“Nous avons été peinés de constater que ce qui pose problème, c’est cette dialectique selon laquelle le seul esclavagisme à dénoncer c’est celui des Blancs – Maures – ou Occidentaux sur les pauvres Noirs !’’
Le Calame : Dans votre rapport intitulé « Mauritanie, esclavagisme, séquelles, solutions » que vous venez de publier, la parole n’a pas été donnée aux leaders antiesclavagistes comme Biram Abeid d’IRA ou Boubacar Messaoud de SOS Esclaves. Peut-on savoir pourquoi?
Guy Samuel Nyoumsi : Tout d’abord, je tiens à vous remercier pour l’intérêt que vous avez manifesté pour le document que nous avons publié à la suite de notre court séjour en Mauritanie. Vous avez tout simplement omis de souligner le fait que nous avons fait ce voyage à la suite du contact que nous avions eu avec Monsieur Biram Abeid.
Nous avons accordé à cette rencontre l’importance qu’elle méritait et avons publié un article qui dénonçait les faits qu’il avait, avec d’autres, soulignés. C’est donc à la suite de l’article que nous avons publié que les autorités mauritaniennes nous ont proposé de venir observer par nous-mêmes ce qui se passait en Mauritanie par rapport à l’esclavagisme.
A partir de là, était-il nécessaire de reprendre la position de l’IRA que nous connaissions déjà et que, je le répète nous avions largement prise en considération. Par ailleurs, contrairement à ce que vous affirmez, nous avons tout à fait interrogé SOS Esclaves, ce qui apparaît clairement dans notre rapport.
Est-ce que le fait de ne donner que la version officielle sur l’esclavage et ses séquelles ne va pas entacher la crédibilité de votre rapport ?
Les personnes qui recherchent la vérité sur ce qui se passe en Mauritanie, ne peuvent pas nous accuser d’avoir privilégié la version officielle. Je suis convaincu que vous êtes de ces personnes-là. Je rappelle que nous avons accordé une grande importance à la position des ONG.
Est-ce que les autorités mauritaniennes ne méritent pas la même écoute que celle que nous avons accordée aux autres ? En plus, notre rapport reprend les positions de nombreuses associations (plus de 20 d’entre elles ont été auditionnées) et personnalités locales engagées dans la lutte contre l’esclavagisme. Elles méritent elles aussi un écho international puisque le plus souvent, elles en bénéficient bien moins que l’Ira. Nous ne sommes donc pas les hérauts de ce que vous appelez la version officielle.
A la lecture du rapport, on en sort avec l’idée qu’il n’y a que des séquelles de l’esclavage en Mauritanie alors qu’il y en a des cas avérés et révélés par les militants antiesclavagistes. Le président de l’assemblée nationale l’a d’ailleurs reconnu lors de l’entretien avec vous. Pourquoi n’en avoir pas fait état ?
De nombreuses associations présentent une version différente de celle des pouvoirs en place. Leur vision est largement reprise dans le rapport. Et si vous êtes au courant de la position du président de l’assemblée nationale mauritanienne, n’est pas parce que nous avons justement restitué fidèlement ses propos ! Nous n’avons donc rien caché de ce qui nous a été dit.
En outre, que le président de l’instance législative supérieure tienne des propos dont le moins que l’on puisse dire est qu’ils reflètent sa liberté d’opinion, n’est-ce pas un gage que le pouvoir ne cherche pas à museler même les personnes dont on peut dire qu’elles sont de son bord ! Je pense que c’est la preuve la plus éloquente que l’on peut s’exprimer en Mauritanie sur ce thème, sans avoir peur des représailles, pour peu que l’on reste dans le cadre du respect des lois en vigueur.
Il ne s’agit pas seulement des lois mauritaniennes, mais de celles liées aux droits de l’homme. Avouez quand même que des actions d’éclat comme des autodafés et des discours qui traitent une partie des Mauritaniens de « fumiers » et de « sales » sont inacceptables. Dites-moi ce que l’on en pense quand ils sont tenus ailleurs qu’en Mauritanie : sales noirs ou sales arabes par exemple.
Pourquoi vous vous êtes contentés de Nouakchott et ne pas avoir pris le temps de faire ne serait ce qu’un petit tour a l’intérieur du pays pour avoir une idée plus claire de la question?
Vous avez justement parlé de « temps ». Nous n’en avions pas beaucoup. Pour visiter tout le pays, il aurait sans doute fallu plus d’un mois. Nous ne négligeons absolument pas le fait qu’il est important d’aller dans l’arrière pays pour observer la réalité du terrain.
Mais les associations que nous avons rencontrées (il y en a plus de 20, je le répète), elles, travaillent justement dans ces zones reculées. Quand nous leur donnons la parole, c’est le terrain qui parle. Cependant, croyez-vous que la libération de Mandela et même la prise du pouvoir par la majorité noire en Afrique du Sud, avec l’énorme travail qui a été fait et qui se poursuit pour atteindre l’égalité de droits, pensez-vous que tout cela a éradiqué en vingt ans les séquelles de l’apartheid ?
Pensez-vous qu’en 4 jours, on peut faire un travail objectif ?
Le cran travaille depuis longtemps sur les questions liées à l’esclavage. En réalité les 4 jours que vous mentionnez s’inscrivent dans un long processus de mise en perspective de notre travail. Le cran n’est pas et ne sera jamais confiné dans la tour d’ivoire des certitudes.
