’ils sont poursuivis et reconnus coupables par les instances judiciaires nationales et internationales pour crimes ou crimes contre l’humanité.
Les conseillers juridiques du président Taya trouvent l’issue de sortie. Véritable fuite en avant, ils font appel à un juriste médiocre et immoral qui propose l’introduction d’un nouvel article à la constitution. C’est ce « maudit 93 » qui stipule que « Le président de la République n’est responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison ».
20 mots collés les un après les autres par un juriste dont probablement le diplôme est un faux pour faire plaisir à un président qui n’est pas à l’abri de poursuites judiciaires. A la lecture de cet article on a comme l’impression qu’il a été écrit dicté mot à mot par celui qui voulait se protéger de toutes poursuites.
Huit après cette ajout à la constitution et cinq années après son arrivée au pouvoir, Mohamed Ould Abdel Aziz est « lassé » par le travail sans « but lucratif » entrepris après son entrée au palais par effraction.
Il se rend compte que le « maudit 93 » est une véritable aubaine pour lui puisque taillée sur la mesure de ses ambitions. Il décide alors d’abandonner son rôle de « justicier » de la gabegie, se convertit en « chef » d’affaires, et met en place des « nationales » et des « multinationales » en circuit fermé.
Il remercie Dieu d’avoir fait de lui un président et il remercie Maaouiya de lui avoir laissé en héritage cet « béni » article 93 de la constitution qu’il allait mettre à profit pour s’enrichir « protégé » par la constitution de son pays.
Ould Abdel Aziz détourne donc l’objectif de l’article 93 introduit par Maaouiya dans la constitution pour s’éviter d’être jugé pour les actes criminels commis sous son régime. Il recycle l’article, l’adapte à ses objectifs et s’adonne à cœur joie au pillage pour « faire tout ce qu’il voulait » qui ne touche pas à la haute trahison. Et comme l’a fait ressortir l’enquête parlementaire, il n’est pas allé de main morte. 317 affaires sulfureuses.
La malhonnêteté morale du juriste « nul et non avenu » auteur du 93 avait a jouté un alinéa qui enfonçait les collaborateurs du président au cas où. Dans l’alinéa 2 de cet article le texte stipule : « Le premier ministre et les membres du Gouvernement sont pénalement responsables des actes accomplis dans l’exercice de leurs fonctions et qualifiés crimes ou délits au moment ou ils ont été commis.
La procédure définie ci-dessus leur est applicable ainsi qu’à leurs complices dans le cas de complot contre la sûreté de l’État. Dans le cas prévu au présent alinéa, la Haute Cour de justice est liée par la définition des crimes et délits ainsi que par la détermination des peines telles qu’elles résultent des lois pénales en vigueur au moment où les faits ont été commis ».
Et cet article ajoute un bonus au président en disant : « Il (le président) ne peut être mis en accusation que par les deux assemblées statuant par un vote identique au scrutin public et à la majorité absolue des membres les composant ; il est jugé par la Haute Cour de justice ». Des avocats qui enfoncent leur client.
A chaque fois que l’ancien président est convoqué pour être entendu, ses avocats, pourtant célèbres juristes lui conseillent de garder le silence probablement pour que rien ne soit retenu contre lui. Ils argumentent sans doute leur prise de décision par le fait qu’Ould Abdel Aziz, n’est pas interrogé au « bon endroit » et pas par qui « habileté à le faire ». Seulement voilà.
Les avocats, peut être pour justifier le mérite de leurs honoraires, mettent malheureusement à « l’étroit » leur client. Ils mettent aussi sans se rendre compte, ce dernier dans une situation inconfortable qui ne milite pas en faveur de sa propre défense.
Est-ce bien lui qui a donné à ses premiers ministres, ministres et proches collaborateurs les instructions et les directives ? Oui ou Non. 15 secondes suffisent pourtant pour apporter des réponses à ces questions, auxquelles il répondra tôt ou tard de gré ou de force « de la loi » au dessus de laquelle personne ne se trouve.
Le silence que recommandent les avocats à leur client, pour que rien ne soit retenu contre lui, de fait, fait retenir malheureusement tout contre lui. Si nous partons des principes de notre tradition, celle-ci dit que le silence est une affirmation.
Et si nous partons du droit pénal, le silence d’un suspect pour répondre à des questions essentielles qui peuvent aussi le disculper s’il a des preuves qui lèvent les soupçons qui pèsent sur lui, peut signifier qu’il a peur d’être trahi par ses réponses.
Mais au-delà même de ces principes, et du principe que personne n’est au dessus de la loi, il vaut mieux évidemment pour l’ancien président de répondre à des questions dans un environnement de coopération avec les auxiliaires de justice en préliminaire que de répondre seulement que lorsqu’il est mis en examen qui va déclencher une enquête préliminaire pouvant d’ailleurs le renvoyer en ascenseur devant ceux justement devant lesquels il avait refusé de répondre aux questions en préliminaire.
Des avocats et des verbiages juridiques qui ne profitent pas à l’accusé.
Comme le disent les avocats du mis en cause (Aziz), « la responsabilité du Président de la République ne peut se concevoir qu’à travers une procédure judiciaire à caractère exceptionnel, et devant un organe constitué à cet effet ». Les avocats font allusion à la Haute Cour de Justice, seule habilité à juger le Président de la République.
Dans une déclaration qui n’apporte rien de nouveau au débat sur la question, deux avocats de l’ancien président disent d’une même voix qu’il « faut faire la distinction entre les membres du gouvernement et le Président de la République dans un régime constitutionnel ».
C’est du « verbiage juridique » qui tire vers un bas médiocre la prise en considération et le traitement d’une affaire d’une portée nationale très grande.
Quand les deux avocats éminents concluent par exemple que seul le « motif de la haute trahison » est susceptible de fonder la responsabilité de la Haute cour de Justice, c’est une vérité de Lapalisse que confirme la force de loi constitutionnelle. De la littérature de défense un peu archaïque et une prestation de service qui ne vaut même pas un sous acquis malhonnêtement.
Ni Ould Abdel Aziz, ni ses avocats, n’ont intérêt à jouer aux prolongations du jeu « du chat et de la souris ». Les mécanismes juridiques et ceux de la police judicaire en charge de l’enquête qui joue le rôle du chat lui permettront de toute façon de rattraper la souris.
Et se ne sera pas tard, puisque tout porte à croire que se sera même très rapidement. Tellement tôt peut être que, celui qui n’a pas une seule fois ouvert la bouche, risque pousser un cri de stupéfaction, lorsque la police reviendra aux méthodes qu’elle employait sous son régime. Méthodes efficaces pour faire parler quelqu’un par pressions psychologiques intenses.
Peut être que ce jour-là, le 93, passera du numéro d’un article de la Constitution « carapace » à celui par lequel la régie d’une prison identifie un détenu avant d’être jugé par la cour suprême en préliminaire du jugement du « Suprême ».
Mohamed Chighali