À l’heure du bilan de l’année 2014, petit détour par le Burkina Faso, le pays où le peuple s’est soulevé victorieusement contre un régime en place depuis 27 ans. L’avocat Guy Hervé Kam est le porte-parole du Balai citoyen, ce mouvement de la société civile qui a préparé méthodiquement l’insurrection du 30 octobre.
RFI : Certains disent que l’année 2014 est la plus importante de l’histoire de votre pays depuis l’indépendance ?
Guy Hervé Kam : Sans aucun doute, c’est l’année la plus importante. Désormais ceux qui gouvernent savent qu’ils seront des serviteurs au service de la nation et que ce ne sera plus eux les «navas », comme on les appelle ici.
En avril 2010, quand vous avez lancé une pétition contre la révision de la Constitution et un éventuel troisième mandat, vous étiez seul. A quel moment avez-vous senti que votre mouvement commençait à être suivi ?
Effectivement, on a tenté de regrouper des initiatives, sans succès. Et avec trois camarades, nous avons donc lancé cette pétition en avril 2010. Une semaine seulement après avoir lancé notre pétition, ous avons réussi à avoir la trentaine de milliers de signatures qui étaient nécessaires pour déposer la pétition sur le bureau de l’Assemblée. Et ce succès nous a montré que quelque chose était déjà en train de changer, parce que dans nos pays, il n’est pas évident d’avoir des signatures à visage découvert pour contester le pouvoir en place. Certains nous disaient «si nous signons la pétition, on va être écartés des marchés publics». Les jeunes nous disaient «si nous signons la pétition, peut-être qu’on va nous écarter des concours». Mais malgré tout, en une semaine, avoir 30 000 signataires c’était un signal fort. Et déjà à ce moment-là, nous avons su que nous n’étions pas seuls et qu’il fallait tout simplement continuer, et que le message allait finir par passer.
Et à quel moment la classe politique a-t-elle suivi ?
Déjà pour la classe politique, c’était en 2012 lorsque les élections législatives ont amené Zéphirin Diabré en qualité de chef de file de l’opposition. Ce dernier a entrepris un travail que tout le monde salue aujourd’hui, c’est-à-dire un travail d’organisation de l’opposition et aussi un travail de rapprochement avec la société civile, notamment dans la frange qui se battait pour l’alternance effective en 2015. Au plan politique, c’est ce tournant qui a été décisif et après, les évènements se sont accélérés avec, toujours en 2012, la mise à l’écart de Roch Marc Christian Kaboré, Simon Compaoré et Salif Diallo du CDP [Congrès pour la démocratie et le progrès], et la montée en puissance du petit frère du président, François Compaoré. Donc ces évènements ont permis de créer une fissure au sein même du parti majoritaire. Et cette fissure est devenue béante en 2014, avec la démission de ces mêmes personnes.
Est-ce que la mutinerie d’avril 2011 a joué un rôle ?
Oui. La mutinerie a montré que le pouvoir n’était pas aussi fort, parce que, pour une fois, la contestation était allée jusqu’au sein du régiment de sécurité présidentielle. C’est ce qui a d’ailleurs obligé monsieur Compaoré, à un moment, à fuir la présidence de Kosyam. A partir de ce moment-là, c’était un signal que le soutien de l’armée n’était pas aussi total que l’on pouvait penser. S’il n’y avait pas eu la mutinerie de 2011, fort probablement c’est cette année-là que la question de la modification de l’article 37 devait être tranchée. Et fort heureusement, avec la mutinerie, le pouvoir était occupé. Nous avons obtenu une année de répit qui nous a permis de mieux nous organiser.
Est-ce que vous avez appris des méthodes insurrectionnelles de Y’en a marre au Sénégal ?
Nous avons plutôt échangé et nous avons partagé des expériences sur les méthodes de mobilisation des masses, parce que nous nous sommes dits « la société civile traditionnelle est plus dans les bureaux à faire des déclarations, les partis politiques occupent le terrain, mais leur discours ne passe plus, parce que les populations ne leur font pas confiance». Donc à notre niveau, il fallait essayer la mobilisation sur le terrain avec des acteurs nouveaux et aussi faire sortir les intellectuels de leur bureau pour rencontrer la population, discuter et permettre de mobiliser à la base à travers ce que nous avons appelé le club principal, le club des citoyens «balaiens», composé seulement de dix personnes. Et ça nous permettait de toucher le maximum de personnes en un rien de temps. Cette méthode d’organisation, nous l’avons dupliquée à partir de ce qui s’est fait au Sénégal avec ce qu’ils appelaient les «esprits», et ça a pris rapidement, grâce à nos vecteurs qui étaient es artistes musiciens engagés à nos côtés. Je veux parler de Sam’sk Le Jah et l’artiste Smockey dont le discours a permis de fédérer la jeunesse engagée.
Est-ce que vous avez quadrillé la ville de Ouagadougou avant la grande insurrection du 30 octobre ?
Oui. Nous avons divisé la ville de Ouagadougou en dix zones, dix zones de mobilisation, dix zones d’action, ce qui a permis une mobilisation très forte jusqu’à l’apothéose, le 30 octobre.
Et aujourd’hui, vous restez mobilisés ou pas ?
Absolument. Nous restons mobilisés, parce que nous avons obtenu le départ du président Compaoré, mais nous n’avons pas encore obtenu le changement. Nous pensons que le changement sera vraiment impulsé en 2015, lorsque nous aurons un président élu sur des bases saines, et lorsque nous aurons profité de la transition pour mettre en place au Burkina des institutions fortes. C’est pour cette raison que le Balai citoyen a refusé de prendre part à toutes les structures décisionnelles de la transition pour pouvoir continuer à jouer un rôle de sentinelle.
Et serez-vous candidat à la présidentielle de 2015 ?
Certainement pas (rires).
Pourquoi cela vous fait rire ?
Parce que je suis un peu surpris. Nous n’avons pas pour ambition d’exercer le pouvoir politique. Nous avons pour ambition de contraindre ceux qui exercent le pouvoir à l’exercer dans le sens des intérêts du peuple.