Lorsqu’elle vit son frère venir suivi de l’un de ses esclaves sur un âne, Ramla eut un terrible préssentiment, mais elle continua d’allaiter le bébé. Mreiba était devant la tente et s’affairait à donner le fourrage au petit troupeau qu’il s’était constitué.
– Mreiba, cria Kaber de sa voix sèche.
Mreiba se retourna et reconnut son maître.
– Oui maître
Il se dirigea vers lui d’un pas alerte. En entendant la voix de son frère, Ramla eut un haut-le-corps. A la vue de la Mas 36, Mreiba ralentit, puis s’arrêta net en voyant l’expression rageuse de son maître, mais il ne fit rien pour tenter de fuir, au contraire, il soutint fermement son regard.
– Nooooon, hurla Ramla qui s’élança comme une tigresse pour s’interposer entre les deux hommes.
Le cri de Ramla fut couvert par la détonation. Mreiba chancela, mais resta debout pendant un moment avant de tomber sur ses genoux prenant appui sur son gourdin. Il leva vers Kaber un regard plein d’incompréhension. Une deuxième détonation retentit et Mreiba tomba à la renverse. Lorsqu’elle arriva, Ramla trouva Mreiba gémissant. Elle souleva sa tête.
– Mreiba, Mreiba, tu m’entends?
Mreiba leva vers elle son regard avec un sourire ambigü, un mince filet de sang dégoulina d’une commissure de ses lèvres. Son regard s’éteingnit et sa tête tomba lourdement sur la poitrine de Ramla.
– Nooooooon, hurla Ramla.
– Blal, prend la petite et va-t-en, ordonna Kaber!
Ramla reposa la tête de Mreiba sur le sol et voulut se lancer vers la tente. La poigne d’acier de son frère se referma sur son poignet. Elle tenta de se soutraire à cet étau, mais en vain. L’esclave prit la nouvelle née avec lui sur un âne. Ramla hurlait comme une démente et continuait à se démener comme une diablesse pour se libérer. Ce n’est que lorsque Blal fut très loin
que son frère la lâcha. Elle se mit à courir derrière l’esclave qu’elle rattrapa aux prix d’efforts surhumains. Elle le supplia de tous les noms pour lui rendre son enfant, mais l’esclave ne semblait pas l’entendre et continuait son chemin comme si de rien n’était. Elle continuait à courir à côté de l’âne. Ses petits pieds nus se mirent á saigner. Ses forces commencèrent à l’abandonner, mais elle continua de supplier l’esclave aggripant sa jambe pendante. De supplications lasse, elle s’aggrippa à la queue de l’âne, mais ne put maintenir le rythme de l’animal. Elle trébucha, tomba, mais réussit à s’accrocher à deux mains à l’une des pattes de l’animal qui continua à la trainer sur le sol rugueux. Elle hurlait sa détresse à qui voulait l’entendre. Elle était insensible aux écorchures que subissait son corps , la seule chose qu’elle sentait était l’éloignement de son enfant de son sein. Enfin, n’en pouvant plus, elle lacha l’animal et resta étendue sur le sol, mais continua à suivre le ravisseur de sa fille des yeux. Le bruit des sabots devenait de plus en plus indistinct, mais la silhouette demeurait devant elle et elle continua à la suivre jusqu’au moment où l’âne disparut derrière une dune, emportant son bébé.
– Ne me séparez pas de mon enfant, pour l’amour du prophète ne me séparez pas de ma fille!
Elle continua à pleurer et à se lamenter et ne s’arrêta que lorsqu’elle s’évanouit. Lorsqu’elle revint à elle, il faisait nuit noire.
Soudain, elle se souvint. Le corps de Mreiba est resté livrée aux charognes. Elle se mit de nouveau à courir de toute la force que lui permettaient ses jambes ankylosées. Après une course folle, elle retrouva le corps. Elle s’assit, mit la tête du corps inerte sur sa cuisse et se mit à nettoyer le visage tant aimé avec toute la douceur pouvant venir d’un être aimant. Elle passa des heures et des heures nettoyant et caressant le visage tant aimé. Enfin, elle enroula son voile et le placa sous la tête de Mreiba et resta uniquement dans une jupe. Puis elle se mit à creuser. Quand elle creusa une tombe suffisamment large, elle s’approcha du corps, le caressa une dernière fois, puis se mit à le tirer vers la tombe. Elle entra dans la tombe, tira le corps avec une douceur infinie l’amenant sur sa poitrine, le maintint pendant un long moment contre elle, puis le laissa glisser doucement dans la tombe. Elle s’assit sur le bord de la tombe et se mit à remblayer lentement tout en murmurant:
Mreiba nebghih, Mreiba Nebghih
Wel ma yesma’ koun eb wedhneih
Mohamed Lemine Taleb Jeddou
Zram ou La Saga des Mreiba