La question de l’esclavage est une question de civilisation. Elle est vitale et nous exercerons un droit de regard sur la réalité de terrain en toute liberté et en toute lucidité. Nos études et notre sérieux ne sont plus à prouver. Pour autant je concède qu’en quatre jours, on ne peut sillonner tout le pays et détecter les cas d’esclavagisme plus ou moins résiduels et toutes les séquelles de l’esclavagisme qui sont encore tapies ici ou là.
Cependant, comme je le disais, nous avons pu entendre la plupart des associations qui travaillent dans le domaine depuis des décennies. Donc le rapport ne reflète pas 4 jours de visite, mais plusieurs décennies du travail collectif mené à la fois par les associations et les autorités dans ce domaine.
Que répondez-vous à certains militants esclavagistes qui reprochent à votre mission d’avoir été suscitée et encadrée par le pouvoir ?
Je leur dis que nous avons été invités par le pouvoir. Je leur dirai que nous n’avons pas été encadrés par le pouvoir. Pas une seule fois nous n’avons été influencés à rencontrer un tel plutôt que tel autre. Je leur rappellerai que nous avons aussi dialogué avec l’IRA. De plus, le cran s’inscrit dans une démarche de vérité et de clarté.
Nous savons que la question noire est pleine et entière dans le monde arabo-musulman. Les noirs sont trop souvent méprisés et marginalisés. Le cran veut ouvrir les portes d’un grand débat sur ce sujet, en demandant aux instances dirigeantes des pays arabes (comme des pays européens) de sortir du déni.
A l’heure où l’ONU vient de lancer une décennie pour les personnes d’ascendance africaine (2015-2025), nous invitons tous les dirigeants du monde, et du monde arabe entre autres, à travailler avec les ONG, et c’est ce dialogue constructif que nous avons commencé à avoir avec les autorités mauritaniennes.
Les conclusions de votre rapport ne leur donnent-elles pas raison a posteriori ?
Notre objectif n’était pas de nous faire des amis ou des ennemis, de donner raison aux uns ou aux autres. Mais de dire ce que nous avons vu. Nous n’avons été instrumentalisés par personne. Toutes les associations qui travaillent sur le terrain font avancer les choses, bien sûr grâce à leur action, mais aussi grâce à l’action gouvernementale.
Il faut une coopération des deux. Grâce à tous ces dispositifs de type discrimination positive que l’on trouve sur le terrain. Et beaucoup de ces associations insistent sur le fait que c’est l’éducation qui fera avancer les choses. Un esclave libéré, aux USA, en Afrique du Sud, en Inde et partout ailleurs, cet esclave n’est pas libre s’il n’est pas éduqué et accompagné. On connaît toute la littérature et la filmographie américaine qui ont énoncé cette réalité.
Est ce que le fait de dire que » certains militants continuent à instrumentaliser cette question (de l’esclavage), ternissant l’image de leur pays auprès des observateurs étrangers » ne constitue pas une réponse du berger à la bergère après les attaques dont vous avez été l’objet de leur part?
Une chose est de défendre une cause, une autre est de la justifier par n’importe quel moyen. Il peut y avoir des excès de tous côtés. L’actualité nous instruit là dessus. Allez donc jeter un coup d’œil du côté de Youtube ! Vous serez édifié. Je me pose des questions. Je suis surpris que vous n’ayez pas été interpellé par le temps que nous avons mis à publier notre rapport. J’avoue humblement que nous avons été tentés par la solution de facilité qui consistait à reproduire un certain discours convenu.
Comme ces touristes qui rentrent d’Afrique et vous en parlent comme d’un monde pré jurassique alors qu’ils ont été témoins des évolutions admirables comme c’est le cas ici ou là. Certains gouvernements ont instrumentalisé la race en Mauritanie et nous l’avons aussi dénoncé.
Je vais vous dire la vérité qui a le plus attiré notre attention: Nous avons été interpellés par le fait que le seul esclavagisme dont on parle quand il s’agit de la Mauritanie, c’est celui des haratines (négro-mauritaniens) par les beidanes (Maures blancs). Or nous avons retrouvé ici cet aspect qui est que certaines sociétés africaines ont favorisé l’esclavage.
Des gens nous ont rapporté des anecdotes. Un tel qui s’est vu offrir un esclave quand il avait épousé une poular ou une Soninké. On nous a dit que parmi les poulars et les soninkés il n’y avait pas moins d’esclavagisme que chez les Maures. Alors, permettez-moi de vous poser une question. Pourquoi l’esclavagisme chez certains Noirs entre eux ne pose aucun problème ? Vous trouverez ces configurations au Mali, au Bénin, et dans certaines zones de la Côte Ouest de l’Afrique.
Alors, nous avons été peinés de constater que ce qui pose problème, c’est cette dialectique selon laquelle le seul esclavagisme à dénoncer c’est celui des Blancs – Maures – ou Occidentaux sur les pauvres Noirs ! Or il faut dénoncer l’esclavagisme sous toutes ses formes, et sous toutes ses couleurs.
Alors même que les Etats-Unis en sont arrivés à élire un président noir, on scrute leurs comportements plus que ceux des mondes arabes – dont le Maghreb – qui ont pratiqué des traites négrières tout aussi à dénoncer. L’esclavagisme n’est pas seulement une affaire de couleur. Nous ne l’avons pas découvert en Mauritanie, nous le savions déjà. Et nous souhaitons que tout le monde fasse le travail en son âme et conscience. C’est ce que nous autres avons fait.
Propos recueillis par AOC
Le Calame